Le 7 avril a été inauguré, à Londres, le Mémorial du génocide au Rwanda, aboutissement d’un travail de mémoire mené sous la conduite de l’archevêque Desmond Tutu, prix Nobel de la paix, de Thomas Butler, évêque de Southwark et de nombreux dignitaires des Eglises. Le monument, en forme de rugo («enclos traditionnel») où sont inscrits les sites des principaux massacres de Tutsis, ne constitue qu’une étape. Cette sculpture prépare l’ouverture d’une fondation qui devra financer d’ici à deux ans les études de jeunes Rwandais dans des établissements supérieurs du Commonwealth.
Le succès de cette initiative rappelle cruellement l’absence de réponse des autorités françaises à la demande répétée depuis plusieurs années par l’association Ibuka («Souviens-toi»), d’un lieu de mémoire similaire à Paris.
Voici deux mois, en visite officielle à Kigali pour sceller le rétablissement des relations diplomatiques, Nicolas Sarkozy inscrivait dans le livre d’or du mémorial de Gisozi : «Au nom du peuple français, je m’incline devant les victimes du génocide des Tutsis. L’humanité conservera à jamais la mémoire de ces innocents et de leur martyre», des mots inédits dans la bouche d’un président de la République français. Dans ce contexte de réconciliation entre Etats, la 16e commémoration du génocide des Tutsis en France prend un relief particulier. N’est-il pas nécessaire que les propos lucides du président français trouvent un aboutissement éthique qui les inscrive dans l’universel ? Pourtant, il faut constater que, récemment encore, de nouvelles épreuves nous ont été infligées. Il s’agit du flot de livres, d’articles, de conférences racistes et révisionnistes dont le but est de nier le génocide, d’instrumentaliser les victimes, de culpabiliser et d’humilier les rescapés, de réhabiliter jusqu’aux condamnés devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda, bref, de réécrire l’histoire du génocide et de perpétuer le travail des porteurs de machettes, de tuer la mémoire après avoir brisé les corps. Comme l’a relevé l’historien Jean-Pierre Chrétien, il s’agit d’une entreprise de brouillage du travail de mémoire.
Nous sommes devant une étape politique décisive en France : la reconnaissance par les plus hautes autorités de l’Etat de l’existence du génocide de 1994, et non plus des génocides. C’est une étape plus cruciale encore que le débat sur une reconnaissance de culpabilité de l’Etat français. Elle ne peut s’exprimer que par des gestes symboliques. Parmi ces gestes, il en est un que nous estimons à la fois indispensable et facile : l’érection à Paris d’un monument patronné par l’Etat français en mémoire des victimes du génocide de 1994, comme le socle d’une reconstruction sincère. Et que jamais plus on n’ait à demander : que s’est-il passé ? Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi cela s’est-il passé ? Mais qu’on se dise plutôt : «Nous avançons, quelles que soient les souffrances ravivées, quels que soient les obstacles». Il s’agit d’une exigence à la fois éthique et politique.
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