Jusqu’au pied de l’avion, des Congolais nous interpellaient : « Dites la vérité, dites que pour nous cela ne va pas, que nous souffrons… Veillez à ce qu’on ne nous ne vole pas nos élections… Vous les Blancs, vous soutenez Kabila, c’est votre homme… »

La publication des résultats partiels n’a fait que confirmer les Kinois dans leur certitude : Kabila doit partir, il a perdu… » Et pour papa Antoine comme pour beaucoup d’autres « Tshisekedi, dont nous connaissons l’âge et la santé, a surtout été un moyen de faire partir Kabila…” Bon   nombre de Kinois, qui n’apprécient pas un président qui ne parle guère leur langue et n’a jamais tenu de grand meeting dans la capitale, ne  créditent pas le chef de l’Etat  des chantiers ouverts, des progrès réalisés et ils souhaiteraient le “congédier”  en votant Tshisekedi, comme en 2006 ils avaient choisi Jean-Pierre Bemba. Les résultats définitifs diront si le président a malgré tout réussi une percée dans sa  capitale rétive.  Mais avant cela, un retour sur quelques points de son bilan  peut aider à comprendre  la déception  populaire.

Succédant en 2001 à son père assassiné, obligé de partager le pouvoir durant la transition avec la formule un plus quatre, puis élu contre Jean-Pierre Bemba en 2006, Joseph Kabila totalise dix ans à la tête du pays. Durant cette décennie, s’il a apporté la paix,  le début de la reconstruction, il n’a pas fait oublier son père, le Mzee (Vieux) Laurent Désiré Kabila qui, malgré son caractère autoritaire, avait conquis le coeur des Kinois  frâce à des mesures sociales: cantines populaires où l’on pouvait acheter des aliments à bas prix,  soldes des militaires et des fonctionnaires fixée à 100 dollars par mois, retraites régulièrement payées,  création du service national de la jeunesse, construction du Marché de la Liberté,pour remercier les habitants des quartiers nord d’(avoir arrêté l’invasion rwandaise en 1998.

La décennie des “années Joseph” s’écrit en clair obscur…

1.   La paix, l’armée, le maintien de l’ordre

En 2001, deux tiers du territoire étaient occupés, le pays était morcelé, les accords de paix de 2002 avaient prévu l’intégration dans l’armée des forces rebelles, le plus souvent des bandits en uniforme. Cette armée pléthorique de 300.000 hommes a été réduite d’un tiers,  mais de nombreux ex-rebelles ont pris du galon et poursuivent violences et exactions, arguant que les troupes sont peu ou mal payées. Dans l’Est du pays, les accords conclus avec le Rwanda en 2009 ont apporté une pacification relative,  mais de larges poches de violence existent et la pratique des viols s’est répandue dans toute la société. Insuffisamment formées,  les forces armées et la police représentent toujours un danger pour les civils. Selon HRW 18 civils auraient été tués durant la seule période électorale mais le ministre de l’Information demande des preuves afin que des enquètes soient ouvertes.

2.   L’économie

Les succès sont indéniables : le budget de l’Etat est passé de 850 millions de dollars en 2006 à 3,5 milliards en 2011 (l’aide internationale y contribue pour moitié mais il ne représente que 51 dollars par an par habitant) ; la croissance économique est de 7% l’an, le franc congolais est stabilisé, l’inflation est de 10%.  En  2010, FMI et Banque Mondiale ont récompensé la politique de rigueur et 90% de la dette ont été effacés, cette dernière passant de 12,3 milliards de dollars à trois. Les remboursements de cette « dette odieuse » représentaient une ponction de 30 millions de dollars par mois, la charge est aujourd’hui allégée. 70% de la population vit du secteur informel, avec moins de un dollar par jour.

3. Le secteur social

Le « social » n’a pas bénéficié de  l’embellie. Le budget de l’éducation ne représente que 3% du budget de l’Etat et le salaire des enseignants est passé de 50 dollars par mois à 70/90 dollars aujourd’hui.  Résultat : les parents paient toujours les frais scolaires (100 dollars par trimestre, au minimum). 27 millions d’enfants sont scolarisés, et 2000 écoles nouvelles ont été construites. 40.000 autres doivent encore être réhabilitées.

