Le président chinois, Hu Jintao, à Nairobi le 28 avril 2006.

Le président chinois, Hu Jintao, à Nairobi le 28 avril 2006.AFP/SIMON MAINA

En Afrique, les Etats-Unis regardent de près les faits et gestes de le Chine. Au cours des cinq dernières années, Washington a pris conscience que l’envergure de la politique africaine du gouvernement chinois, destinée notamment à garantir l’accès aux ressources du continent noir, est devenue une menace pour ses propres intérêts. Rien d’étonnant que les diplomates suivent avec attention certains dossiers liés à la présence chinoise en Afrique, et tentent de voir plus clair dans la politique de Pékin, même lorsqu’il s’agit d’une affaire de corruption.

Le Kenya en fournit un exemple. Dans un document obtenu par WikiLeaks et analysé par Le Monde, l’ambassade amércaine à Nairobi décortique un cas de pot-de-vin versé dans le cadre d’une attribution de marché de la compagnie de téléphone Telkom Kenya à une entreprise chinoise, Zhongxing Telecommunications Equipment Company (ZTE) – dont les produits envahissent l’Afrique – dans le cadre d’un marché d’équipement des services de renseignement, le NSIS.

Pour les diplomates, l’attribution du marché repose sur un « pot-de-vin « , qui a « conduit Telkom à attribuer ce marché [à ZTE] après y avoir été contrainte » par le directeur général du NSIS, Michael Gichangi, et le directeur de la division des opérations, Joseph Kamau. « La préférence de Gichangi pour ZTE est basée sur une commission reçue au cours d’un voyage en Chine. Kamau a reçu des paiements mensuels de 5 000 dollars de ZTE, utilisés pour payer des factures médicales. »

« DES CONTREBANDIERS D’IVOIRES CHINOIS« 

Ce cas de corruption somme toute modeste est-il fondé sur une enquête serrée ? Le télégramme ne le dit pas, son auteur préférant passer à d’autres aspects de la présence chinoise, notamment le fait que le pays est « submergé » par de la « contrefaçon chinoise » qui concurrence des produits américains, telles que « les batteries », tandis que des masses de travailleurs chinois arrivent au Kenya et menacent l’emploi dans le pays.

 

A Nairobi,

A Nairobi, « 90% des contrebandiers d’ivoire sont chinois », selon l’organisme kenyan chargé des parcs et de la faune sauvage, le KWSAFP/DOUANES FRANCAISES

Le même télégramme fait état d’une conversation avec un responsable de l’organisme kenyan chargé des parcs et de la faune sauvage, le KWS. Celui-ci dit avoir noté « une hausse sensible des activités de braconnage à proximité des camps où sont installés les travailleurs chinois ». Il cite un rapport du KWS qui avance que « 90% des contrebandiers d’ivoires détenus à l’aéroport [de Nairobi] sont des Chinois. »

Au Nigeria, les ambitions de la Chine intéressent et inquiètent beaucoup plus. Le pays est le premier fournisseur africain de pétrole de la Chine et pour Pékin, il s’agit d’y « sécuriser » la continuité de ses approvisionnements pétroliers. Pour cela, tous les moyens sont bons, selon les diplomates américains, qui voient avec effarement qu’en 2004, par exemple, la Chine « a promis de financer le percement de près de 600 puits » au Nigeria, tandis que les Etats-Unis, de leur côté, n’en « finançaient que 50 ». Et l’auteur du télégramme de relever qu’à une réception à l’ambassade de Chine, un ministre Nigerian a qualifié le pays de ses hôtes de « plus important partenaire de l’Afrique ».

« L’ANGOLA S’EST TOURNÉ VERS LES CHINOIS »

De même, les diplomates américains scrutent les activités de la Chine en Angola, riche de ses ressources pétrolières et minières. L’Angola est le premier pays d’Afrique où Pékin a mis en œuvre une formule associant des déboursements de gros montants (plusieurs milliards de dollars) à des travaux de très grande ampleur dans les infrastructures et des remboursements garantis par des livraisons de matières premières. Un télégramme décrit comment, après la fin de la guerre civile qui avait dévasté le pays jusqu’en 2002, « en l’absence d’une conférence internationale de bailleurs de fonds occidentaux pour l’aider à financer sa reconstruction, l’Angola s’est tourné vers les Chinois ».

 

Le vice-président chinois, Xi Jinping, et le président angolais, José Eduardo dos Santos,  à Luanda, le 19 novembre 2010.

