Pour la première fois depuis le 6 avril 1994, des experts crédibles, dont les compétences scientifiques sont reconnues par toutes les parties, ont passé huit jours au Rwanda, enquêtant sur les circonstances de l’attentat contre l’avion du président Habyarimana. Cet événement, considéré comme l’élément déclencheur d’un génocide depuis longtemps préparé, a depuis seize ans, alimenté la polémique et suscité des interprétations différentes : d’après le juge français Jean-Louis Bruguière, qui avait été chargé de l’enquête à la demande des membres français de l’équipage du Falcon 50, l’avion avait été abattu par deux missiles tirés depuis la colline de Masaka par un commando du Front patriotique rwandais. Cette accusation avait permis au juge de délivrer dix mandats d’arrêt contre le hauts responsables rwandais, une inculpation qui avait provoqué la rupture des relations diplomatiques entre Paris et Kigali.
Par contre, une enquête rwandaise, se fondant sur l’interrogatoire de 120 témoins oculaires et de membres de l’ancienne armée rwandaise, avait conclu que les tirs, partis du camp militaire de Kanombe, ne pouvaient qu’être attribués à des milieux extrémistes hutus, les lieux étant totalement inaccessibles aux membres du FPR.
Prenant la relève du juge Bruguière, les juges d’instruction français Marc Trevidic et Nathalie Poux se sont, eux, rendus sur le terrain et ils ont repris à zero un travail d’investigation qui, au vu de l’importance des enjeux, aurait du être mené depuis longtemps. Le travail des magistrats a été rendu possible par le rétablissement des relations diplomatiques entre Paris et Kigali, intervenu au début de cette année.
Le vice procureur général français, Jean-Julien Xavier-Rolai, qui accompagnait la délégation, s’est félicité de la coopération avec les autorités rwandaises et, sans préjuger du résultat final de l’enquête, qui ne devrait pas être connu avant mars 2011, il a déclaré que l’intérêt de l’exercice était déjà de « mettre un terme à certaines constructions intellectuelles. »
Les magistrats français étaient entourés d’une solide équipe : outre un membre de la cellule anti-terroriste et trois attachés de sécurité, elle comprenait un expert en balistique, deux spécialistes des crash aériens, des explosifs et des incendies et des géomètres. En outre, des experts écossais, qui avaient déjà assisté les Rwandais lors de leurs propres investigations, s’étaient joints aux Français.
Durant huit jours, ces spécialistes de haut niveau ne se contentèrent pas de relire les PV d’audition, de consulter les témoignages déjà recueillis précédemment : à plusieurs reprises, et, entre autres à la tombée de la nuit, à l’heure où, le 6 avril 1994, le Falcon 50 faisait son approche, ils se sont rendus sur la colline de Masaka, dans le camp militaire de Kanombe (deux lieux situés dans le même axe), dans l’ancienne tour de contrôle et dans le domaine présidentiel retrouvant l’endroit exact, où, près de la piscine, l’avion avait terminé sa course. Ils ont ainsi pu reconstituer la trajectoire de l’appareil, ont mesuré l’angle de tir des missiles, essayé de déterminer le lieu exact d’où ces derniers avaient pu être tirés.
Alors que ni le juge Bruguière, ni l’écrivain Pierre Péan ni tant d’autres spécialistes s’étant prononcés sur le sujet n’avaient jugé utile de se déplacer, l’équipe française a reconnu avoir eu accès, autant de fois qu’elle le souhaitait, à tous les sites importants et les dépositions d’une vingtaine de « témoins essentiels » ont été enregistrées, dont celle d’un contrôleur aérien rwandais, qui observa l’arrivée puis la chute de l’avion depuis la tour de contrôle.
Le ministre rwandais de la Justice, Tharcisse Karugarama, a confirmé que « l’équipe avait eu accès à tous les témoins souhaités, à tous les documents demandés; ayant reçu toute l’information nécessaire, nous souhaitons désormais qu’ils fassent un rapport objectif ».
Les avocats défenseurs des inculpés rwandais, Me Lev Forster et Bernard Maingain, se sont également réjouis de la bonne coopération des autorités et se sont demandé, une fois de plus, pourquoi jamais la famille Habyarimana ou les familles des victimes françaises n’avaient exigé que l’enquête soit menée sur les lieux du crime…
http://blogs.lesoir.be/colette-braeckman/2010/09/21/rwanda-enfin-une-enquete-de-terrain/
Posté par rwandaises.com