Monde Le 12 septembre 2011 à 0h00

La visite en France du président Kagame, une première depuis le génocide de 1994, doit mettre un terme à une guerre diplomatique encore mal digérée.

Par THOMAS HOFNUNG

Paul Kagame le 11 septembre 2011 à Aubervilliers lors d’une rencontre avec des expatriés. (© AFP Thomas Samson)

Pour échapper à la première visite officielle en France depuis le génocide de 1994 du président du Rwanda, Paul Kagame, Alain Juppé a choisi d’aller loin, le plus loin possible : aux antipodes. Après la Nouvelle-Zélande, le chef de la diplomatie française était en Australie ce week-end. Cette esquive bien peu diplomatique souligne à quel point la question franco-rwandaise reste brûlante, plus de dix-sept ans après le génocide perpétré au «Pays des mille collines».

Voulue par Nicolas Sarkozy dès le début de son mandat, et scellée par une visite du chef de l’Etat à Kigali début 2010, la réconciliation passe mal – c’est peu dire – auprès de certains cercles en France. Les politiques qui étaient aux commandes à l’époque du massacre au Rwanda – à commencer par Alain Juppé et Edouard Balladur – n’ont toujours pas digéré les conclusions d’une commission d’historiens locaux les accusant de complicité de génocide. Le rapport Mucyo cite les noms de treize dirigeants français et d’une vingtaine de militaires impliqués, selon elle, dans les événements tragiques au Rwanda : plus de 800 000 personnes, en très grande majorité tutsies, exterminées en cent jours sur ordre du régime hutu, alors allié de la France.

Accusations. Vendredi, le président du Sénat, Gérard Larcher, a fait savoir qu’il ne recevrait pas le président rwandais, déclinant une demande en ce sens de Kigali. Et avant même d’avoir commencé, la visite de Kagame à Paris a déjà fait une première victime collatérale. L’ambassadeur de France à Kigali, Laurent Contini, nommé début 2010, devrait être appelé à d’autres fonctions très rapidement. Alain Juppé ne décolère pas depuis qu’il a lu dans l’hebdomadaire Jeune Afrique l’interview du diplomate. Ce proche de son prédécesseur, Bernard Kouchner, y affirmait que la nomination de Juppé au Quai d’Orsay «du point de vue des Rwandais n’était pas une bonne nouvelle».

Du côté des militaires, l’indignation n’est pas moindre. Trois plaintes déposées en 2004 par des plaignants rwandais et visant des soldats français sont en cours d’instruction au Tribunal aux armées de Paris. Des crimes très graves, commis durant l’opération militaro-humanitaire Turquoise, leur sont reprochés : viols, exécutions sommaires… L’ancien commandant de l’opération Turquoise, le général Jean-François Lafourcade, demande aux plus hautes autorités de l’Etat de dénoncer ces accusations à l’occasion de la visite de Paul Kagame à Paris : «Nous n’avons rien contre la reprise des relations avec le Rwanda. Mais si on ne dit rien sur le rapport Mucyo, on va inscrire dans la mémoire collective l’idée que les soldats français se sont comportés comme des nazis !»

Or l’Elysée n’entend pas mettre cette question au centre des entretiens entre Sarkozy et Kagame. Se refusant à poser des préalables, Paris veut se tourner vers l’avenir et table sur l’extinction progressive des passions franco-rwandaises. L’ancien ministre de la Défense Paul Quilès, qui a présidé une mission d’information parlementaire en 1998 sur le rôle de la France au Rwanda, ne l’entend pas ainsi :«Si Kagame vient en France sans avoir retiré le rapport Mucyo, qui traite les soldats français de violeurs et d’assassins, ce sera une ignominie.»

La polémique sur le rôle de la France au Rwanda n’a jamais cessé depuis la tragédie de 1994 et la prise du pouvoir par Kagame à Kigali. A partir de 1990, à la demande de l’ancien président (hutu) Juvénal Habyarimana, la France de Mitterrand s’est fortement impliquée au Rwanda. D’abord militairement – pour repousser les attaques des rebelles tutsis, commandés alors par Paul Kagame -, puis pour tenter de promouvoir un règlement politique entre Tutsis et Hutus. Ce compromis (les accords d’Arusha, signés fin 1993) a été anéanti par l’attentat du 6 avril 1994, dans lequel a péri le président Juvénal Habyarimana. Ses proches ripostaient aussitôt en déclenchant l’extermination des Tutsis. Accusé d’avoir prêté une assistance militaire au régime hutu avant le génocide et d’avoir procédé à des livraisons d’armes durant le carnage, Paris a toujours refusé de faire son mea culpa. En 1998, la mission Quilès concluait à des «erreurs globales de stratégie», tout en réfutant une implication de Paris dans le génocide. En 2006, Kigali rompait ses relations diplomatiques avec Paris suite à l’émission par le juge Jean-Louis Bruguière de mandats d’arrêt visant plusieurs proches de Kagame, soupçonnés d’avoir organisé l’attentat contre l’avion d’Habyarimana, qui a aussi coûté la vie à son équipage français.

«Faute». Après l’élection de Sarkozy, le rapprochement entre Paris et Kigali est amorcé par Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères. En 2008, l’ancien French doctor, qui avait rencontré Kagame au Rwanda durant le génocide, évoquait à Kigali «une faute politique» à propos de l’attitude de la France. Réponse cinglante de Juppé sur son blog : «La diplomatie française ne devrait pas s’écarter de la voie de la vérité et de la dignité. Je comprends bien que la France veuille se réconcilier avec le Rwanda. De là à tomber dans les amalgames de la repentance ou les compromissions de la realpolitik, il y a un fossé.»

Le rapprochement se poursuit malgré tout. Paris profite du changement de ton des Britanniques et des Américains à l’encontre de Kagame. Après l’avoir soutenu de manière inconditionnelle, Londres et Washington prennent leurs distances avec un régime autoritaire, accusé par l’ONU de pillage des richesses et de tueries massives sur le sol du Congo voisin. Menacé d’isolement, Kigali accepte la main tendue de Sarkozy.

En février 2010, le président français avait soigneusement pesé ses mots lors d’une visite à Kigali, parlant d’«aveuglement», tout en pointant la responsabilité de l’ensemble de la communauté internationale dans la tragédie rwandaise. Lors de la visite de son homologue rwandais à Paris, il lui faudra trouver les mots justes pour apaiser les crispations françaises sans braquer ses hôtes.

Photo Marc Chaumeil

http://www.liberation.fr/monde/01012359267-une-reconciliation-franco-rwandaise-sous-tension

Posté par rwandanews