La réélection de Paul Kagame est un dur coup pour la pratique du français au Rwanda qui, sous sa gouverne, a prestement été reléguée au passé. Sans un sérieux appui des États francophones du Nord, la langue de Molière est vraisemblablement vouée à disparaître au pays des mille collines.

Le français est passé de mode au Rwanda. Dans la capitale comme en province, fini le «bonjour», on préfère le «hello» à tout va. La campagne de Paul Kagame, largement réélu président le 9 août dernier avec 93 % des voix, n’a laissé planer aucun doute sur sa volonté de donner peau neuve au Rwanda. Il faut faire table rase du passé, y compris de la langue amenée par les colons belges, le français.

Rien d’explicite, bien entendu. Un fait avéré plutôt, comme l’usage des seuls kinyarawanda et anglais pour répondre aux questions des journalistes, ainsi que l’ensemble des communiqués de presse rédigés dans la langue de Shakespeare.

Le remplacement du français par l’anglais avait d’ailleurs été annoncé sans détour le 10 octobre 2008. «L’enseignement primaire, secondaire et universitaire sera exclusivement dispensé en anglais au Rwanda à partir de 2010», déclarait Daphrose Gahakwa, ministre de l’Éducation nationale.

À l’époque, c’est vrai, les relations franco-rwandaises étaient suspendues depuis deux ans en raison des implications inavouées de la France dans le génocide de 1994. On aurait donc pu croire que le rétablissement de leurs liens, en début d’année, pouvait changer la donne.

Il n’en est rien. Et le Rwanda n’a pas attendu la rentrée 2010 pour faire toute sa place à l’anglais. Dans les administrations, pour les relations publiques, le tourisme, et même dans les écoles, le français a été banni sans transition.

La vengeance à l’égard de l’ancien colon belge et du «traître» français ne saurait expliquer à elle seule la brutalité du changement. «Le français est devenu une langue locale comme le kinyarwanda, estime Aloys Gakwaya, chauffeur rwandais. Aujourd’hui, pour faire des affaires ou communiquer avec le monde, l’anglais est obligatoire. C’est l’avenir.» Car Paul Kagame a de grandes ambitions pour son pays. Il veut transformer le Rwanda en Singapour de l’Afrique, voilà sa priorité!

Dans cette optique, il a d’abord resserré ses liens avec les États anglophones, entrant dans la communauté est-africaine en 2006 et dans le Commonwealth fin 2009. Le rapprochement avec les États-Unis et le Canada en était la suite logique. Pragmatique, il dit rechercher les contrats commerciaux et investissements nécessaires au développement du Rwanda.

Pourtant, pour tenir la place du petit pays leader, le Rwanda aspire aussi à être un lien privilégié entre ses voisins, anglophones à l’est, francophones à l’ouest. Le bilinguisme semblait donc être la solution.

«Nous avons un lien historique avec le français, c’est vrai. Mais ce n’est pas rentable. On opterait bien pour une éducation bilingue, mais le Rwanda ne peut se payer le luxe de faire évoluer les deux langues parallèlement», soulignait Stanislas Kamanzi, ministre de l’Environnement, lors de la campagne présidentielle.

Un enseignement en pagaille

Ce changement éclair n’a pas été sans causer des bouleversements au Rwanda. Dans l’enseignement surtout. «Du jour au lendemain, on nous a dit qu’il fallait donner les cours en anglais. Mais nous n’avons jamais reçu de formation. On fait donc comme on peut. En plus, nos livres viennent de l’Ouganda et les références ne sont pas les mêmes. Les élèves se demandent, par exemple, ce que viennent faire les shillings dans les problèmes de math, alors que notre monnaie est le franc rwandais!», s’indigne Tatiana, professeure de mathématiques à Nyakabanda.

La tâche est tout aussi ardue pour les élèves du secondaire ou les étudiants n’ayant appris que le français jusqu’ici.

«Depuis l’année dernière, tous mes cours sont donnés en anglais. C’est très dur pour moi. J’ai dû apprendre sur le tas. J’ai bien peur que nos diplômes ne vaillent pas grand-chose pendant un certain temps», déplore Jean-Pierre Uwimana, étudiant en gestion dans une université de Kigali.

Pour justifier le passage du français à l’anglais, en 2008, Paul Kagame avait affirmé donner «la priorité à la langue qui rendra nos enfants plus compétents et qui servira notre vision de développement du pays».

