Par DOMINIQUE FRANCHE

La récente visite du président rwandais, Paul Kagame, a donné lieu à des propos haineux à l’encontre d’un pays qui salirait l’armée et les autorités françaises, accusées de complicité de génocide, et de Français qui s’interrogent. Pauvre France !

En 1998, aux questions insistantes concernant son rôle, on opposa un écran de fumée. Tel fut le rôle de la mission d’information parlementaire sur la «tragédie rwandaise». Pas une commission d’enquête, difficile à contrôler. Pas un génocide, une «tragédie».

La mission a laissé dire les protagonistes convoqués sans les contredire, à la différence de la commission sénatoriale belge. Alain Juppé a ainsi pu déclarer, contre toute évidence, que l’armée française avait sauvé «des centaines de milliers de vies». Certes, le rapport et ses annexes ont apporté des éléments nouveaux. Des os à ronger jetés aux rares gens intéressés. Mais qui lirait 1 854 pages ? En revanche, Paul Quilès, président de la mission, en a présenté un résumé édulcoré au journal de 20 heures. L’occasion d’établir les responsabilités a été sabotée.

Parmi bien des points non résolus figure le massacre de Bisesero. Avec un autre chercheur, j’ai rencontré, après la fin des travaux de la mission, Pierre Brana, un des rapporteurs. Agacé par ses propos lénifiants, j’ai finalement soulevé la question de Bisesero. A l’évocation de ce nom, il m’a longuement foudroyé du regard. J’avais dit un gros mot.

Située dans la «zone humanitaire sûre» de l’opération Turquoise, cette colline hébergeait des milliers de Tutsi pourchassés. Fin juin 1994, le délai entre la parution de l’information et le sauvetage des dernières centaines de survivants par des militaires français m’avait frappé. En fait, selon le témoignage de l’un d’eux, diffusé en 2005 sur France Culture, nos soldats ont dû désobéir à leurs officiers pour sauver ces vies !

Plus inquiétantes encore, les manœuvres d’enfumage autour de l’étincelle qui déclenche le génocide : la destruction de l’avion présidentiel. On ne sait toujours pas qui a ordonné l’attentat. En un sens, peu importe, le génocide étant prêt depuis des mois. Mais les négationnistes l’ont constamment utilisé en attribuant sa responsabilité à Kagame – hypothèse à considérer, même si celle des extrémistes hutus semble plus plausible.

Or, plusieurs manipulations ont entouré la boîte noire du Falcon présidentiel, comme si elle pouvait apporter quoi que ce fût. En juin 1994, le capitaine Barril en exhibe une fausse. Plus tard, on en retrouve à l’ONU une autre, qui va s’avérer être celle d’un Concorde : qui a pris la peine de l’apporter sur le lieu du crash, où seuls ont accédé des militaires hutus et français ? Le rapport de la mission parlementaire a aussi noté une tentative de désinformation concernant l’origine des missiles utilisés. S’ajoute à cela l’instruction de Jean-Louis Bruguière, juge de la raison d’Etat, aujourd’hui mis en examen dans l’affaire Karachi, qui conclut en 2006 à la responsabilité de Kagame sans avoir mené une enquête digne de ce nom.

On finit par se demander si la thèse de la journaliste Colette Braeckman, qui attribue les tirs à des militaires ou à des mercenaires français agissant pour les extrémistes hutus, aussi ahurissante qu’elle semble, ne serait pas la bonne. D’autant plus que, grâce notamment au peu de curiosité du juge Bruguière, on ne sait toujours pas ce que faisaient exactement au Rwanda en avril 1994 Barril et 24 coopérants militaires français – selon Quilès, nos soldats n’étaient plus présents.

Si nos militaires n’ont pas directement participé au génocide, des faits doivent néanmoins être rappelés. En octobre 1990, les forces essentiellement tutsies du Front patriotique rwandais (FPR) envahissent le nord-est du Rwanda pour obtenir le droit au retour des réfugiés chassés par vagues successives de 1959 à 1973. François Mitterrand décide d’envoyer des troupes. Sans cette intervention, il n’y aurait pas eu de génocide, car elle a donné aux radicaux hutus le temps de le préparer. Nos soldats équipent et entraînent l’armée hutue, en particulier la garde présidentielle, mais aussi des milices, alors que sont commis les premiers actes de génocide.

Le soir du 6 avril 1994, le gouvernement génocidaire est formé à l’ambassade de France, et deux ministres vont être reçus en plein génocide au Quai d’Orsay. En revanche, les employés tutsis de notre ambassade sont abandonnés aux tueurs ; un seul a la vie sauve, grâce aux soldats belges. Des livraisons d’armes, payées par la BNP-Paris, continuent. Fin juin, alors que la victoire du FPR met fin au génocide, l’opération Turquoise crée la zone humanitaire sûre. Sûre pour les génocidaires, qui y continuent les massacres avant de fuir au Zaïre, puis sous d’autres latitudes. Alors que plusieurs d’entre eux ont été condamnés par les tribunaux de différents pays, aucun de ceux qui se trouvent en France n’a encore été jugé, ce qui a valu à la France une condamnation de la Cour européenne. Complicité de la France ? Non. Ne sont accusés que quelques dizaines d’officiers et de civils proches, en général, de Mitterrand. C’est justement dans l’espoir d’échapper à leurs responsabilités qu’eux et leurs amis brandissent l’étendard. Ne soyez pas leurs dupes !

Libération 30.09.201

Dernier ouvrage :«Généalogie du génocide rwandais».

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