Lorsque les villageois du Rwanda peuvent s’exprimer librement, ils n’hésitent pas à critiquer la mauvaise gouvernance des autorités locales. C’est le cas lors des débats radiophoniques organisés ces derniers mois dans certains districts qui ont permis de trouver des solutions à des problèmes exposés.
Ils sont tous là, rassemblés devant les bureaux des secteurs ou des coopératives, les habitants du district de Ngorero à l’ouest, ceux de Gisagara, au sud, ou d’ailleurs encore au Rwanda. Ils attendent avec impatience le lancement par un journaliste du débat avec les autorités locales, du district, des secteurs et des cellules diffusé en direct sur les ondes de la radio communautaire locale, Huguka. Femmes et hommes, vieux et jeunes, tous sont pressés de venir parler de ce qui ne va pas et de proposer des solutions pour résoudre leurs problèmes. Personne ne manquerait ce rendez-vous qui leur donne pour une fois l’occasion de s’exprimer.
Depuis six mois, une dizaine de débats ont ainsi eu lieu dans divers districts du pays. Ils ont tous rencontré un vif succès.
« J’ose le dire »
En octobre, dans le district de Ngororero, élus et villageois ont débattu de ce qui handicape leur développement. Dans le secteur Ndaro, une dame, debout et tête haute, accuse le secrétaire exécutif de la cellule Bijyojyo de s’enivrer le soir et de frapper tout passant. « Je sais que ceux qui sont ici vont me prendre pour une folle, mais j’ose le dire », soutient-elle. Selon elle, ces forfaits de leur dirigeant ne sont jamais dits, les habitants craignant cette autorité. Ici encore, la majorité des paysans accusent des inconnus de percevoir des taxes non justifiées en se faisant passer pour des chargés de l’hygiène: « Ils viennent dans les marchés et récupèrent un tas de bananes, des patates douces, des cannes à sucre et s’en vont sans donner de quittance « , font-ils remarquer. Après analyse par le district des plaintes des villageois, le secrétaire exécutif de la cellule Bijyojyo a été démis de ses fonctions.
Dans ces débats qui durent 1 h à 1 h 1/2, les premières minutes, les habitants n’osent pas parler. Mais, au fur et à mesure, les langues se délient. « Ceux qui sont assis dans ces hangars sont les délégués de la coopérative, ils ne peuvent pas dire le contraire. Passez-nous le micro pour parler de nos vrais problèmes », s’insurgeait par exemple en août dernier un riziculteur de Gisagara. Il s’est plaint que le prix du riz soit fixé sans les consulter et que les récoltes soient payées en retard. Donat Hakorimana, tout triste en témoigne : « J’ai fait peser mon riz il y a deux mois, mais je ne suis pas encore payé. Dites-nous pourquoi ? »
Ces problèmes sont parfois inconnus des autorités : « Comment expliquer que l’argent se trouve sur le compte de la coopérative sans que les agriculteurs bénéficiaires ne soient pas payés ? Et si l’un d’eux tombait malade comment se soignerait-il ? L’argent est le fruit de leur travail, vous devez le leur payer au plus vite », estime Esron Hategekimana, vice-maire du district Gisagara, menaçant de punir les responsables de la coopérative s’ils n’agissent pas vite.
Quelques jours après le débat, les agriculteurs étaient payés. « D’autres coopératives nous ont appelés sollicitant les mêmes débats chez eux », avance Eugène Ndekezi, coordinateur de Huguka.
Tirer la sonnette d’alarme
Dans le district de Gakenke (Nord), les agriculteurs ont accusé leurs élus de ne pas mettre à leur disposition les intrants agricoles. « Un jour, après le débat, une camionnette remplie d’engrais était au bureau de la cellule », se sont ensuite félicités les paysans. En effet, un ultimatum a été donné à l’entrepreneur chargé de le distribuer pour installer des sites de distribution dans ce coin retiré à défaut de quoi le marché lui serait retiré. Pour les agents du district, ces débats donnent une vraie image de l’administration dans les secteurs et des réalités souvent ignorées du gouvernement, attentif à ce qui se dit dans ces débats.
Ces échanges permettent aussi de traquer les mauvais comportements des uns et des autres. A Nyabinoni (Sud), la population dénonce les « magouilles » dans la catégorisation des personnes pour la mutuelle de santé, à laquelle chacun cotise à un tarif différent selon qu’il est classé comme « très pauvre », « pauvre », etc. « Je vends un peu de bois pour faire survivre ma famille. Mais, on m’a mis dans la catégorie de ceux qui doivent payer 3 000 Frw (5 $) sous prétexte que je suis ‘riche’. Comment puis-je payer la même somme que quelqu’un qui a trois vaches ? », dénonce une habitante. Les autorités de ce secteur ont depuis lors décidé de revoir ces listes.
Une grande importance est donnée à ses débats en direct, car ce qui est dit à la radio est considéré par les Rwandais, non seulement comme des interpellations, mais aussi comme une manière de tirer des sonnettes d’alarme.
Une enquête du Forum de la société civile du Rwanda montre que la participation de la population dans les décisions qui sont prises est un facteur de réussite. Or, certaines mesures, entre autres la consolidation des terres, la catégorisation dans les mutuelles de santé ou la lutte contre les nyakatsi (maisons en paille), viennent d’en haut sans consultation. « Là où la population a été sensibilisée dans la lutte contre les maisons en chaume et se l’est appropriée, la lutte s’est bien passée », fait remarquer Jean Marie Vianney Makuza, qui a présenté les résultats de l’enquête, en plaidant pour une participation citoyenne dans les prises de décisions.
Fulgence Niyonagize
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Posté par rwandanews