Depuis onze ans, la couverture santé a permis de faire passer l’espérance de vie de 48 à 52 ans. Financée par une ONG américaine et une modeste cotisation, elle protège 92 % des habitants du pays.

Le service de maternité du centre de santé de Mayange [village situé à 20 km de Kigali] n’a rien de luxueux. Il n’a pas l’eau courante et la salle d’accouchement se réduit à deux banquettes capitonnées équipées d’étriers. Mais la peinture bleue des murs est relativement fraîche, et les lits de la salle de travail sont pourvus d’une moustiquaire. Trois générations de la famille Yankulije se détendent sur un lit : Rachel (53 ans), sa fille Chantal Mujawimana (22 ans), et le bébé de Chantal (trop jeune pour avoir un nom). Le petit prince est le premier de la lignée à être né dans une clinique et non à même le sol d’une hutte d’argile. Mais il n’est pas le premier à bénéficier de l’assurance- maladie. Sa mère et sa grand-mère l’ont aussi, et c’est ce qui lui a permis de naître ici.

OMS -Mission au RwandaLe Rwanda dispose d’un système d’assurance- maladie depuis onze ans ; 92 % des habitants sont couverts et la cotisation annuelle s’élève à 2 dollars [1,6 euro]. Sunny Ntayomba, un éditorialiste du New Times, un quotidien de Kigali, est conscient du paradoxe. Son pays, l’un des plus pauvres du monde, fournit une couverture sociale à un plus grand pourcentage de citoyens que certains pays parmi les plus riches du monde. Pour 2 dollars, la couverture santé permet d’apporter les soins de base pour traiter les principales causes de maladies mortelles : diarrhée, pneumonie, paludisme, malnutrition, coupures infectées, etc. Les centres de santé disposent en général des médicaments essentiels recommandés par l’Organisation mondiale de la santé, [OMS] (la quasi-totalité sont des génériques) et ont des laboratoires qui peuvent effectuer les analyses de sang et d’urine les plus courantes ainsi que les tests de tuberculose et de paludisme.

Des patients chanceux peuvent être traités gratuitement

Chantal Mujawimana a accouché en présence d’une infirmière, ce qui accroît considérablement les chances de survie de la mère et de l’enfant. S’il y avait eu des complications, elle aurait pu se rendre en ambulance dans un hôpital du district pour voir un médecin. « Autrefois, on ne se rendait au centre de santé que quand la mère avait des problèmes, explique la mère de Rachel. Aujourd’hui, le professionnel de santé du village interdit d’accoucher chez soi. » Selon le Dr Agnès Bonagwaho, secrétaire permanente du ministère de la Santé, l’espérance de vie moyenne est passée de 48 à 52 ans  en dépit de la progression de l’épidémie du sida  depuis l’apparition du système d’assurance- maladie ou « mutuelles de santé ». Le nombre de décès lors des accouchements ou à cause du paludisme a aussi chuté.

Commission nationale de lutte contre le sida au RwandaBien sûr, des techniques très courantes en Occident, comme l’IRM et la dialyse, ne se pratiquent guère au Rwanda. Le cancer, les AVC et les attaques cardiaques sont souvent mortels. Dans ce pays de 9,7 millions d’habitants, on ne trouve qu’un neuro­chirurgien et trois cardiologues. En revanche, l’obésité et ses complications médicales sont pratiquement inexistantes au Rwanda. Les étrangers sont souvent frappés par la maigreur des habitants, ce qui n’est pas nécessairement lié à un problème de malnutrition. Même Paul Kagame, le président  qui est un parfait ascète  est squelettique. Au Rwanda, la chirurgie générale est assurée, mais l’attente peut durer des semaines. Des patients chanceux ayant besoin d’une chirurgie avancée peuvent être traités gratuitement par des équipes de médecins en provenance des Etats-Unis, de Cuba ou d’Australie. Mais il s’agit de médecins invités, qui ne sont pas sur place en permanence. Il arrive également que le ministère de la Santé prenne en charge les frais de patients se rendant au Kenya, en Afrique du Sud ou même en Inde pour se faire traiter.