Le chaos décrit par le corps enseignant et par quelques citoyens mécontents ne présage rien de bon cependant. D’autant que les professeurs de français sont aujourd’hui au chômage, ou réduits à donner quelques heures de cours par semaine.

Mais Kagame, qui a affirmé le jour du vote que le développement des écoles et l’augmentation des salaires des professeurs faisaient partie de ses priorités pour les sept ans à venir, ne semble pas voir de problème. La technique du passage en force perdure.

La nécessaire implication francophone

Ces désordres ne sauraient sauver ce qu’il reste de français au Rwanda. Sans argent pour maintenir son apprentissage aux plus jeunes, il deviendra une langue parlée par les anciens d’abord, puis un lointain souvenir. Car il n’a jamais été pratiqué par plus de 20 % de la population. Dans un pays rural à 80 %, les enfants des collines n’ont pas toujours eu accès à l’école, ou l’ont abandonnée après le primaire pour aller travailler.

Aujourd’hui, il ne resterait que 12 à 13 % de francophones, contre 5 % pour l’anglais alors que le Rwanda ne comptait que 2 % d’anglophones il y a quatre ans. Un constat qui irrite le nouvel ambassadeur de France au Rwanda, Laurent Contini: «La meilleure solution, c’est le bilinguisme. Mais ils n’ont évidemment pas les moyens. Donc, il faut qu’on le fasse nous, la France et la francophonie. Or nous n’avons aucun moyen ici. Pas un rond! On ne peut pas râler sur le fait que le français va disparaître et ne rien faire. Où est la logique de cette attitude? C’est très dommage. On est face à un vrai défi et plus les mois passent, plus c’est dangereux. La conjoncture en France, c’est vrai, est mauvaise. Mais ça me déçoit beaucoup. Je m’attendais à un minimum.»    Par Fanny Costes
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Paris, 11 août


A la rentrée, le Rwanda passe du français à l’anglais

Sept ans après que l’anglais s’est ajouté au français comme langue officielle, tout l’enseignement bascule à la rentrée dans cette langue jusqu’ici peu parlée dans l’ancienne colonie belge.
Dans les rues de Kigali, les enseignes rédigées en français se raréfient, au profit de l’anglais. Parmi les jeunes Rwandais, de plus en plus rares sont ceux qui connaissent des rudiments de la langue de Molière. À la rentrée prochaine, c’est tout l’enseignement au Rwanda qui va basculer du français à l’anglais. Ainsi en a décidé le Front patriotique rwandais (FPR), au pouvoir depuis 1994. Après avoir ajouté l’anglais aux deux langues officielles (kinyarwanda et français) en 2003, c’est en 2008, en pleine rupture des relations diplomatiques avec la France, que le gouvernement a annoncé que « l’enseignement primaire, secondaire et universitaire (serait) exclusivement dispensé en anglais au Rwanda à partir de 2010 ».

« Nous donnons la priorité à la langue qui rendra nos enfants plus compétents et qui servira notre vision de développement du pays », avait justifié le président Paul Kagame, réélu lundi pour un nouveau septennat. Il justifiait cette décision par le fait que l’anglais était plus usité dans les affaires et faciliterait l’intégration du pays dans la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), dont les autres membres sont anglophones. Pour adhérer à cette organisation est-africaine, Kigali avait claqué la porte en 2007 de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (Ceeac), regroupant les pays francophones et lusophones de la région. Et dès 2006, le Rwanda avait demandé à adhérer au Commonwealth, ce qu’il a obtenu fin 2009.

Beaucoup de Rwandais voient des raisons politiques non dites à ce changement brutal. En effet, l’élite au pouvoir est en grande partie composée d’anciens exilés tutsis ayant fui les massacres ethniques de 1959 en se réfugiant dans les pays voisins, notamment l’Ouganda. À l’image de Paul Kagame, installé en Ouganda à l’âge de 4 ans, l’intelligentsia du FPR a fait ses études, puis travaillé dans un contexte à 100 % anglophone, tout en parlant la langue nationale, le kinyarwanda.

