Le 11 septembre dernier, Robert Bourgi, le Monsieur Afrique bis de Sarkozy jette un pavé dans le marigot françafricain.Révélant avoir transporté des millions de dollars provenant de chefs d’Etat africains, pour financer la campagne présidentielle de Jacques Chirac en 2002.Les origines de l’influence qu’on lui prête, son pré carré, ses méthodes… Itinéraire d’un adepte du foccartisme.

Barcelone, 7 juin 2009. Omar Bongo Ondimba, doyen des chefs d’Etat africains (au pouvoir depuis 1967) et figure tutélaire de ce qu’il est convenu d’appeler la Françafrique, rend l’âme. D’un coup de fil au magazine parisien Le Point, Robert Bourgi, annonce la nouvelle. ‘Ce soir-là, il était mort cliniquement. Je ne sais même pas, dit-il placidement, s’il n’était pas parti avant’. Les démentis vigoureux du gouvernement gabonais n’y firent rien – il ne l’a annoncé que le lendemain 8 juin. L’Agence France presse (Afp) confirmait la mort du doyen, citant ‘une source proche du gouvernement français’. Et si l’on se fie à celle-ci, cette source n’était personne d’autre que… lui-même. Court-circuitant du coup, les canaux diplomatiques officiels du Quai d’Orsay ! Cet épisode, à lui seul, suffit à illustrer la place et le rôle qu’occupe ce conseiller de l’ombre au cœur de certains Etats africains et français. Dans des circonstances presque similaires, lorsque le 7 décembre 1993 mourut Houphouët Boigny, son ‘modèle’ Jacques Foccart, hors service depuis des années, a été le premier à en être informé à Paris, quelques minutes après l’événement. Curieuses ressemblances…
C’est que cet avocat franco-libanais, et influent conseiller occulte Afrique de Nicolas Sarkozy, était le missi dominici appointé de Bongo père. Qu’il appelait ‘papa’ comme le faisait naguère, l’empereur centrafricain Bokassa, à l’endroit du général de Gaulle et qui l’agaçait tant. Pendant le règne d’Omar Bongo, Robert trônait sur l’hôtel Meurice, le palace parisien où le président gabonais recevait lors de ses séjours parisiens. Autre preuve de la proximité entre les deux hommes, ‘je me souviens, témoigne Alain Joyandet, alors secrétaire d’Etat français chargé de la Coopération, l’avoir vu entrer sans frapper dans la suite du président pour s’introduire sans façon, au milieu de notre conversation’. Bongo était aussi le parrain d’une petite fille qu’a eue Bourgi – fruit d’une liaison adultérine assumée, y compris par son épouse. Et ce dernier est lui-même, le parrain de l’un des fils de Bongo. En 2009, il s’est investi sans compter pour faire élire son poulain Ali Bongo et non moins fils et héritier du défunt président. Qu’il présente comme ‘le meilleur défenseur des intérêts de la France dans tous les domaines’. Mais le poulain est aussi un client car, ‘si Ali n’était pas élu, analyse un haut diplomate, il perdrait l’un de ses derniers gros marchés’. On le voit donc, la défense des intérêts français et ceux qui lui sont propres, fait la méthode Robert.

‘Un sens aigu de la psychologie du pouvoir. Un charme à la fois viril et désuet. Un goût affirmé de la discrétion et un très solide réseau’

Le même entregent lui a également ouvert bien des palais présidentiels, de Brazza, Dakar (jusqu’à récemment) à Lomé et Abidjan, via Nouakchott, Antananarivo (Madagascar). Et lorsqu’il se rend dans ces différentes capitales, c’est presque toujours dans un avion privé affrété par une grande entreprise intéressée par son carnet d’adresses ou par un chef d’Etat auquel il vend la promesse de contacts politiques de haut niveau en France. Mais qui est vraiment Robert Bourgi ? D’où tire-t-il cette influence auprès de Sarkozy, de la droite française et de certains salons présidentiels lambrissés sur le continent ? ‘D’un sens aigu de la psychologie du pouvoir. D’un charme à la fois viril et désuet. D’un goût affirmé de la discrétion. Et d’un très solide réseau’, analysent Raphaëlle Bacqué et Philippe Bernard, journalistes au quotidien français Le Monde.*

