Depuis quelques semaines a lieu, en France, une polémique quant au fait que le gouvernement de Vichy, qui collaborait pendant la seconde guerre mondiale avec l’occupant nazi, aurait sauvé des juifs français. L’enquêteur et écrivain Serge Farnel, auteur notamment du livre « Bisesero, le ghetto de Varsovie rwandais » , répond à cette polémique en détaillant pour la première fois les circonstances dans lesquelles sa mère fut orpheline de la Shoah.

Au moment de la rafle du Vel d’Hiv, ma mère Charlotte, dont la mère Chana est polonaise, a quatre ans. Charlotte était devenue française par déclaration souscrite le 26 février 1938 devant le juge de Paix du 4ème arrondissement de Paris.

Juive française, elle est toutefois prise dans la rafle Vel d’Hiv et si elle s’en sort, contrairement à Chana, ce n’est que par le biais d’une infirmière qui va, après l’exécution de la rafle, la prendre dans ses bras, et non grâce à Vichy qui n’avait fait aucune dérogation pour cette petite juive française.

La circulaire n° 173-42 en date du 13 juillet 1942 émanant de la police municipale française et organisant la rafle du Vel d’Hiv indique en effet : « Les enfants de moins de 16 ans seront emmenés en même temps que les parents. » Or Chana et Charlotte Chmielnicki ne bénéficient pas des « dérogations » de la circulaire, à savoir que ne sont pas concernés par la rafle notamment « les parents dont l’un au moins des enfants n’est pas juif » (ma mère est juive et fille unique), « les femmes ayant un enfant de moins de 2 ans, c’est-à-dire né après le 1er juillet 1940 » (ma mère a alors 4 ans et n’a ni frère ni sœur), « les juifs ou juives mariés à des non juifs, et faisant la preuve, d’une part de leurs liens légitimes, et d’autre part, de la qualité de non-juif de leur conjoint. » (L’époux de Chana, Jankiel, est juif).

Pour ce qui est des détails de l’organisation de la rafle de Charlotte et Chana qui sont alors dans le 4ème arrondissement de Paris, la circulaire indique la mobilisation de 15 gardiens des compagnies de Circulation, 5 gardiens de l’Ecole Pratique, 25 gardes à pied. Quant aux horaires, « les renforts destinés à la garde des centres primaires de rassemblement et à l’accompagnement des autobus prendront leur service au Central d’Arrondissement désigné le 16 courant à 5 heures du matin. »

La circulaire nous apprend qu’ils assureront leur service les 16 et 17 Juillet (« Equipe N° 1 de 5 heures à 12 heures » et « Equipe n° 2 de 12 heures à fin de service »). Pour ce qui est des autobus, « la Compagnie du Métropolitain, réseau de surface, enverra directement les 16 et 17 Juillet à 5 heures aux Centraux d’Arrondissement où ils resteront à votre disposition jusqu’à fin de service. »

La circulaire indique par ailleurs que trois autobus sont mis à disposition pour le 4e arrondissement. Une fois les juifs dans le Vel d’Hiv, la circulaire fait enfin savoir que « la garde du Vélodrome d’Hiver sera assurée, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur par la Gendarmerie de la Région Parisienne et sous sa responsabilité. »

Parlons maintenant de mon grand-père paternel

J’entends que Vichy aurait sauvé les juifs français ? Dois-je comprendre que mon grand-père n’aurait pas saisi en son temps que le tampon « juif » sur sa carte d’identité française (carte que mon père garde aujourd’hui précieusement) n’avait pour autre but que de le protéger ?

Dois-je comprendre que mon grand-père n’aurait pas saisi que l’administrateur de Vichy qui lui confisqua son atelier l’avait fait pour son bien, peut-être à des fins d’amélioration de la rentabilité ?

Dois-je comprendre que mon père, alors qu’il avait dix ans, s’est bêtement senti exclu lorsqu’interdit de pénétrer au square du temple du 3e arrondissement à Paris, square « interdit aux chiens et aux juifs », faute d’avoir compris que Vichy était soucieux qu’il ne se fasse pas mal en jouant avec les enfants de son âge ?

Dois-je comprendre qu’il faut considérer l’exposition de l’hiver 41 à Paris « le juif et la France » comme une exposition culturelle destinée au rapprochement des uns avec les autres au nom du « vivre ensemble » et ne pas voir la sculpture représentant l’horrible juif étreignant la planète de ses griffes comme antisémite ? Et par ailleurs, pourquoi donc déshumaniser les juifs français qu’on désire protéger ?

Dois-je comprendre que mon grand-père a eu tort de fuir Paris pour aller protéger sa famille en la cachant dans le Limousin chez des paysans français, et que c’est par manque de clairvoyance qu’il s’est ainsi enfui ?
Dois-je comprendre que s’il n’avait pas pris cette décision, je serais là à coup sûr pour écrire en ce moment ?

Publié le 11-11-2014 par Serge Farnel

Posté par rwandaises.com