Pendant ce temps, au Rwanda, au contraire, l’anglais était peu prisé. « Au lycée, on avait deux heures par semaine, et c’était le cours que l’on « séchait » le plus régulièrement ! », se souvient Armand, ingénieur de 37 ans. « Aujourd’hui, dit ce père de deux enfants, je suis capable de comprendre, de m’exprimer et de passer un examen en anglais, mais mon niveau reste basique. Le passage à l’anglais peut avoir du sens, mais il aurait dû être mis en oeuvre plus progressivement. »

Alors que, dans les premières années post-génocide, beaucoup de membres du pouvoir, ne parlant pas français, faisaient l’effort de l’apprendre, le retournement décrété en 2008 a pris de court l’élite francophone. Censé ne concerner que l’enseignement, le passage à l’anglais s’est en fait imposé dans tous les secteurs de la société, tant dans l’administration que dans les affaires et le monde des ONG.

Professeurs, avocats, hauts fonctionnaires craignent maintenant d’être marginalisés au profit de collègues anglophones. « Comment puis-je aider mes enfants à faire leurs devoirs ? s’insurge un responsable francophone d’une ONG rwandaise. Je constate qu’ils perdent leur français et apprennent un mauvais anglais. Tout cela n’est qu’une manière d’exclure et de mater l’élite restée sur place au Rwanda. » Cette situation est particulièrement mal ressentie par les Tutsis « de l’intérieur », qui, après avoir été les principales victimes du génocide de 1994, ont vu l’intelligentsia venue d’Ouganda truster les postes à responsabilité. « C’est leur régime, ajoute le responsable d’ONG. Et il est tellement facile de prétendre avoir obtenu tel ou tel diplôme en Ouganda, ce qui est invérifiable…»

« Il faudrait redonner le goût du français avant qu’il ne soit trop tard », estime un professeur d’université. Mais qui peut le faire, alors que l’école française et le centre culturel français sont fermés depuis quatre ans (lire La Croix du 9 août) et qu’il n’existe pratiquement plus aucun lieu non scolaire où apprendre le français au Rwanda ? À Kigali, l’école belge est réputée, mais des établissements anglophones sont aujourd’hui plus cotés.

Le Rwanda est resté membre de l’Organisation internationale de la francophonie, qui a ouvert une dizaine de centres de lecture et d’animation culturelle (Clac) en milieu rural et soutient quelques événements culturels. Mais, du côté français, le budget en faveur de la diffusion de la langue au Rwanda est égal à… zéro. Néanmoins, l’ambassade prévoit de relancer des cours de français en soirée dans les locaux de l’école française, qui rouvre à la fin septembre. Côté anglophone, en revanche, dès l’annonce du passage à l’anglais, des organisations telles que le British Council – qui a ouvert un centre à Kigali en 2008, le DFID (agence de développement britannique), le gouvernement américain ou encore l’ONG américaine WorldTeach ont fait part de leur disponibilité pour accompagner la réforme.

Après avoir souffert d’une pénurie d’enseignants francophones après 1994, à la grande joie de professeurs congolais désoeuvrés, c’est maintenant la course à l’anglophonie. L’ensemble du corps enseignant devait suivre cet été des sessions d’anglais obligatoires. Dans les villes, les lycéens francophones s’efforcent de basculer dans leur nouvelle langue d’enseignement. Mais si la réforme est mise en oeuvre comme prévu, le français sera probablement rayé de la carte rwandaise dès la prochaine génération. Il ne sera enseigné que dans le second cycle du secondaire, à raison d’une heure par semaine, au choix avec deux autres matières, tandis que l’anglais sera enseigné dès la première année du primaire à raison de cinq heures par semaine.

D’ores et déjà, « c’est devenu un petit snobisme chez les jeunes que de parler anglais », remarque un enseignant.   Par Laurent d’Ersu
Encadré(s) : Paul Kagame remporte une victoire écrasante

Paul Kagame a remporté sans surprise l’élection présidentielle de lundi. Des résultats portant sur 11 des 30 districts du pays créditaient hier le président rwandais de 92,9 % des voix. Le score le plus élevé parmi les trois challengers du président – tous alliés du parti au pouvoir, le Front patriotique rwandais (FPR) – est celui de l’ancien ministre Jean Damascène Ntawukuriryayo (Parti social-démocrate), crédité de 4,9 % des voix. Trois partis d’opposition récemment apparus, dont deux non reconnus par les autorités, avaient été de facto exclus du vote et ont dénoncé une « farce électorale ». Le scrutin s’est déroulé sans incident notable avec une mobilisation « impressionnante » des 5,2 millions d’électeurs, s’est félicitée la commission électorale.

Port-Louis, 15 août  

Rwanda. Bye-bye Molière

L’anglais remplacera le français en tant que langue d’enseignement à partir de la rentrée prochaine. Un changement radical pour cette ancienne colonie belge.

