Certains morts sont insubmersibles. Même après un demi-siècle, ils finissent par revenir à la surface. Par empoisonner le présent, hypothéquer l’avenir. Rendre incontournable la recherche complète de la vérité, l’exigence de réparation.
Durant des décennies, la Belgique a eu beau se passionner pour le Congo ou s’en détourner, abreuver ses dirigeants successifs d’aide, de conseils voire d’insultes, choisir la rupture désabusée, l’indifférence ou tenter de renouer un véritable partenariat, rien n’y a fait : personne n’a oublié que certains dirigeants de notre pays, en 1960, ont eu les mains sales. Attentifs à leurs intérêts économiques ou géopolitiques, ils ont nié le choix démocratique que les Congolais avaient porté sur la personne de Patrice Lumumba, décapité une jeune République qui aurait mérité d’être soutenue, dévoyé un processus politique déjà difficilement et précipitamment engagé. Les conséquences de ces choix là, ce sont les Congolais qui les ont payées, au prix de leur sang, de la confiscation de leurs libertés, de l’effondrement de leur économie et du système social. Nos compatriotes qui, en 1960, furent les inspirateurs actifs et aussi les acteurs de ce hold up sur l’indépendance du Congo ont connu par la suite non pas les sanctions, mais les honneurs : certains d’entre eux furent mis à l’abri, autorisés à changer de nom dans le cas de feu le capitaine belge qui commandait le peloton d’exécution de Lumumba. D’autres, les responsables aux mains blanches, qui siégeaient dans les conseils d’administration, les ministères ou les états majors, furent promus, anoblis, protégés jusqu’au bout. Tandis que la famille et les compagnons de Lumumba connaissaient l’exil et la pauvreté, ils terminèrent leur vie dans la quiétude et l’impunité. La justice, enfin convoquée, va peut-être mettre un terme à tout cela, obliger vraiment quelques acteurs de l’année 60 à répondre de leurs actes. Ce sera une bonne chose. Après tout, de quel droit la Belgique, en vertu de la compétence universelle, s’arrogerait elle le droit de juger le reste du monde (des Africains le plus souvent…)tout en s’exonérant de balayer devant sa propre porte ?
A Kinshasa, en ces temps de retour sur l’histoire, la perspective de la réouverture du dossier Lumumba est accueillie favorablement, l’établissement de toute la vérité étant considéré comme le gage d’un nouveau départ des relations belgo congolaises.
Que l’on se méfie cependant : il est d’autres morts, insubmersibles eux aussi et plus récents, dont le souvenir brûlant exige que la lumière soit faite sur les vrais responsables de leur assassinat. Des morts qui n’attendront pas un demi siècle pour hanter les consciences et miner la vie politique…
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Posté par rwandaises.com