Le vice-président chinois, Xi Jinping, et le président angolais, José Eduardo dos Santos, à Luanda, le 19 novembre 2010.AFP/FRANCISCO BERNARDO

Le financement chinois s’est matérialisé par une ligne de crédit de 4 milliards de dollars auprès de la Eximbank chinoise, garantie sur du pétrole. Ce n’est qu’une première étape. Des « rapports non confirmés font état d’une ligne de crédit supplémentaire de 4 à 6 milliards de dollars », s’inquiète l’auteur d’un télégramme, qui relève cependant quelques difficultés : ce second afflux de milliards doit être financé par un fonds d’investissement basé à Hongkong, le China Investment Fund (CIF), une structure opaque. Dans un premier temps, l’ambassade « doute que [ce projet] attire suffisamment d’investisseurs chinois dans le secteur des infrastructures ».

L’ANGOLA NE PEUT PLUS PAYER LES TRAVAILLEURS CHINOIS

Peu à peu se dessine une série de ratés dans la machine des financements de Pékin. « Le rythme endiablé des engagements chinois en Angola s’est considérablement ralenti en 2009 quand la crise financière globale a taillé dans les revenus du pétrole et des diamants angolais, entraînant des réductions des dépenses du gouvernement angolais. Selon l’ambassadeur chinois à Luanda, la Chine a été obligée de rapatrier plus de 25 000 travailleurs (…) faute d’argent du gouvernement angolais pour les payer. »

Est-ce en raison de ces difficultés que les relations entre diplomates chinois et américains à Luanda semblent s’améliorer au fil du temps ? En 2008, les deux ambassadeurs essayaient d’identifier des projets communs, bien qu’un peu limités, dans leurs efforts pour communiquer, par le fait que le Chinois, regrette son homologue, « ne parle ni portugais, ni anglais, et juste un peu d’espagnol ». Au passage, le diplomate américain essaie de glaner des informations sur le CIF, mais échoue. Son interlocuteur s’évertue à s’en dissocier…

L’année suivante, les relations diplomatiques sino-américaines en Angola continuent de se réchauffer. En janvier, un haut responsable de l’ambassade chinoise « tient une longue série de discussions très ouvertes » avec ses homologues, lesquels qualifieront la conversation de « très étonnante en raison de la densité de son contenu et de sa tonalité constructive, dans un esprit de collaboration ».

Etonnante en effet puisque le diplomate chinois y fait part de ses doutes au sujet d’une nouvelle tranche de financements chinois. Le « nombre à un chiffre de milliards [de dollars]«  susceptible d’être déboursé ne sera plus garanti sur des livraisons de pétrole, mais nécessitera un engagement direct du gouvernement local. Continuer à garantir des prêts sur des livraisons de brut « serait trop humiliant pour l’Angola », estime-t-il.

« DOUZE MILLIARDS SUPPLÉMENTAIRES »

Lors d’une visite récente en Chine, le président angolais, Eduardo Dos Santos, a fait part des besoins courants de son pays en matière de financements chinois : « douze milliards supplémentaires ». Or, les engagements contractés en 2003 entre les deux pays limitaient les financements chinois à dix milliards. Quatre milliards et demi ont déjà été engagés. Et le diplomate chinois de se plaindre des modes de fonctionnement de la CIF, proche du gouvernement local, mais bien que disposant « d’une large présence en Angola, sa mauvaise gestion et les faiblesses de sa direction ont paralysé de nombreux projets ».

Le diplomate chinois conclut alors que son pays ne pourra faire face aux « besoins de l’Angola ». « [Il] exprime sa préoccupation de voir les responsables du gouvernement angolais ne pas prendre la mesure de la crise économique globale et son impact sur la capacité de la Chine à lever des fonds privés pour des projets en Angola. »

Au final, pourquoi la Chine et les Etats-Unis ne s’associeraient pas dans des projets de coopération en Angola ? On envisage de chercher des pistes dans le secteur de l’agriculture ou celui de la santé. « Il est important que les Angolais et d’autres observateurs de l’Afrique puissent voir comment nos deux pays peuvent coopérer dans le cadre d’une vision pour un Angola meilleur », conclut diplomatiquement l’auteur du télégramme américain.

http://www.lemonde.fr/international/article/2010/12/08/wikileaks-la-chine-en-afrique-une-menace-pour-les-interets-americains_1450871_3210.htmlJean-Philippe Rémy
Posté par rwandaises.com