Senghor en 1940 0001

Extraits d’un document inédit publiés

par le journal Le Monde du 17 juin 2011

A Poitiers


« (…) Les baraques sont mal construites et nous préservent mal du froid quand le thermomètre est au-dessous de zéro. Les abords des baraques sont pleins d’une boue où l’on enfonce facilement de 30 cm. Il n’y a ni lavabos, ni douches dans le camp. (…) En général, nous sommes assez bien vêtus. A signaler cependant la pénurie persistante de gants et de chaussettes. Beaucoup de tirailleurs en tombent malades (pieds gelés et engelures). La Croix-Rouge nous envoie tout ce qu’il faut, mais on nous donne de préférence les vielles choses. Où passe le reste ?

(…) Solidarité assez étroite entre ceux des différentes colonies : Antillais, Malgaches, Indochinois, Sénégalais. Seuls les Arabes sèment des germes de discorde (les Marocains exceptés). Ils cherchent à s’emparer des meilleures places (secrétariat, cuisine, bonnes corvées, etc.). Pour cela, ils dénigrent les autres, en particulier les intellectuels noirs, qu’ils présentent comme des francophiles et des germanophobes. (…) La propagande allemande était bien organisée à Poitiers. Elle dépendait du bureau de la « Gestapo » à la Kommandantur. Elle eut très peu de prise sur les Sénégalais et les Antillais. D’ailleurs, de bonne heure, elle porta uniquement sur les Arabes : journaux arabes édités par les Allemands, faveurs accordées au culte musulman, aux espions, etc. Les « intellectuels » arabes, je veux dire ceux qui avaient quelque instruction, étaient les meilleurs agents de l’Allemagne. Ils prêchaient leurs compatriotes et dénigraient la France devant les Allemands (chez les Noirs au contraire, chez les Antillais en particulier, les intellectuels furent les plus persistants). Quand on demanda des volontaires pour aller en Russie, il n’y eut que des Arabes à se proposer. (…) Les espions étaient des Arabes – toujours les Marocains exceptés. (…) Ce fut l’occasion de nombreuses frictions entre Arabes et Sénégalais. (…) C’est ainsi qu’un Sénégalais, qui s’était battu avec un sergent arabe et qui refusait de courir sous l’injonction d’un Allemand, fut grièvement blessé d’un coup de pistolet. (…)

A Saint-Médard


[La nourriture] est particulièrement insuffisante et peu variée. Nous avons un pain pour 5, parfois pour 6. En général, nous avons de la soupe matin et soir, mais quelle soupe ! Une poignée de riz dans un liquide plus ou moins coloré et salé.

(…) Dans les Kommandos, (…) les hommes travaillent de 8h30 à 15 heures. Ils ne peuvent manger avant 16 heures. Pour leur permettre d’attendre, on leur a donné 100 gr de pain à midi (…) et il n’est pas question de manger à la table du paysan comme à Poitiers. D’ailleurs les civils leur témoignent en général, dans la Gironde, une parfaite indifférence. Plusieurs civils se sont plaints des restrictions et m’ont dit que les prisonniers n’étaient pas les plus malheureux.

(…) En somme, la France peut faire oublier la défaite et la captivité si elle sait, elle aussi, faire de la propagande auprès des prisonniers libérés. Or le bruit court dans les camps que Vichy pratique une politique « réactionnaire » aux colonies. Partout dans ces mêmes camps, Pétain symbolise la France, et son portrait y est, à ce titre, très vénéré. (…) »


Raffael Scheck, qui a authentifié le texte (dont une copie est conservée aux archives de l’armée de terre à Vincennes), confirme qu’entre 1940 et 1942 tout laissait croire à l’Allemagne qu’elle allait gagner la guerre. Aussi « La propagande allemande pro-islamique était intense envers les Nord-Africains. Il y avait des camps de propagande pour eux en Allemagne (…) et les services allemands s’efforçaient de préparer les prisonniers nord-africains à accepter une présence militaire et politique allemande en Afrique du Nord ». (Le Monde du 17 juin 2011).

Lu pour vous par Raphaël ADJOBI

http://raphael.afrikblog.com/archives/2011/07/13/21600416.html

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