Le grand écrivain américain Ernest Hemingway disait que Paris est une fête permanente. Kigali que je découvre après une absence de trois ans est un émerveillement de tous les instants. Un constat s’impose: Kigali n’est plus une ville africaine. Venu du Burundi, deux sortes de sentiments vous envahissent une fois à Kigali. Le premier est l’éblouissement devant tant de propreté, de beauté et de développement.  Le second genre est l’amère conclusion que le Burundi est à jamais largué par son frère jumeau d’outre Akanyaru. Pourrons-nous jamais rattrapé ce pays qui décolle devant nos propres yeux?
Mieux qu’Athènes, Rome et Lisbonne
A l’issue de mon séjour à Kigali en 2010, je m’étais fendu d’un article « La mission civilisatrice du Rwanda ». Un reportage qui a déclenché des débats houleux parmi les internautes rwandais. Je suis conforté dans ce que  j’ai dit alors. Je persiste et signe : ce pays est un modèle pour tous les Africains. L’émerveillement frappe tous les visiteurs. Un collègue zambien affirme que tous les maires d’Afrique devraient être dépêchés à Kigali pour voir qu’une ville africaine peut être propre et embellie. Un Soudanais proclame orbi et orbi que Kigali est plus propre qu’Athènes, Rome et Lisbonne. Rien de moins ! Mieux, il prétend que la ville jouit d’une sécurité meilleure que même en Arabie Saoudite, tient-il à préciser. En effet, dès 17 heures, l’armée et la police investissent toutes les rues, uniforme immaculé, bottes lustrées, arme au point, les antennes de communication au vent  et le regard de fauve. Ainsi, le citoyen et le touriste pourront se promener en toute tranquillité jusqu’au lever du jour. Un architecte kenyan installé à Kigali m’a dit qu’il a fui l’insécurité de Nairobi où il a échappé trois fois à la mort notamment lorsque le pistolet des bandits s’est enrayé alors qu’ils avaient tiré. Une autre fois, il a eu un coup de machette à l’épaule. Désormais il vit tranquille à Kigali.
Un Egyptien ne tarit pas d’éloges devant tant de beauté fleurie et de pelouse manucuré.  Mon taxi m’apprend qu’un client polonais lui a déclaré que même en Pologne ce n’est pas aussi beau. Je suis curieux de connaître l’avis des délégués congolais. « Etes-vous impressionnés par ce pays comme moi ? » demandé-je. « Absolument prodigieux ! » me répond l’un. « Ce pays doit être un modèle pour toute l’Afrique », ajoute l’autre. Je n’ose pas leur rapporter les propos que me tenait une jeune congolaise totalement éblouie : « je regrette que l’armée rwandaise ait quitté le Congo sans nous avoir appris la propreté et la discipline »  Un Djiboutien édifié y met une note discordante dans le flot de superlatifs : J’espère vivement que les forces du mal ne vont pas détruire cette œuvre.
Haine réfractaire à toute logique
Il ne faut pas se leurrer, ce danger que craint le Djiboutien existe bel et bien. Un diplomate américain, Richard Johnson,  vient de produire une analyse captivante du paradoxe rwandais où il stigmatise les lobbies occidentaux  qui continuent à soutenir les tenants de l’idéologie du génocide alors que son pendant le nazisme a été combattu, réprimé sans pitié et mis hors la loi. Un  homme d’affaires rencontré au Malawi me disait, les yeux exorbités de haine, que le prochain génocide sera pire que le précédent. Comme quoi la haine est réfractaire à toute logique. Comme si l’apocalypse de 1994 ne leur a rien appris.
La leçon aurait dû être que la paix et la coexistence humaine sont les biens les plus précieux pour toutes les communautés. Tous les groupes  peuvent s’épanouir en vivant en paix et dans le respect mutuel alors que la guerre détruit les deux selon l’assertion de Martin Luther King : « Nous devons vivre ensemble comme des frères ou périr ensemble comme des imbéciles. »  Le président Obama disait aux Arabes dans son célèbre discours du Caire : « Prouvez votre valeur par ce que vous construisez et non pas ce que vous détruisez. » L’affirmation s’applique parfaitement aux marchands de la haine et de la guerre rwandais.
