À l’approche de la troisième Conférence internationale sur le financement du développement, les négociations mènent tout droit vers une promotion des montages de financement « public-privé », au lieu d’accepter de s’attaquer au sein du cadre onusien au piège de la dette publique et à l’hémorragie fiscale qui frappent désormais tous les pays.

Après celles de Monterrey en 2002 et de Doha en 2008, en juillet aura lieu la troisième Conférence internationale sur le financement du développement, à Addis Abeba. L’enjeu est de s’entendre sur les modalités de financement des futurs « Objectifs de Développement Durable » (ODD), qui seront définis en septembre pour succéder aux célèbres « Objectifs du Millénaire pour le Développement » (OMD).

Hémorragie

Dans « Les chiffres de la Dette ­ 2015 », le Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers-monde (CADTM) rappelle que le stock de dette extérieure de l’Afrique subsaharienne était de 331 milliards de dollars en 2012, dont 200 milliards de dollars de dette publique en partie liée à l’APD et souvent associée à la mise en place de mesures néolibérales aux conséquences désastreuses pour les peuples. Cette année­-là, 15 milliards de dollars ont quitté le continent au titre du service de la dette extérieure publique, et 59 milliards de dollars par le rapatriement « officiel » dans les pays occidentaux des profits des multinationales, dont les activités consistent généralement à piller les ressources locales.

Ce dernier chiffre est toutefois considérablement minoré par un ensemble de mécanismes légaux ou illégaux qui leur permettent de contourner voire frauder l’impôt : estimation après estimation, le chiffre augmente, atteignant 1000 milliards de dollars qui échappent chaque année au fisc des pays en développement (dont 50 milliards pour l’Afrique), par le biais de la corruption, du blanchiment d’argent, et surtout des pratiques d’évitement de l’impôt déployées par les multinationales. C’est la raison pour laquelle une partie de la société civile met plutôt l’accent sur la réforme du système financier et du commerce international ; mais côté pays donateurs, dont la France, les orientations sont sensiblement différentes. Certes, il y a toute la litanie officielle sur « l’importance d’une meilleure mobilisation des ressources internes par des réformes fiscales responsables et une meilleure utilisation des rentes liées à l’exploitation des ressources naturelles, d’une plus grande transparence et redevabilité de la part des pays partenaires du développement, de la lutte contre l’évasion fiscale et de la suppression des paradis fiscaux » [1]. Et il est vrai que la France, avec les autres pays du G20, a demandé à l’OCDE de plancher sur une évolution des règles internationales de fiscalité pour colmater certaines brèches, et propose aux pays en développement un appui technique (comptabilisé en APD) pour le renforcement des capacités de lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et la corruption…

Mais en parallèle, elle s’oppose au cadre juridique multilatéral sur les restructurations de dette souveraine que réclame l’Assemblée générale de l’ONU, et à ce que cette dernière se dote d’une instance légitime pour discuter les questions de fiscalité (un espoir de la société civile douché lors de la précédente conférence, en 2008 à Doha, et qui reste une revendication phare). Le gouvernement rejette également de nombreuses possibilités d’évolution législative française à ce sujet au motif de ne pas vouloir menacer la « compétitivité » des entreprises françaises (cf. Billets n°242, janvier 2015). Paris est par ailleurs pointée du doigt par le réseau Eurodad qui, dans un rapport de novembre 2014 sur les politiques des pays européens en matière de lutte contre les flux illicites de capitaux, relève que la France détient le record européen du nombre de conventions fiscales signées avec des pays en développement (72). Etablies au motif d’éviter la double imposition pour les entreprises françaises implantées dans chaque pays signataire, ces conventions contiennent des dispositions qui, selon Eurodad, ont pour effet de « [réduire] le taux de la retenue à la source de 3,2 points de pourcentage en moyenne » et donc de priver ces pays d’autant de ressources fiscales. Et au niveau européen, les APE (Accords de Partenariat Economique) en cours de signature entre l’Europe et les Etats d’Afrique de l’Ouest ne risquent pas non plus d’améliorer les choses : en plus de livrer les entreprises africaines à la concurrence européenne, ils entraîneront une baisse des recettes fiscales estimée à 1,8 milliard de dollars pour les 5 prochaines années (Cf. Billets n°235, mai 2014).

Le privé en embuscade

En réalité, la France, comme d’autres bailleurs, cherche surtout à modifier la mesure de l’aide au développement. Pardon : à promouvoir « une vision holistique du financement du développement, prenant en compte l’ensemble des flux concourant au développement des PED afin de favoriser leur complémentarité et d’augmenter leur impact sur le développement local dans une perspective durable ». Austérité oblige, les pays occidentaux cherchent à contourner l’exigence des fameux 0,7% (voir encadré) pour ne pas avoir à augmenter les enveloppes, en mettant en place, à côté de l’APD, d’autres indicateurs complémentaires prenant en compte les flux financiers en direction des pays en développement. Et les chiffres sont alléchants : en 2015, l’APD mondiale était de l’ordre de 125 milliards de dollars selon l’OCDE, alors que selon la Banque Mondiale, le flux d’investissements directs étrangers entrant dans les pays en développement représentait 600 milliards de dollars et les transferts de migrants 400 milliards de dollars.

Une des pratiques avancées par les pays occidentaux est celle du « blending », c’est-à-dire « la mobilisation de financements privés par le biais de subventions et de garanties publiques, notamment à travers le mixage de l’APD avec d’autres financements », explique un document de positionnement de 137 organisations de la société civile internationale publié fin 2014, juste avant le début des négociations à l’ONU sur le financement du développement. Inquiètes, ces organisations relèvent que ces financements mixtes, loin d’augmenter le financement total grâce au prétendu « effet levier » des fonds publics pour mobiliser des capitaux privés, ont tendance à remplacer des investissements privés qui se seraient faits de toute façon. De plus, les pays destinataires n’ont aucune maîtrise sur leur affectation alors que les intérêts des apporteurs de fonds privés peuvent être en décalage avec leurs priorités et, sans surprise, ils sont peu transparents et transitent généralement par des paradis fiscaux.

Migrants noyés par la finance

Autre pratique en vogue depuis quelques années, tenter d’amplifier et d’orienter les transferts des migrants. Via des mécanismes de mixage avec des fonds publics également (comme dans le fonds migration et développement de la Banque Africaine de Développement créé fin 2009), mais pas seulement. Il s’agit, si l’on en croit le rapport d’orientation de la politique française de 2013 en matière de mobilité, migration et développement, d’« accroître la transparence du marché des transferts de fonds », de « [renforcer] la concurrence sur le marché des transferts de fonds », de «  [promouvoir] de nouvelles formes de transferts de fonds », de « [promouvoir] des produits financiers et boursiers comme instruments de mobilisation de l’épargne », de « soutenir les initiatives d’investissement productif et d’entrepreneuriat des migrants » en « [promouvant leur accès] aux services financiers existants et [en appuyant] la création de services et produits financiers dédiés ». Pour les banques, un petit pactole supplémentaire : le potentiel des émissions de transferts des migrants depuis la France était estimé à 9 milliards d’euros en 2013 [2]… ­

Pauline T.

Publié le 11 juillet 2015 (rédigé le 3 juin 2015) par Billets d’Afrique et Afrique :

Posté le 19/07/2015 par rwandaises.com