Conscient des menaces, Laurent Gbagbo avait averti ses amis qu’il préférait la mort au déshonneur et que jamais il ne se comparaîtrait devant la Cour pénale internationale. Se présentant comme victime d’un complot, il ne craignait pas de se comparer à Salvador Allende, le président chilien retrouvé « suicidé »ou  à Patrice Lumumba, le Premier Ministre congolais trahi par l’ONU. Aujourd’hui qu’il est terré dans sa résidence  pilonnée par les bombardements français, sa résistance est qualifiée d’obstinée, et son refus de reconnaître sa défaite électorale est qualifiée d’entêtement.  En d’autres temps, le fait de résister ainsi jusqu’au bout, entouré de sa famille,  de ses proches, et d’une poignée de soldats fidèles à l’ordre républicain serait plutôt qualifié d’acte héroïque…

Durant sa longue carrière cependant, Laurent Gbagbo a davantage ressemblé à un politicien de la 4eme République, à un social démocrate réformiste, qu’à un héros de légende.  Alors que Ouattara est le fils d’un chef traditionnel, grand commerçant du Nord, Laurent Gbagbo est d’origine modeste : père sergent de police, famille catholique enracinée dans le «Grand Ouest ».

La fidélité à la France imprègne la famille : le père est décoré pour faits de guerre contre les Allemands, le fils passe sa licence d’histoire à Abidjan puis soutient une maîtrise à la Sorbonne. Et c’est en France aussi, tout naturellement, que Gbagbo se réfugie en 1985, après avoir fondé, dans la clandestinité, le Front patriotique ivoirien.  A Paris, hébergé par Guy Labertit, le « Monsieur Afrique » du PS français, Laurent Gbagbo inscrit son parti à l’Internationale socialiste et laisse le souvenir d’un militant jovial, qui anime les soirées en chantant « avec ma gueule de métèque ».

Lorsqu’il rentre au pays, il se présente aux présidentielles de 1990,  obtient 18% des voix contre le vieil Houphouet et devient porte parole de l’opposition. Lorsqu’Ouattara est nommé Premier Ministre, l’opposition entre les deux hommes est d’abord idéologique : Gbagbo, syndicaliste, homme de gauche, se heurte à l’économiste libéral, qui privatise les entreprises d’Etat (mal gérées) et veut « dégraisser » la fonction publique.  A l’issue de manifestations d’étudiants, Ouattara envoie en prison Laurent et son épouse Simone Ehivet, professeur d’histoire et militante radicale. A l’époque cependant, c’est Henri Konan Bédié, un Baoulé comme Houphouet, qui  lance la campagne de l’ « ivoirité », accusant Ouattara d’être un étranger. Après la mort d’Houphouet, la bataille fait rage entre les  deux « dauphins » Bédié le successeur constitutionnel,  soutenu par le centre et le sud du pays, et Ouattara l’homme du Nord.  Lorsque le général Robert Guei, qui a renversé Bédié en 1999, se présente aux élections de 2000, Ouattara est écarté pour cause de « nationalité douteuse » et Gbagbo, devenu un homme politique rusé, tente sa chance et l’emporte. Lorsque Guei refuse sa défaite, les jeunes descendent dans la rue et  ramènent Gbagbo au pouvoir.

A l’époque, la France de Chirac s’inquiète de  l’arrivée de cet  homme qui se présente comme socialiste, qui veut diversifier les relations économiques d’une Côte d’Ivoire jusqu’alors chasse gardée des intérêts français. Gbagbo ne réussit pas à convaincre et lorsqu’en 2002, il est confronté à une rébellion nordiste, la France refuse de faire jouer les accords de défense. Déjà, Gbagbo est donné pour perdu : les rebelles des Forces Nouvelles occupent la moitié nord du pays,  les accords dits de Marcoussis imposent au président de céder à ses adversaires la défense et la sécurité, mais une fois encore, la rue le sauve. reste en fonctions tandis que les Français déploient une force d’interposition de 9000 hommes, Licorne, censée être impartiale. En gage de réconciliation, Gbagbo nomme Guillaume Soro, l’un des chefs de la rébellion, au poste de Premier Ministre, mais en réalité ce dernier demeurera toujours le « sous marin » d’ un Ouattara qui attend son heure.

Entretemps, le militant socialiste s’est embourgeoisé, son entourage se compromet dans des « affaires »,  son épouse Simone tombe sous l’influence de pasteurs américains, un journaliste, Pierre André Kieffer, qui enquêtait sur la filière cacao, disparaît, vraisemblablement assassiné. Réclamant en vain le désarmement des rebelles du nord, Gagbo renâcle à organiser des élections et n’y consent qu’en  2010. Il est d’autant plus sûr de la victoire qu’il a donné des gages à la France des affaires : Bolloré a obtenu la gestion du port d’Abidjan, Total a reçu un bloc pétrolier offshore…En réalité,  l’habile politicien s’était concilié une certaine France, celle des intérêts nationaux, mais il a oublié que son rival Ouattara détient d’autres atouts: un carnet d’adresses américain,  la confiance du capital mondialisé, l’amitié de Sarkozy…Lors de sa dernière partie, celle du deuxième tour des présidentielles,  le boulanger, celui qui avait toujours roulé tout le monde, a du faire face à des coups imprévus : le vieux Bédié a reporté ses voix sur son ancien ennemi Ouattara,  la Cour Constitutionnelle acquise à Gbagbo a du composer avec une Commission électorale largement favorable à son adversaire, les Nations Unies  se sont empressées de certifier  un résultat électoral cependant contesté dans les provinces du Nord. Et surtout, nombre d’électeurs, ont pris le risque de voter pour le changement…Jusqu’au bout, l’historien a refusé de voir que la roue avait tourné…

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Posté par rwandaises.com