A la rentrée prochaine, c’est tout l’enseignement au Rwanda qui va basculer du français à l’anglais. Ainsi en a décidé le Front patriotique rwandais (FPR), au pouvoir depuis 1994. Après avoir ajouté l’anglais aux deux langues officielles (kinyarwanda et français) en 2003, c’est en 2008, en pleine rupture des relations diplomatiques avec la France, que le gouvernement a annoncé que « l’enseignement primaire, secondaire et universitaire (serait) exclusivement dispensé en anglais au Rwanda à partir de 2010 ».

« Nous donnons la priorité à la langue qui rendra nos enfants plus compétents et qui servira notre vision de développement du pays», avait justifié le président Paul Kagame, réélu lundi dernier pour un nouveau septennat. Il justifiait cette décision par le fait que l’anglais était plus usité dans les affaires et faciliterait l’intégration du pays dans la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), dont les autres membres sont anglophones.

Pour adhérer à cette organisation est-africaine, Kigali avait claqué la porte en 2007 de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (Ceeac), regroupant les pays francophones et lusophones de la région. Et dès 2006, le Rwanda avait demandé à adhérer au Commonwealth, ce qu’il a obtenu fin 2009.

Beaucoup de Rwandais voient des raisons politiques non dites à ce changement brutal. En effet, l’élite au pouvoir est en grande partie composée d’anciens exilés tutsis ayant fui les massacres ethniques de 1959 en se réfugiant dans les pays voisins, notamment l’Ouganda. À l’image de Paul Kagame, installé en Ouganda à l’âge de 4 ans, l’intelligentsia du FPR a fait ses études, puis travaillé dans un contexte à 100 % anglophone, tout en parlant la langue nationale, le kinyarwanda.

« Le cours que l’on séchait »

Pendant ce temps, au Rwanda, au contraire, l’anglais était peu prisé. « Au lycée, on avait deux heures par semaine, et c’était le cours que l’on “séchait” le plus régulièrement ! », se souvient Armand, ingénieur de 37 ans. « Aujourd’hui, dit ce père de deux enfants, le passage à l’anglais peut avoir du sens, mais il aurait dû être mis en oeuvre plus progressivement.

» Alors que, dans les premières années post-génocide, beaucoup de membres du pouvoir, ne parlant pas français, faisaient l’effort de l’apprendre, le retournement décrété en 2008 a pris de court l’élite francophone. Censé ne concerner que l’enseignement, le passage à l’anglais s’est en fait imposé dans tous les secteurs de la société, tant dans l’administration que dans les affaires et le monde des ONG.

« Il faudrait redonner le goût du français avant qu’il ne soit trop tard », estime un professeur d’université. Mais qui peut le faire, alors que l’école française et le centre culturel français sont fermés depuis quatre ans et qu’il n’existe pratiquement plus aucun lieu non scolaire où apprendre le français au Rwanda ? À Kigali, l’école belge est réputée, mais des établissements anglophones sont aujourd’hui plus cotés. Après avoir souffert d’une pénurie d’enseignants francophones après 1994, à la grande joie de professeurs congolais désoeuvrés, c’est maintenant la course à l’anglophonie.

L’ensemble du corps enseignant devait suivre cet été des sessions d’anglais obligatoires. Dans les villes, les lycéens francophones s’efforcent de basculer dans leur nouvelle langue d’enseignement.

Mais si la réforme est mise en oeuvre comme prévu, le français sera probablement rayé de la carte rwandaise dès la prochaine génération. Il ne sera enseigné que dans le second cycle du secondaire, à raison d’une heure par semaine, tandis que l’anglais sera enseigné dès la première année du primaire à raison de cinq heures par semaine.

Un budget linguistique au plus bas

Le Rwanda est resté membre de l’Organisation internationale de la francophonie, qui a ouvert une dizaine de centres de lecture et d’animation culturelle en milieu rural et soutient quelques événements culturels. Mais, du côté français, le budget en faveur de la diffusion de la langue au Rwanda est égal à… zéro. Néanmoins, l’ambassade prévoit de relancer des cours de français en soirée dans les locaux de l’école française. Côté anglophone, en revanche, dès l’annonce du passage à l’anglais, des organisations telles que le British Council – qui a ouvert un centre à Kigali en 2008, le DFID (agence de développement britannique), le gouvernement américain ou encore l’ONG américaine WorldTeach ont fait part de leur disponibilité pour accompagner la réforme.

Posté par rwandaises.com