Grégoire Lecalot –

Depuis les années 80-90, l’influence de la France tend à diminuer en d’Afrique. La volonté affichée par les derniers locataires de l’Elysée d’en finir avec les vieilles habitudes aura sans doute pesé moins lourd que les coups de boutoir donnés par la chute du communisme, le renouvellement des générations, l’aspiration démocratique et l’entrée en scène de nouvelles puissances, comme la Chine.

Une Gabonaise porte un fanion célébrant la « coopération franco-gabonnaise » à Libreville, en février dernier. © AFP

En 1998, François-Xavier Verschave, journaliste et militant de l’association Survie, passionné par les relations franco-africaines, sort un livre qui va mettre sous les yeux du grand public quarante ans d’agissements troubles orchestrés par le “pays des droits de l’Homme” dans son “pré carré” africain. La Françafrique : le plus long scandale de la République . Il sera suivi de Noir silence, deux ouvrages qui vaudront à leur auteur un procès pour « offense à des chefs d’Etats étrangers ». Il sera acquitté.

Mais à l’époque où Verschave écrit, cette Françafrique s’est déjà fait tailler de belles croupières. En 1993, la disparition de l’inventeur du terme “Françafrique”, et l’un des principaux défenseurs du système, sonne comme un requiem. Le président ivoirien, Félix Houphouët-Boigny, est mort. Quatre ans plus tard, c’est l’âme du système qui décède : Jacques Foccart meurt à 83 ans, après avoir été appelé une dernière fois à l’Elysée par Jacques Chirac.

LA FRANCAFRIQUE RATTRAPEE PAR LA JUSTICE

La confiance des anciennes colonies envers Paris avait déjà été fortement ébranlée par la dévaluation de 50% du franc CFA en 1994. Le Trésor public français est en effet garant de la valeur des deux francs CFA et peut donc faire efficacement pression. Cette décision a été très mal vécue par les Africains, qui y ont vu un abandon de la France. L’année 1994 a également été marquée par le génocide rwandais. Les accusations de complicité lancées contre Paris ont contribué à ternir le prestige de la France. Dix ans plus tard, l’opération “Licorne” en Côte d’Ivoire a une fois de plus montré que les interventions militaires étaient désormais mal acceptées. Enfin, la liquidation judiciaire de l’héritage des réseaux post-coloniaux, de l’affaire Elf à l’Angolagate, en passant par l’affaire des “biens mal acquis” a révélé à l’opinion publique des pratiques désormais jugées inacceptables.

Si les Français ne sont plus prêts à passer sur la corruption institutionnalisée et les coups tordus, les Africains ont aussi changé. Sur un continent très jeune, les nouvelles générations n’ont pas connu le temps de la splendeur de la France africaine. Les jeunes la regardent au mieux comme un passé suranné, au pire comme une aliénation. La politique traditionnelle de soutien aux régimes autoritaires et corrompus, mais complaisants, vient heurter les aspirations démocratiques des populations.

OFFENSIVE CHINOISE

La France est d’autant moins perçue comme un partenaire exclusif que la chute du communisme et l’émergence de nouvelles puissances sur la scène internationale ont bouleversé le paysage géopolitique. La Chine mène depuis une décennie une vaste offensive diplomatique et commerciale, dans le but de contrôler ses approvisionnements en énergies. S’appuyant sur une importante diaspora, elle se dote des moyens de séduire. Dans une moindre mesure, l’Inde, le Brésil et le Vénézuela sont aussi présents. Quant aux Etats-Unis, il y a longtemps que leurs agents ne passent plus par Paris pour prendre langue avec l’Afrique. La “guerre contre le terrorisme” et l’élection de Barack Obama ne font que renforcer la tendance.

Pour Jean-Michel Sévérino, qui publie « Le temps de l’Afrique », le continent dispose des atouts nécessaires pour accéder à la croissance. Il répond à Bernard Thomasson.  (9’58 »)
 

Prenant acte des nouvelles données nées de la chute du communisme, les dirigeants français ont eux-même annoncé la fin du système. Le premier a été François Mitterrand, lors du discours de La Baule, en juin 1990. Au nom du “vent de liberté” qui souffle dans les pays de l’est, il avance l’idée d’un supplément d’aide pour les pays africains qui font des efforts sur la voie de la démocratie. Plusieurs d’entre eux s’ouvriront par la suite, progressivement, timidement, et non sans ambigüité, au multipartisme, mais certains chefs d’Etats ont estimé qu’il s’agissait d’une trahison.

LA FRANCAFRIQUE VERSION SARKOZY

Lors de sa campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy a également promis la fin de la Françafrique. De ce point de vue, le très maladroit discours de Dakar y a contribué, en choquant de nombreux Africains. La démarche est plus construite à la cellule diplomatique de l’Elysée, menée par Claude Guéant, qui a travaillé à la réconciliation avec le Rwanda. C’est elle aussi qui a inspiré le discours du Cap en 2008, qui annonce le remise à plat des accords de défense, avec un désengagement militaire partiel à la clé.

Les difficultés de Nicolas Sarkozy en Afrique, expliquées par notre reporter, Hervé Toutain.  (1’53 »)
 

Au Sénégal, qui a fêté le cinquantenaire de son indépendance le 4 avril, la population est plus préoccupée de l’évolution politique interne que des relations avec la France. En témoigne, la polémique sur la gigantesque statue de la « renaissance africaine ». Reportage de Sébastien Laugénie.  (1’57 »)
 

Mais à côté de ces quelques pas vers la rénovation, la France de Nicolas Sarkozy ne tourne pas le dos aux vieilles amitiés. Les visites présidentielles en Afrique traduisent une certaine continuité : Gabon, Congo, Niger alors qu’Areva devait signer un important contrat sur l’exploitation d’uranium. L’intervention militaire française au Tchad en 2008, relayée par une force européenne, s’est faite en contradiction avec l’esprit de La Baule, sans exiger de contrepartie démocratique. Et le rôle du successeur autoproclamé de Jacques Foccart, l’avocat Robert Bourgi, dans la libération de Clothilde Reiss, via la médiation du Sénégal, démontre que les vieux réseaux ne sont pas encore tout à fait taris. La Françafrique n’est peut-être plus que l’ombre d’elle-même, mais dans cette ombre, des hommes s’agitent toujours.

http://www.france-info.com/dossiers-afrique-50-ans-d-independance-2010-05-25-la-francafrique-bouge-encore-un-peu-444467-107-464.html

Posté par rwandanews.be