Dans le domaine de la santé, MSF dénonce « un désert sanitaire » hanté par de grandes endémies (rougeole, choléra, paludisme) Un million 200.000 Congolais sont porteurs du virus HIV, 350.000 devraient avoir accès aux rétroviraux, 45.000 seulement sont soignés, le « Global Fund » a suspendu ses financements. Les soins de santé sont payants, et dans les nouveaux hopitaux ou les établissements réhabilités, la fréquentation estfaible, par manque de moyens. Souvent les jeunes mères sont retenues le temps de pouvoir payer les frais d’accouchement tandis que les cadavres sont séquestrés à la morgue, afin que la famille puisse réunir l’argent.

4.Les grands travaux

Par où commencer dans un pays classé 187eme sur l’échelle du développement humain ? Comment rattraper 40 années  d’immobilisme ? Depuis 2008, le régime a choisi de réhabiliter les infrastructures, axes routiers, ponts, ports, des chemins de fer sont prévus, des universités se construisent. « Grâce à la route vers le Bandundu, les feuilles de manioc coûtent moins cher, 200 Francs congolais au lieu de 2000 (20 cents au lieu de deux dollars) » dit Maman Germaine, une habitante du quartier populaire de Tshangu. Les principales artères de Kinshasa sont en passe d’être réhabilitées,  des caniveaux assainissent les quartiers,  on  peut désormais circuler entre Kisangani, Bunia, Lubutu, Banalia, de Lubumbashi vers la Zambie, de Kinshasa vers le Bas Congo. « Sisa Bidimbi » « il laisse des traces » disent les partisans de Kabila « les routes cela ne se mange pas » rétorquent  ses adversaires. Ces travaux ont, en grande partie, été confiées à des entreprises chinoises (CREC, Synohydro) à la suite du « contrat du siècle », prévoyant de céder 9 millions de tonnes de cuivre en contrepartie de 9 puis de 6 et finalement de 3 milliards de crédits pour les infrasructures. En 2006, le pays comptait 7000 km de routes utilisables, il y en a 6000 de plus aujourd’hui, il en faudrait 150.000.

5.La gouvernance

Socle de la démocratie à la base, les élections locales n’ont toujours pas eu lieu. La Constitution a été modifiée et les gouverneurs de province, au lieu d’être élus seront désignés par la présidence. La rétrocession de 40% des ressources vers les provinces a été  très insuffisante, ce qui a freiné la décentralisation. Début 2001, le scrutin présidentiel à deux tours a été remplacé par un vote à un tour, afin de Kabila soit certain de l’emporter face à une opposition désunie. Cette modification a été votée par l’Assemblée, mais  qualifiée de coup d’Etat constitutionnel car les règles du jeu étaient changées avant le match. L’Assemblée sortante, dominée par la majorité présidentielle, a voté des lois mais n’a pas contrôlé l’action du gouvernement ni sanctionné, entre autres, un Premier Ministre notoirement corrompu  (qui a pu se payer plus de 100 maisons…). A plusieurs reprises, le président a proclamé la « tolérance zero » face à la corruption, plusieurs milliers de magistrats ont été remplacés mais le mal persiste. L’exemple vient de haut : l’entourage du « chef »-ses proches conseillers et même des membres de sa famille- jouissent de l’impunité.

6. Les contrats miniers

Conclus durant la période de transition (2002 2006) la plupart d’entre eux ont été « revisités » et revus. Mais le député britannique Eric Joyce vient de dénoncer le fait que des biens miniers congolais avaient  systématiquement été vendus à des sociétés fictives étrangères, domiciliées aux Iles Vierges, à des prix très inférieurs à leur valeur réelle, ce qui représente, pour l’Etat congolais, des pertes de 5,5 miliards de dollars…Parmi ces nouveaux acquéreurs le nom de l’Israélien Dan Gertler est souvent  cité.

D’où le terrible soupçon: et si les plus values, qui auraient normalement  du être affectées au secteur social, s’étaient en réalité volatilisées dans les paradis fiscaux, les immeubles de luxe, les voitures aux vitres fumées? Et cette terrible crainte aussi:  le peuple, furieux de voir le pays changer, mais pas à son profit,  se développer tout en se dérobant à lui, ne risque-t-il pas de tout briser, de tout “remettre à niveau”?

blog.lesoir.be/colette-braeckman/2011/12/04/etat-des-lieux-des-annees-kabila/

Posté par rwandanews