Le requérant s’appelle M. Sylvere Ahorugeze. En surface, un homme sans histoire: âgé de 55 ans, installé au Danemark depuis 2001, ancien directeur de l’autorité de l’aviation civile en Afrique. En profondeur, peut-être un criminel de guerre, soupçonné notamment de génocides et de crimes contre l’humanité par le Rwanda qui demande son extradition.
Il est arrêté en juillet 2008 alors qu’il est en visite en Suède. Un tribunal accepte sa remise aux autorités rwandaises. La Cour suprême n’y fait pas opposition, tout en demandant au gouvernement suédois de prendre le temps d’examiner la demande avant de se prononcer définitivement.
M.Ahorugeze sasit la Cour européenne des droits de l’homme. Il affirme que s’il est extradé, il sera exposé à un risque de tortures et de mauvais traitements (prohibés par l’article 3 de la Convention), et à un risque de procès inéquitable (article 6). Il perd sur toute la ligne. La Cour estime qu’aussi bien concernant son cas personnel que concernant le cas général de la justice rwandaise, aucune violation ne serait caractérisée.
Sur le cas personnel du requérant
Parmi les arguments principaux avancés par le requérant sur sa situation personnelle, il évoque son origine ethnique, et sa santé. Il affirme qu’il risque d’être particulièrement malmené à cause de son appartenance à l’ethnie hutue. Il parle également de problèmes de santé au coeur, nécessitant une opération à l’avenir.
La Cour(1) estime que tout cela n’a rien d’établi.
« Aucune évidence ne permet de conclure qu’il y ait une situation générale de persécution à l’égard de la population Hutu au Rwanda. De plus, le requérant ne met en évidence aucune circonstance particulière qui indiquerait un risque d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 dû à son origine »(2), déclare t-elle.
Par ailleurs, « aucun certificat médical n’indique qu’il ait à subir une opération prochaine ».
Sur la justice Rwandaise en général
Il s’agit bien entendu de la partie la plus intéressante de l’arrêt. La juridiction qui fait force de loi concernant les droits de l’homme y reconnaît des qualités à la justice rwandaise, estime en tout cas que celle-ci offre des protections suffisantes.
Concernant la phase du procès, la Cour considère que rien ne permet de douter sérieusement qu’elle sera menée avec indépendance et impartialité. Elle rappelle que le Tribunal pénal international pour le Rwanda a estimé qu’il y avait désormais des garanties en ce sens. Alors qu’il avait toujours refusé de transférer des détenus dans ce pays, il l’a pour la première fois accepté en juin 2011, estimant que les normes internationales en matière de droits de l’homme étaient aujourd’hui respectées. La Cour ajoute que « l’expérience des équipes d’investigation allemandes et de la police norvégienne va dans le même sens, en ce que les autorités rwandaises n’ont interféré d’aucune manière avec leur travail ou les témoins qu’ils ont entendu ».
Concernant la sentence probable, il est également relevé que le Rwanda ne condamne jamais à perpétuité à l’isolement des personnes provenant d’États tiers. Le gouvernement suédois avait également invoqué que ce pays avait aboli la peine de mort.
Concernant l’incarcération, le requérant sera détenu à la prison centrale de Kigali et à la prison Mpanga. La CEDH relève que ces deux lieux « répondent aux standards internationaux » selon le TPIR, le gouvernement néerlandais, le tribunal de district d’Oslo (Norvège) et le Tribunal spécial pour la Sierra Leone qui y a transféré plusieurs condamnés.
De tout cela, il est déduit que ni l’article 3 ni l’article 6 de la Convention ne seraient violés en cas d’extradition de M. Ahorugeze.
Celui-ci peut néanmoins bénéficier d’un sursis tant que l’arrêt n’est pas définitif.
Un effet sur la justice française ?
Il est possible d’imaginer que cet arrêt puisse faire changer la jurisprudence en France. En effet, jusqu’à présent, les juridictions françaises suivaient l’avis du TPIR, qui n’extradait pas vers le Rwanda. Le 23 octobre 2008, la cour d’appel de Toulouse refusa ainsi un transfert(3), estimant qu’il n’y avait aucune assurance d’un procès juste, « la sauvegarde ou la protection des témoins de la défense habitant le Rwanda n'[apparaissant] absolument pas assurée par ce pays ».
Le fait que le TPIR et la CEDH considèrent ensemble aujourd’hui que la justice rwandaise a évolué de manière satisfaisante est évidemment de nature à peut-être faire changer d’avis, également, les juges français.
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(1) CEDH, 27 oct. 2011, n° 37075/09, Ahorugeze c/ Suède.
(2) L’arrêt n’existant qu’en anglais, la traduction est assurée par la rédaction de LexTimes.fr.
(3) Toulouse, 23 oct. 2008, n° 08-00029.