La politique, innovante, de Kigali en matière de santé publique est une réussite. Bruno Meessen (Institut de médecine tropicale d’Anvers) nous dit pourquoi.
Bruno Meessen, chercheur à l’Institut de médecine tropicale d’Anvers, a coordonné un supplément(1) de la revue médicale internationale « Health Policy and Planning » d’octobre, financé par l’Unicef et consacré aux politiques de gratuité des soins de santé menées dans les pays pauvres ou à moyen revenu. M. Meessen, qui travaille depuis quelques années sur ce thème, a accepté de répondre aux questions de « La Libre Belgique », orientées plus spécifiquement sur le Rwanda et le Burundi, deux des quatorze sujets traités dans le supplément.
Bruno Meessen souligne tout d’abord qu’il existe dans ces pays un débat qui reproduit, en gros, celui des pays européens, entre ceux qui sont pour la gratuité des soins (système britannique, où l’Etat est propriétaire de toutes les infrastructures, mais qui se montre, ces dernières années, incapable de soigner tout le monde dans des délais raisonnables) et ceux qui préfèrent l’établissement de mutuelles (système continental d’assurance santé).
» Au cours des dernières années, on a vu que la Grande-Bretagne pousse ses partenaires du tiers-monde à reproduire son système, tandis que la Belgique, la France ou le Bureau international du Travail poussent au système des mutuelles », explique le chercheur.
» C’est l’Ouganda qui avait lancé la gratuité des soins en Afrique, en 2001. Mais cette politique revient très cher. Et on arrive au paradoxe que se soigner est finalement plus cher qu’auparavant pour les Ougandais parce qu’en raison du coût, pour l’Etat, de cette gratuité des soins, il y a de nombreuses ruptures de stocks de médicaments, ce qui oblige les patients à acquérir leurs médicaments dans le privé, où c’est bien plus cher. »
Depuis, l’exemple ougandais a été suivi dans d’autres pays, « souvent dans la chaleur d’une campagne électorale ; les techniciens sont placés devant le fait accompli – comme ce fut le cas, en 2006, au Burundi », après la décision du président Nkurunziza, nouvellement élu, de l’imposer. Un des articles du supplément coordonné par M. Meessen rapporte les difficultés d’un directeur d’hôpital en la matière.
» Depuis lors », note Bruno Meessen, et après une initiale déstabilisation de son système de santé, » le Burundi a quelque peu corrigé la ligne ». En général, limiter la gratuité, comme le fait Bujumbura (aux femmes enceintes et aux enfants de moins de 5 ans), donne de meilleurs résultats. En outre, explique M. Meessen, les autorités burundaises se sont inspirées de l’exemple rwandais voisin, couronné de succès, en un de ses éléments : le paiement sur base de la performance des établissements de santé. « Les soins donnés à chaque patient gratuit sont payés par le ministère des Finances, au moyen de forfaits, avec vérification du nombre d’actes médicaux annoncés . » Les malades non gratuits, eux, paient leurs soins. Mais le nombre d’entre eux qui ont effectivement accès aux soins est peu élevé en raison de l’absence d’un système d’assurance santé.
Le Rwanda fait figure de pionnier en Afrique avec son système de mutuelles « parce que le gouvernement en a fait son programme phare « , au contraire d’autres pays où elles comptent peu de membres et ne constituent donc pas une bonne stratégie pour accroître la couverture médicale de la population, explique Bruno Meessen.
« Au Rwanda, cela résulte d’une politique du pouvoir et cette stratégie rencontre un grand succès puisqu’une très forte proportion de la population utilise aujourd’hui les services de santé : consultations, accouchements assistés, planning familial, moustiquaires imprégnées En quelques années, les indicateurs de santé sont presque tous passés au vert, même pour les plus pauvres. Et grâce à ces mutuelles, les gens paient moins, pour être soignés, qu’en 2000. C’est un succès clair, net et incontestable. »
Selon Bruno Meessen, cette politique résulte d’une expérience pilote menée en 2001-2002, « qui a consisté à changer le mode de rémunération des prestataires de soins pour rémunérer à l’acte médical – un peu comme on le fait en Belgique. On a donc intégré des incitants dans le secteur public. Certains critiquent cette voie parce qu’elle tend à privilégier la quantité d’actes médicaux. C’est vrai – mais les résultats au Rwanda montrent que c’est un succès. »
(1) Voir http://heapol.oxfordjournals.org/content/26/suppl 2. toc.
MFC
Mis en ligne le 31/10/2011
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