Il faudrait du réalisme politique et stratégique de la part des forces négatives qui menacent le Rwanda. Tout comme Israël a juré de ne plus se faire exterminer, je ne crois pas non plus qu’elles pourront encore détruire allègrement  leurs compatriotes honnis. C’est possible qu’elles y parviennent mais au risque d’une destruction mutuelle garantie. La haine est plus forte que toute logique.   Un jeune homme rencontré à l’hôtel à qui je confiais mon éblouissement devant tant de progrès, me dira un rictus de haine aux lèvres, « tout cela peut être détruit en une journée ». J’ai reconnu ces regards de haine implacable que je rencontre dans mes pérégrinations à travers l’Afrique lorsque j’évoque   les prodigieux progrès  de Kigali devant des Rwandais.
Modèle rwandais accessible
Le modèle rwandais de développement est un exemple accessible. En effet, nous ne pouvons plus suivre  la vieille Europe désormais percluse de rhumatismes et de manque d’imagination. Nous ne pouvons non plus imiter les Asiatiques qui travaillent comme des fourmis. Seul le Rwanda nous interpelle pour changer l’Africain qui n’est pas condamné par atavisme à vivre dans la saleté,  la médiocrité et la misère.  Tony Blair, du temps de sa splendeur,  a déclaré que l’Afrique est une cicatrice sur la conscience de l’humanité. Aujourd’hui il est conseiller de Kagame pour les investissements parce qu’il a vu un pays africain porteur. Une nation née des cendres de l’horreur pour devenir le phare de toute l’Afrique. Ce n’est pas un hasard si Kagame a pris pour modèle Singapour,  petit pays développé en une génération par son Premier ministre de génie Lee Kuan Yew. Quant à Sarkozy, il  a osé proclamer à Dakar que l’Africain n’est pas encore entré dans l’histoire. Nous avons un Rwanda qui prouve le contraire.
Immense prestige
La propreté et l’embellissement de Kigali ne sont pas une fin en soi. C’est la preuve de la passion de l’excellence qui anime les dirigeants de ce pays. Une fois le culte de l’excellence installé dans les mentalités, tout le reste : la croissance, l’innovation, l’ambition des grandes aventures suivent comme par enchantement. L’entretien de cette propreté et l’embellissement coûtent très cher mais  rapporte gros. Des milliers d’emplois sont ainsi créés, surtout des femmes. Tous ces centaines de milliers de  touristes qui débarquent viennent aussi pour la propreté, la  beauté et la totale sécurité de cette ville qui tranche avec le reste de l’Afrique. Le tourisme est devenu la première industrie avant le café et le thé.  Au point que le géant touristique Kenyan se sent menacé. Toutes ces conférences internationales qui se suivent sont aussi attirées par cette ville-jardin. Les milliers de professionnels kenyans  qui apportent leur expertise sont aussi séduits par une ville belle, sure,  propre et en pleine modernisation au point de nourrir un immense prestige au Kenya.  A l’issue de l’adoption par référendum de la nouvelle constitution kenyane, un éminent éditorialiste du « Daily Nation » n’y est pas allé de main morte : « Enfin ! Nous allons devenir un pays civilisé comme Maurice et le Rwanda. » Rien de moins !  Je me rappelle encore avoir entendu Raila Odinga alors premier ministre déclarer que le Kenya s’il ne fait pas attention risque de se faire ravir l’hégémonie économique de la région par le Rwanda.
Je suis convaincu que le modèle rwandais va immanquablement « contaminer » les voisins à commencer par le Burundi.  L’exemple rwandais va créer une émulation dans toute l’Afrique. Pour une fois nous avons en Afrique en modèle de progrès accessible. A moins que nous ne soyons pas encore entrés dans l’histoire comme le prétend Sarkozy.