L'action de Partners in health au RwandaCependant, même en limitant sévèrement les dépenses, comment un pays peut-il offrir une telle couverture pour 2 dollars par an ? La réponse est qu’il ne le peut pas sans aide extérieure. Partners in Health, une ONG de Boston qui possède deux hôpitaux et un réseau de centres de santé au Rwanda, indique que ses propres coûts s’élèvent à 28 dollars par personne et par an et estime que la prise en charge du gouvernement se situe entre 10 et 20 dollars.

Selon une étude publiée récemment dans la revue Tropical Medicine & International Health (TM&IH), les dépenses de santé au Rwanda se montent à environ 307 millions de dollars par an, dont 53 % sont financées par des donateurs étrangers, en particulier les Etats-Unis.

Le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludismeL’une des principales organisations donatrices est le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, qui étudie actuellement les moyens de soutenir les programmes de santé en général au lieu de se limiter à ces trois maladies. L’organisation paie également les cotisations des 800 000 Rwandais officiellement reconnus comme étant « les plus pauvres des pauvres ».

Dans ce pays d’agriculteurs, c’est le conseil du village qui détermine lesquels sont les plus démunis. Ils évaluent les terres, les chèvres, les bicyclettes ou les radios. Demander à chaque Rwandais de payer quelque chose fait partie du dessein ambitieux du président Kagame pour conduire son peuple vers une plus grande autonomie et, avec un peu de chance, vers la prospérité. Le pays est déjà devenu « le Singapour de l’Afrique ». Il a des rues propres, un faible taux de délinquance et, chaque mois, tous les Rwandais consacrent une journée à rendre des services à la communauté, comme la plantation d’arbres. Paul Kagame encourage aussi le secteur privé et lutte sans relâche contre la corruption des fonctionnaires. Mais, selon ses détracteurs, il a aussi étouffé toute contestation politique, notamment pour faire taire les commentaires susceptibles de ranimer la haine à l’origine du génocide de 1994.

« Certains ne peuvent pas rassembler 2 dollars »

Un obstacle plus pragmatique à l’établissement d’un système d’assurance- maladie est le fait que la plupart des pauvres du monde, y compris ceux du Rwanda, résistent à l’idée inconcevable de payer d’avance pour quelque chose dont ils ne bénéficieront peut-être jamais. « Parfois, ceux qui ont versé les 2 dollars et n’ont pas été malades pendant l’année veulent se faire rembourser », fait remarquer Anja Fischer. Elle conseille le ministère de la Santé au nom de la GTZ, l’agence de la coopération allemande au développement. Le ticket modérateur peut aussi s’avérer trop élevé. Payer 5 dollars pour une césarienne est parfois trop lourd pour des gens qui sont au bord du précipice comme les Yankulijes, qui vivent de la culture de haricots et de patates douces. « Beaucoup vivent du troc et ne peuvent même pas rassembler 2 dollars », confirme le Dr Damas Dukundane, qui travaille dans une zone rurale ­déshéritée. « Comme le gouvernement n’accepte que les espèces, les patients se rendent parfois chez les guérisseurs traditionnels, qui peuvent être de dangereux charlatans et qui acceptent de se faire payer en chèvres ou en poulets. »

Même s’il n’est que de 2 dollars, le coût de l’assurance peut donc constituer parfois une charge importante pour certaines familles. Le fait qu’il soit le même pour les riches et les pauvres est parfois aussi mal vécu. « Il est totalement insensé que ma mère paie le même montant que la femme qui nettoie sa maison », affirme le Dr Binagwaho, du ministère de la Santé. « La loi est en train de changer. » Mais, s’il est un domaine où le Rwanda peut donner une leçon aux Etats-Unis, c’est en matière d’assurance- maladie. « Il y a de la solidarité dans notre système, se félicite le Dr Binagwaho. Dans une société, vous ne pouvez pas vous sentir heureux si vous ne vous organisez pas pour que les gens qui vivent à côté de vous ne meurent pas de misère. »


http://www.courrierinternational.com/article/2010/07/08/assurance-maladie-un-bilan-globalement-tres-positif

Posté par rwandanews.be