L’attentisme de la France vis-à-vis de l’Afrique lui fait perdre de son capital sympathie et diminue son influence. La «patrie des droits de l’homme» ne fait plus rêver.
La chute brutale de Ben Ali a provoqué la stupeur dans tout le Maghreb. Son départ en catastrophe le 14 janvier dans un avion à destination de l’Arabie saoudite a tout autant étonné. Les moins surpris par cette «révolution du jasmin» n’ont pas été les autorités françaises -alors que la France est sensée est une très grande connaisseuse des réalités tunisiennes.
Plus de 1.000 entreprises françaises sont installées à Tunis et 25.000 Français vivent dans cet ancien protectorat où un million de Français prennent chaque année des vacances. Et pourtant, il semble bien que la France n’ait rien vu venir du ras-le-bol populaire face à un président au pouvoir sans partage depuis 23 ans. Véritable dictature dans laquelle les journalistes tunisiens et étrangers étaient empêchés d’exercer leur profession et toute la population bâillonnée, sans que cela gêne outre mesure les dirigeants français. De Jacques Chirac à Nicolas Sarkozy, ils ne manquaient jamais de faire l’éloge du «modèle tunisien», de cette «belle démocratie» où l’opposition avait été brisée (seuls les partis aux ordres avaient le droit à une existence légale; ainsi, il était sûr d’être réélu avec 90% des suffrages lors de chaque présidentielle, les autres candidats ayant fréquemment la sagesse d’appeler à voter pour Ben Ali), et où, en 2002, Ben Ali avait ouvert la voie à une présidence à vie.
La France aveugle
Alors que le régime Ben Ali faisait tirer début janvier à balles réelles sur la jeunesse qui manifestait -selon l’opposition, 90 Tunisiens ont été tués-, la France a eu cette étrange idée: par la voix de sa ministre des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, elle a proposé de mettre à la disposition des Tunisiens «le savoir-faire de nos forces de sécurité, reconnu dans le monde entier.» Curieuse proposition dans un ex-protectorat. D’ailleurs, le régime de Ben Ali s’en est servi en disant aux manifestants: «Si vous continuez à protester, les Français vont revenir nous coloniser». Obnubilée par son désir de faire partager ce «savoir-faire» made in France en matière de maintien de l’ordre, Paris n’a pas vu monter la colère tunisienne. La France n’a pas compris que désormais cette jeunesse n’acceptait plus le «vieux monde de Ben Ali», celui de sa censure et de ses flics surannés. Pour ceux qui ont été rebaptisés localement les «Facebookiens» -car les jeunes Tunisiens sont très présents sur les réseaux sociaux- l’information doit circuler librement. De jeunes blogueurs se sont improvisés journalistes afin de rendre compte de la révolte de leur génération. Loin des lieux de pouvoir traditionnels fréquentés par les officiels français et tunisiens, un nouveau pays s’est dessiné. Et la vieille France a donné l’impression d’être dépassée par les événements.
Tout comme elle n’a rien vu venir des mouvements agitant l’opinion en Afrique noire. Juste après la proclamation des résultats de l’élection présidentielle du 28 novembre en Côte d’Ivoire, Nicolas Sarkozy a donné 72 heures à Laurent Gbagbo pour quitter le pouvoir. En agissant ainsi, il a donné -à son corps défendant- un sérieux coup de main au président sortant. Après cette sortie de Sarkozy, le ministre de la jeunesse de Gbagbo, Charles Blé Goudé, s’est senti ragaillardi. Il avait trouvé un nouveau terreau à son «nationalisme». L’autoproclamé «général de la jeunesse» a rappelé que Gbagbo n’était pas un «sous-préfet français». Et il a accusé «la France de Sarkozy» de préparer un «génocide en Côte d’Ivoire». Le «French bashing» est devenu une valeur sûre, à Abidjan comme ailleurs en Afrique francophone.
L’Afrique de plus en plus hostile à la France
Paris a aussi accru le ressentiment d’une partie de l’opinion africaine en participant à des opérations militaires contre AQMI (Al Qaïda au Maghreb islamique) au Mali et au Niger. Depuis une action militaire conjointe avec l’armée mauritanienne pour tenter de libérer en juillet 2010 l’otage Michel Germaneau, le président mauritanien est présenté par une partie de son opinion publique comme «l’homme des Français» dans la région. Une image dont il se serait bien passé. Dans ses ex-colonies, la position de la France n’est jamais aisée. Si elle s’implique, elle est accusée d’ingérence ou de néo-colonialisme. Mais si la France garde le silence, elle est accusée d’indifférence. Le discours de Dakar au cours duquel Nicolas Sarkozy affirmait en 2007 que l’homme africain n’était pas suffisamment rentré dans l’histoire avait lui aussi fait croître les sentiments anti-français. «Les plus jeunes africains n’acceptent plus ce paternalisme de l’ex-puissance coloniale. Du coup, ils deviennent de plus en plus hostiles à la France», analyse l’écrivain Marcus Boni Teiga.
Sur le continent, la France donne fréquemment l’impression d’être obsédée par le maintien du statu quo et la défense des pouvoirs en place. Au point d’encourager les successions dynastiques. Au Gabon, avec Ali Bongo qui succède à son père lors d’une élection très contestée en 2009, ou encore au Togo. Dans cette ex-colonie française, Faure Gnassingbé a remplacé en 2005 Gnassingbé Eyadéma, après un scrutin également sujet à caution. «Et maintenant, les Africains pensent que Paris pourrait aider le président sénégalais Abdoulaye Wade à mettre en place une succession dynastique au profit de son fils Karim, explique l’écrivain sénégalais Barka Ba. L’image de la France n’en sort pas grandie.»
La France n’est pas la seule démocratie à soutenir des régimes en mal de légitimité. Mais les Etats-Unis donnent le sentiment d’être plus réactifs aux changements. Comme s’ils humaient mieux l’air du temps. Ainsi, en 1997, ils ont lâché Mobutu bien avant les Français, alors qu’ils l’avaient pourtant considérablement aidé à prendre le pouvoir et à s’y maintenir pendant trente ans. Lors de la crise tunisienne, les Etats-Unis ont très vite pris fait et cause pour les manifestants et, rapidement, ont laissé tombé Ben Ali alors qu’ils s’accommodaient jusqu’à présent fort bien de son pouvoir dictatorial.
En matière de respect des droits de l’homme et de démocratisation, la France ne fait pas preuve d’une grande intransigeance avec ses alliés dans la région. Les pressions pour accélérer la démocratisation au Maroc, en Algérie ou en Tunisie sont très timides. D’autant que ces pays promettent d’aider la France dans sa lutte contre le terrorisme islamiste. Sous une pression plus forte de la France, le régime Ben Ali aurait sans doute accepté de se démocratiser ou au moins de se libéraliser, et ne se serait sans doute pas écroulé comme un château de cartes.
Cet attentisme est sans doute une erreur. A force de cécité, la France perd le capital de sympathie dont elle jouissait dans la région. D’autant qu’elle ferme ses frontières et qu’une partie de ses élites développe un discours anti-musulman. En Afrique noire et au Maghreb, la «patrie des droits de l’homme» ne fera bientôt plus rêver les Facebookiens. Et l’influence de la France en sera d’autant plus réduite.
Pierre Cherruau
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