Messe dominicale à l’Eglise Regina Pacis
Dimanche matin, j’assiste à la messe dans la vaste et belle Eglise Regina Pacis de Remera. Elle trône parallèle à la piste d’atterrissage de l’aéroport international de Kanombe. Je me suis toujours demandé comment les Rwandais peuvent encore pratiquer alors que l’Eglise a participé au génocide en 1994 et à l’apologie de la haine pendant 30 ans jusqu’à ce qu’un collègue et ami me donne une réponse édifiante : « C’est la même Eglise qui nous a accueillis en Tanzanie et donné une éducation ». Comme quoi il ne faut jamais jeter le bébé avec l’eau du bain. Il faut nuancer les condamnations.
L’autel est superbement décoré de couleurs blanches et or avec des corbeilles de roses de même teinture. Je m’assieds en position stratégique tout près de la chorale.  Je  suis absolument emporté par la beauté des chants. Le kyrie, le gloria, le sanctus et l’agnus dei sont chantés en latin ce qui me transporte au paradis de l’enfance. A la consécration, le célébrant entonne le superbe cantique de l’Ascension en kinyarwanda mais moi je le chante en kirundi à haute voix: « Umwami wacu Yezu yatwikebanuye, yasubiye iwe mw’ijuru ngwaturorere yo, yasubiye iwe mw’ijuru, ngwaturorere yo ». Je ne savais pas que l’on n’avait les mêmes chants. Je suis de nouveau surpris d’entendre que la belle prière de la paix que j’aime particulièrement se chante avec la même mélodie qu’au Burundi :  « Mukama turakuzamvye udutabaze amahoro, muri iyi minsi turimwo ». Je vais de surprise en surprise lorsque j’entends la belle chorale entamer un chant burundais après la communion. Je croyais que c’est seulement au Burundi que l’on aime les cantiques rwandais. Je ne savais pas qu’il y avait réciprocité. La chorale vous transporte littéralement dans une profonde plénitude.
Mon séjour d’une semaine dans Kigali la belle qui a commencé par l’éblouissement devant tant de propreté, de beauté et de progrès se termine dans l’enchantement de voix d’anges. Après la messe, je passe visiter le Centre de retraite Christus que j’ai découvert dans le bouleversant livre  « Left to Tell » (Miraculée en français) de la désormais appelée  « prophétesse des temps modernes » : Immaculée Ilibagiza.  Une jeune fille rescapée du génocide par miracle divin et l’intercession de la Sainte Vierge et qui est parvenue à triompher du malheur sans nom que l’on a fait subir à sa famille décimée pour devenir une auteure de best-sellers mondialement connue.
Immaculée Ilibigiza est l’exemple même de la transformation du Rwanda : une spectaculaire résurrection des morts. Mieux :  la transformation du malheur et de l’horreur  sans précédent en triomphe de la vie, de la beauté et du progrès. C’est au Centre Christus qu’une fois sauvée par miracle, Immaculée Ilibagiza  allait s’enfermer du vendredi soir jusqu’au dimanche soir pour se connecter à son Seigneur et Dieu qui l’avait sauvée pour témoigner. D’où le titre de son immense livre traduit en 13 langues « Left to Tell » : Epargnée pour pouvoir témoigner. L’Américain qui a publié le livre « Left to Tell », Dr Wayne Dyer,  affirme qu’il a lu des  milliers de livres depuis 50 ans mais que « Left to Tell » est l’œuvre la plus marquante qu’il y ait jamais lue.
Tous ces dizaines de livres écrits par des rescapées (il n’y a que des femmes qui écrivent) qui disent les souffrances des innocents rwandais et qui émeuvent le monde entier sont tout autant de preuves du triomphe de la vie sur l’horreur. La dernière en date, Scholastique Mukasonga, qui a perdu 35 personnes de sa famille sans jamais retrouver leurs sépultures a eu le prestigieux  prix Renaudot en 2012 avec un livre magnifique : « Notre-Dame du Nil ». Un autre triomphe sur l’horreur. C’est un peu aussi le succès du Burundi car cette femme a été réfugiée, a étudié et travaillé au Burundi. D’où sa survie alors que tous les siens ont péri.
Pour conclure, devant l’éblouissante transformation du Rwanda, une chose n’a pas changé depuis ma dernière visite de 2010 : les filles rwandaises sont toujours belles à damner même un saint homme comme moi.

Par Chris Harahagazwe

Posté par rwandaises.com

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