Robert Bourgi est né le 4 avril 1945 à Dakar, dans une grande famille de commerçants d’origine libanaise. Son père, Mahmoud Bourgi, prospère importateur de textile, noue des relations d’affaires avec un certain Jacques Foccart, conseiller Afrique du général de Gaulle et qui tient un négoce florissant de textile lui aussi, à travers la société Safiex (1944-1991). Gaulliste de la première heure, Bourgi père est l’un des premiers adhérents au Rassemblement du peuple français (Rpf) et l’informateur attitré de Foccart à Dakar. D’ailleurs, le fils ne manque pas de décrire les méthodes de son futur ‘maître’ dans sa thèse de doctorat d’Etat en sciences politiques sur ‘Le général de Gaulle et l’Afrique noire (1940-1969)’ soutenue en 1978 à l’université Paris I. ’Il recourt à divers stratagèmes propres aux organisations et sociétés secrètes : formations de réseaux de renseignements, (…) enquêtes sur les opinons politiques des administrateurs et fonctionnaires coloniaux, (…) tentatives de ‘noyautage’ des milieux d’affaires français installés en Afrique’. Une fascination par les réseaux déjà… La thèse bouclée, le jeune Robert se met à la recherche d’une situation. Il enfile la tunique de coopérant et professe le droit à Cotonou, Nouakchott et Abidjan où il rencontre Laurent Gbagbo alors professeur d’histoire, et futur président de la Côte d’Ivoire. Chez eux, le droit est une affaire de famille : Rasseck est avocat à Paris et l’autre frère, Albert, l’aîné, est prof de droit et de relations internationales à l’université de Reims. Mais Robert n’est, dans la pratique, avocat que de nom. ‘C’est ma femme Catherine, sourit-il, qui traite les dossiers et plaide. Moi, j’apporte les affaires. D’ailleurs, je n’ai passé la robe que le jour de ma prestation de serment’.

Chirac à Villepin à propos de Bourgi : ‘Vous ne le prenez pas au téléphone, vous ne le recevrez jamais à la présidence. S’il a des choses à dire, qu’il les dise au ministère des Affaires étrangères ! ’

Donc, le jeune coopérant s’ennuie visiblement, et son chemin croise, de nouveau, celui de Foccart qui n’a toujours pas de successeur désigné. Les connaissances utiles, ça sert. Ce dernier l’introduit donc auprès de Jacques Chirac, mais aussi et surtout, auprès de l’une des figures incontournables de l’Afrique à l’époque, le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny. Nous sommes à la fin des années 1970. Il fera la connaissance, par la suite, des présidents gabonais et congolais Omar Bongo et Denis Sassou Nguesso. La méthode relationnelle de Bourgi pour pénétrer cet univers ? Une déférence apparente ainsi qu’une familiarité, empruntées dit-on, à Jacques Foccart. Et qu’il mâtine à un humour et une chaleur tout orientale. Idem pour naviguer dans les milieux politiques hexagonaux de droite. Où il se lie à Jacques Chirac, Charles Pasqua – avec qui il se brouillera -, et Nicolas Sarkozy, qu’il rencontre en 1983 au siège du Rpr, ‘un gamin brillantissime’, opine-t-il.

17 mars 1997. Foccart disparaît. Du coup, il se sent soudain orphelin. C’est normal, c’est son ‘second père’. A l’enterrement, il le pleure comme un gamin. Chirac le prend dans ses bras et le convie à passer le soir même à l’Elysée. A son secrétaire général Dominique de Villepin, il est recommandé : ‘Vous allez travailler ensemble. Si je ne suis pas disponible, c’est lui qui vous recevra.’ Le chevalier Robert est adoubé. Mais les choses ne sont pas si simples car ses méthodes posent problème au Quai d’Orsay. Un exemple : alors que Michel de Bonnecorse, conseiller officiel de Chirac pour l’Afrique, demande à celui-ci, que faire des demandes de rendez-vous de Bourgi, le président coupe sec : ‘Vous ne le prenez pas au téléphone, vous ne le recevrez jamais à la présidence. S’il a des choses à dire, qu’il les dise au ministère des Affaires étrangères.’ Malgré tout, il rencontre Villepin une fois par mois. Puis vint le clash un jour entre les deux hommes. Les raisons ? Ici deux thèses s’affrontent. Celle du concerné lui-même : ‘J’ai travaillé avec Villepin pendant des années (…) Et puis, fin 2005, brutalement, il m’a chassé (…).’ Une autre veut que le conseiller occulte lâchera le protégé de Chirac le jour où il comprendra que celui-ci n’a aucune chance de l’emporter à la présidentielle de 2007. Quoiqu’il en soit, Robert gagne l’autre rive, le magot avec. ‘Il a ramené à Sarkozy, assure un chiraquien, la ration d’aide financière prévue pour Villepin, de la part de Bongo et de Sassou’.

