Depuis la mort de Fred Rwigema, tué au combat dans les premiers jours de la guerre d’octobre 1990, Paul Kagame est le véritable patron du Front patriotique rwandais. Réélu avec 93% des voix, il vient de démontrer que son emprise sur le Rwanda demeure totale.
Descendante de la famille royale, sa mère, en 1959, fuit la « révolution hutue » appuyée par les Belges, et l’enfant de quatre ans qu’elle porte au dos aura, comme dernière vision du pays des mille collines, celle de huttes en feu et de Tutsis massacrés. Depuis les camps de réfugiés rwandais établis sur la frontière ougandaise, le jeune Kagame aura une seule obsession, rentrer un jour au pays, rétablir son peuple dans ses droits, lui assurer la sécurité. La voie sera longue et sanglante : avec une poignée de jeunes compatriotes réfugiés comme eux, Rwigema et Kagame s’engagent dans la guerilla que mène Yoweri Museveni contre le pouvoir d’Obote, puis, lorsque ce dernier devient président de l’Ouganda en 1986, ils prennent le contrôle de la nouvelle armée ougandaise et des services de sécurité.

Secrètement, les réfugiés rwandais, soutenus par toute la diaspora, s’organisent pour forcer leur retour au pays, refusé par le président Habyarimana.…Lorsque la guerre éclate en octobre 1990, les débuts sont catastrophiques, Fred Rwigema est tué et Kagame rentre précipitamment des Etats-Unis, où il fréquente l’académie militaire de Fort Leavensworth. Réorganisant les troupes, il se trouve face aux Français, qui soutiennent le régime de Kigali. Depuis lors, il ne lâchera plus jamais le contrôle des opérations. Alors que les accords d’Arusha conclus en août 1993 prévoient le partage du pouvoir et le retour des réfugiés tutsis, le clan Habyarimana prépare le génocide tandis qu’en face, Kagame renforce son appareil militaire. Durant les trois mois que dureront les massacres de Tutsis, pris comme otages, Kagame mène une double stratégie : mettre fin aux tueries, mais aussi assurer la victoire militaire complète du FPR, qui sera acquise le 4 juillet 1994, dans un pays transformé en charnier.

Pour avoir mis en échec les Français qui appuient les forces gouvernementales Kagame sera considéré comme l’un des meilleures stratèges d’Afrique mais sa vision est aussi politique : il veut assurer, définitivement, la sécurité des siens, afin que plus jamais les Tutsis ne connaissent l’exil et l’exclusion et, nourri de l’idéologie panafricaniste, il veut créer un Rwanda fort.

Longtemps Ministre de la Défense , Kagame semble s’effacer devant Pasteur Bizimungu, un Hutu porté à la présidence, mais chacun sait qu’il est le véritable maître du pays. Un maître dont l’ambition semble sans limites : désireux d’entraîner le retour des deux millions de Hutus qui campent au Kivu et de détruire l’appareil militaire des génocidaires, Kagame porte la guerre au Congo, contribue à chasser Mobutu de Kinshasa, puis se retourne contre son allié Kabila. Jusqu’en 2002, les troupes rwandaises, alliées aux Ougandais, contrôleront les deux tiers du Congo et en pilleront méthodiquement les ressources, une “accumulation primitive de capital” qui permettra plus tard le décollage économique du Rwanda.

Lorsqu’il remporte, avec 95% des voix, son premier mandat en 2003, l’image de Kagame est contrastée : ses compatriotes tutsis le considèrent comme un héros, les Hutus le craignent mais reconnaissent qu’il a réussi à empêcher les représailles systématiques et à garantir à tous les Rwandais une sécurité appréciée. Aux yeux des Congolais cependant, comme de l’opposition hutue en exil, Kagame est considéré comme un tueur sans pitié, prêt à tout pour garantir la sécurité des siens.

Les années passées au pouvoir, la reconnaissance internationale n’ont pas changé Kagame : l’homme n’a pris ni un gramme ni une ride et ne sourit pas plus souvent qu’autrefois. Pragmatique, il se réconcilie avec Kinshasa comme avec la France, se fait coopter par les grands de ce monde : Tony Blair le conseille, Bill Clinton l’épaule, George Bush veille sur son fils qui étudie à West Point, il est invité à Davos et dans tous les forums importants. Les Anglo- Saxons présentent le Rwanda, désormais membre du Commonwealth, comme un modèle de développement, dont la croissance est de 7% l’an.
Les éloges et les succès n’ont cependant pas détourné Kagame de sa véritable personnalité : l’homme demeure autoritaire (même s’il assure que le pouvoir est collégial), il dirige son pays avec la fermeté d’un chef de guerre, ne supporte pas la contradiction et ne craint pas de frapper au sein de ses propres rangs. C’est ainsi qu’il s’aliène de nombreux compagnons de la première heure, soit parce qu’il lutte contre la corruption, soit parce qu’il bannit le français de l’enseignement et n’hésite pas, pour prix de sa réconciliation avec Kinshasa, à mettre en résidence surveillée Laurent Nkunda, demeuré très populaire parmi les Tutsis venus du Congo…

Cynique, sarcastique, Kagame se moque de l’opinion extérieure et des critiques occidentales qui saluent les faits graves qui ont marqué la campagne électorale (assassinat du vice président du parti des verts, meurtre d’un journaliste, mise au pas de la presse d’opposition…). Cette attitude orgueilleuse risque de lui faire oublier, que, non seulement le développement ne se fait pas pour la population, mais avec elle, et que, dans le monde d’aujourd’hui, le respect des droits de l’homme et des règles démocratiques pèse désormais autant que les succès militaires ou économiques…

http://blogs.lesoir.be/colette-braeckman/2010/08/15/kagame-le-vrai-patron-du-rwanda/

Posté par rwandaises.com