Abidjan en avril, Tripoli en août…Certes, la Côte d’Ivoire de Gagbo n’est pas la Libye de Kadhafi. Cependant, d’un renversement de régime à l’autre, comment ne pas être frappé par les similitudes entre les deux situations, dans lesquelles des forces spéciales européennes, françaises d’un côté, franco-britanniques de l’autre, ont joué un rôle déterminant ?
Les prémices certes, sont différentes : en Côte d’Ivoire, le président Gbagbo refuse d’accepter sa défaite, au terme d’élections contestées et, se fondant sur l’avis du Conseil Constitutionnel, il se considère comme le dirigeant légitime, ce que récuse la communauté internationale, par la voix des Nations unies. Depuis 2002, il est confronté à une rébellion dont la base se trouve dans le Nord du pays et qui soutient son rival, Alassane Ouattara, un ancien directeur du FMI, bien en cour à Paris comme à Washington.
En Libye, le colonel Kadhafi, qui dirige son pays d’une main de fer depuis 42 ans, est défié, dans la foulée du printemps arabe, à une insurrection armée partie de Cynénaïque, une région traditionnellement hostile au pouvoir de Tripoli, et il s’engage à mater dans le sang des insurgés traités de « rats ».
Refus du résultat des élections d’un côté, menaces de massacre de l’autre : dans les deux cas, la raison d’une intervention militaire, justifiée par une résolution de l’ONU, sera fournie par les deux dirigeants eux-mêmes.
Le Conseil de sécurité, par la résolution no 1975 du 31 mars, entérine l’intervention des forces françaises en Côte d’Ivoire, en appui à la force Licorne qui se trouve déjà sur place et aux côtés de l’Onuci (Organisation des Nations unies en Côte d’Ivoire), afin de protéger les civils et d’empêcher l’envoi d’armes lourdes.
En Libye, la résolution 1973 autorise l’intervention des forces de l’OTAN, invoquant la nécéssité de protéger les populations civiles. Dans les deux cas, les tentatives de médiation menées par l’Union africaine sont prises de court voire disqualifiées tandis que les forces engagées dépassent largement leur mandat initial, le changement de régime et la mise hors jeu des leaders discrédités apparaissant rapidement comme le but ultime des deux opérations.
Dans les deux cas aussi, la capitale offre une résistance imprévue : dans Abidjan, acquise à Gbagbo, l’armée et la gendarmerie se battent efficacement contre les rebelles nordistes, à Tripoli, les forces pro Kadhafi, très bien armées et équipées, mettent en difficulté les insurgés venus de Cynéraïque. Alors que sur le terrain la situation marque le pas, une « botte secrète » est mise en œuvre : en Côte d’Ivoire, une « armée invisible », dirigée par le sergent Ibrahim Coulibaly, s’infiltre dans les quartiers, s’empare de caches d’armes et, le jour prévu, déclenche une offensive généralisée qui fera basculer la ville en quelques jours. Les rebelles, insaisissables et en civil, sont discrètement aidés par des forces spéciales françaises tandis que des hélicoptères de l’ONUCI les déposent en arrière des lignes gouvernementales.
A Tripoli aussi, des assaillants, disposant d’armes neuves, qui ont été entraînés dans le djebel Nefoussa, relayent les insurgés. En quelques jours, ils font basculer la capitale et envahissent Bab Al-Azizia, le bastion de Kadhafi, lui aussi décrit comme un « bunker » à l’instar du palais présidentiel d’Adidjan. Des images des derniers jours de Hitler hantent les esprits et en Côte d’Ivoire, la télévision des pro- Ouattara passera même un film montrant la fin du Führer ! Terré dans sa cave, Laurent Gbagbo finit par être arrêté après que les bombardements français aient provoqué un incendie. Au moment du dénouement, les forces spéciales françaises qui ont mené l’assaut s’effacent obligeamment pour laisser aux rebelles le crédit de l’opération. Le président sortant sera emmené en captivité dans le nord du pays.
En Libye, des forces spéciales françaises, britanniques mais aussi quataries appuient le Conseil national de transition, assurent la coordination entre les unités d’élite et les forces de l’OTAN qui bombardent mais ne peuvent intervenir au sol.
Dans les deux cas, des importants stocks d’armes sont mis en circulation, les portes des prisons s’ouvrent, les destructions sont massives et l’on dénombre des milliers de morts et de blessés civils. En Côte d’Ivoire, les rebelles, une fois maîtres du terrain, se livrent à des pillages, des représailles à l’encontre des ressortissants du sud et du centre du pays, les villes de l’Ouest (Douekoue, Gagnoa) sont le théâtre de massacres de grande ampleur, les hommes adultes étant systématiquement liquidés. Le CICR recense 800 morts à Douekoue. A Tripoli, les forces pro Kadhafi ont tué des civils, des snipers sont entrés en action mais les reporters ont découvert que les rebelles avaient exécuté des dizaines de prisonniers-mains liées dans le dos- et MSF s’alarme de la situation dans les hôpitaux où affluent les blessés.
Quant à la victoire, elle se révèle amère : en Côte d’Ivoire, Ibrahim Coulibaly, le sergent IB qui avait dirigé l’ « armée invisible » a été exécuté car il n’acceptait pas l’autorité de Guillaume Soro, le premier ministre de Ouattara. En Libye, les divisions au sein du CNT se sont déjà traduites par l’assassinat du général Younès et d’autres fractures apparaissent, entre tribus, entre régions.
Cependant, dans les deux cas aussi un ordre nouveau se dessine : Alassane Ouattara tient un discours réconciliateur et fait appel à la Cour pénale internationale, le CNT promet des élections dans huit mois. En outre, les grands patrons français se sont rendus récemment à Abidjan, et, sur base d’un prêt de 400 millions de dollars, se sont engagés à reconstruire l’économie. En Libye, les fonds souverains (150 milliards de dollars) seront dégelés et rembourseront le coût de la guerre, les flux pétroliers changeront probablement de mains…
Posté par rwandanews