‘Je ne suis pas conseiller, plutôt missi dominici. Mais je ne me déplace jamais sans informer Sarko et Guéant ’

Comment aujourd’hui l’entourage de Sarkozy voit-il l’influence du fils de Mahmoud auprès du président ? Ici également, les avis sont partagés. Pour certains diplomates, c’est du ‘trafic d’influence’. A les en croire, il allume un feu de brousse entre la France et les chefs d’Etat africains et tente ensuite de monnayer sa capacité à l’éteindre. Un pyromane, en clair. ‘Je travaille, à la fois, pour les présidents africains et pour le président français, explique tranquillement l’intéressé. Je ne suis pas conseiller, plutôt missi dominici. Mais je ne me déplace jamais sans informer Sarko et Guéant (alors secrétaire général de l’Elysée de mai 2007 à février 2011 et ministre de l’Intérieur, Ndlr)’. Celui-ci, pour sa part, qui avoue l’avoir vu tous les mois à l’Elysée, soutient : ‘J’aimais bien bavarder avec lui des réalités africaines. Il nous apportait une dimension sociologique et culturelle sur l’évolution des pays. Il perçoit l’importance des phénomènes tribaux, des croyances mais nous ne lui confions aucune mission. Et s’il prétend avoir vendu aux pouvoirs publics sa préférence personnelle, il va au-delà de son rôle.’ Pas si sûr. Entre les discours officiels et la réalité des coulisses ; de la coupe aux lèvres, il y a loin.

En tout cas, la fusion semble s’être opérée entre Robert et Nicolas, son ‘ami de trente ans’ et dont il dit ‘avoir l’oreille’. Lequel lui a d’ailleurs remis le 27 septembre 2007, la Légion d’honneur. Il a aussi, dit-on, su se payer, au nom d’Omar Bongo, la personne du ministre de la Coopération d’alors, Jean-Marie Bockel. Qui s’était risqué à déclarer vouloir mettre fin à la Françafrique. Mais limogeage lui en a pris. Bourgi a-t-il reçu le feu vert de son ami avant son coup de pied du 11 septembre dernier, dans la fourmilière françafricaine ? Dans une récente sortie à l’agence Reuters, Claude Guéant a admis qu’il avait déjà parlé à Nicolas Sarkozy, avant ses déclarations à la presse, des valises de billets qui auraient été remises par des dirigeants africains à Jacques Chirac et Dominique de Villepin. ‘Il lui avait dit, poursuit-il, qu’il existait des financements occultes, mais sans fournir de détails, ni sur les sommes ni sur les circuits’. De là à penser que le conseiller était en service commandé, la tentation est irrésistible, en effet.

Au final, moins qu’un continuateur de Jacques Foccart, Robert Bourgi demeure un conseiller officieux, un entremetteur, un porteur de valises. Après tout, il ne ‘vend’ son influence que dans cinq ou six pays africains. Là où son ‘maître’ tenait quasiment en laisse tout le pré-carré francophone. Mais aujourd’hui, les temps ont changé, la donne géopolitique avec. Même si des hommes de l’acabit de Bourgi ont encore quelques beaux restes devant eux, leur disparition est plus ou moins programmée. Et en ce sens, il est l’un des derniers Mohicans de la Françafrique.

Amadou Oury DIALLO

*Sources documentaires :

-’Robert Bourgi, vétéran de la Françafrique’ paru le 29 août 2009 dans Le Monde.

-François-Xavier Verschave, ‘La Françafrique, le plus long scandale de la République’, Ed. Stock, 2003

 

 

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