Le deux Pères de la négritude n’ont pas connu le même sort: Léopold Sédar Senghor est devenu un «immortel» de l’Académie française, mais n’a pas reçu d’obsèques nationales, contrairement à Aimé Césaire.

Ils semblent s’être donnés le mot pour mourir à 95 ans, ils étaient tous les deux des poètes et politiques français qui ont marqué de leur savante empreinte la littérature francophone du 20ème siècle. On leur attribue la co-paternité du mouvement littéraire de la négritude. Mais aucun d’eux n’a toujours eu ce qu’il était en droit d’attendre du fait de son génie.

Si Léopold Sédar Senghor (1906-2001), premier africain à siéger à l’Académie française, a eu, de son vivant, les plus belles reconnaissances que l’on puisse recevoir de ses contemporains, Aimé Césaire (1913-2008) a lui, mort, reçu les plus beaux hommages que la République puisse rendre à ses fils les plus valeureux: une plaque en son honneur a été dévoilée au Panthéon en 2011.

Président français du Sénégal

François Mitterrand était présent à la réception de Senghor à l’Académie Française ; Valery Giscard d’Estaing, autre ex-président français, lui a succédé au fauteuil 16 de l’institution.

Aucun chef d’Etat français n’était présents pourtant lors de l’enterrement de celui que Jacques Chirac avait simplement qualifié «d’ami de la France». Lui, Léopold Sédar Senghor, furieusement français de pied en cap.

Jacques Chirac, pas plus que Lionel Jospin, premier ministre de l’époque, ne s’était pas rendu aux «obsèques nationales» organisées par Dakar, faute d’«obsèques nationales» envisagées par la France dont il avait été un député avant de devenir président de la République du Sénégal – de 1960 à 1980.

«Quatre-vingt-quinze années d’une telle existence, ça se salue (…) Je comprends que vous ayez craint son ombre»,

écrivait Erik Orsenna dans une tribune acide parue le 5 janvier 2002 dans Le Monde.

Au Cameroun, jamais une de ses œuvres n’a été mise au programme scolaire, contrairement à Aimé Césaire dont Cahier d’un retour au pays natal et La tragédie du roi Christophe ont été longtemps étudiés au secondaire.

Au pays de l’écrivain Mongo Beti, on ne lui a jamais pardonné son assertion controversée et culturellement réductrice:

«L’émotion est nègre, comme la raison est hellène.»

Marcien Towa, par exemple, dans son ouvrage Léopold Sédar Senghor: négritude ou servitude, a convoqué l’oeuvre du grammairien dans le champ de la philosophie pour mieux la descendre en flammes.

En France par contre, ses poèmes ont régulièrement figuré dans les programmes scolaires. Léopold Sédar Senghor semblait, curieusement, plus connu en métropole que son frère d’armes, Aimé Césaire. C’est à partir de 1995 que celui-ci a enfin vu son Discours sur le colonialisme inscrit au programme de terminale littéraire française.

Sa reconnaissance aura été quasi-universelle et les distinctions dont on l’a bardé sont inouïes. Seul le Prix Nobel, pour ainsi dire, lui aura échappé.

Négritude, francophonie et autres friandises

Le 20 avril 2008, toute la classe politique française était présente à son enterrement de première classe, des obsèques nationales, jusque et y compris Nicolas Sarkozy, alors président de la république, François Hollande, et Lionel Jospin en personne. Deux poids, deux mesures ou simple hasard de la météo?

Si son talent n’était pas moins grand que celui de Senghor, ses prises de position politiques furent pourtant très gênantes pendant longtemps, notamment son soutien au FLN, durant la guerre d’Algérie.

A défaut de ses restes, que sa famille n’a pas voulu céder, il a eu droit à une fresque commémorative au Panthéon.

Beaucoup d’injustices ont été faites à ces deux géants de la langue et de la littérature française, auxquels la France doit négritude, francophonie et autres friandises. Césaire aurait dû siéger à l’Académie française, Senghor a sa place au Panthéon. Tous deux étaient également «grands».

Mais désigner l’un d’eux ferait remonter à la surface le nom des oubliés célèbres: Léon Gontran Damas et alii. Ce qu’il y a de plus grand chez ces hommes, c’est leurs œuvres qui transcendent les créations opportunistes ou polémiques dont ils sont les auteurs (négritude, francophonie, émotion et raison…)

Les blacks n’ont pas été black-listés

Mais le succès ne doit jamais être facile, c’est la leçon d’humilité que nous pouvons retenir de celui qui a aujourd’hui des stations de métro, lycées, bibliothèques en son nom en dépit de son anticolonialisme résolu.

Restent inexplicablement absents des anthologies les plus sérieuses de la littérature française: Frantz Fanon, Mongo Beti, Cheikh Anta Diop... Il n’existe pas de complot contre une catégorie d’auteurs noirs, mais la France n’est pas prête à tout entendre au nom de la liberté d’expression. Une chance que la postérité revienne souvent sur les erreurs d’appréciation des générations qui ont précédées.

Un auteur peu connu, d’origine africaine, et vivant à Floirac près de Bordeaux, nous disait encore son impossibilité de trouver du Louis Ferdinand Céline dans certaines bibliothèques françaises ! Dieu seul sait si l’auteur de Voyage au bout de la nuit n’était pas noir: il était «raciste» et anticolonialiste.

C’est donc que la logique du succès est sinueuse et rien ne justifie objectivement que Senghor ait été davantage distingué et primé que Césaire, quand les ouvrages consacrés au second sont sensiblement plus nombreux.

Eric Essono Tsimi

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Posté par rwandaises.com