Quelle triste réalité pour la communauté internationale, qui semble avoir la mémoire courte ! Elle a déjà oublié les mécanismes et le contexte qui ont engendré le rebelle et acteur politique Nkurunziza, il y a une vingtaine d’années : l’exclusion sociopolitique et économique par le pouvoir politique de l’époque, la marginalisation, l’injustice … ainsi que la rébellion armée d’intellectuels, de militaires, d’acteurs politiques et civils, de jeunes qui en étaient victimes ou se sentaient comme tels.
N’oublions pas que les mêmes mécanismes produisent les mêmes effets, dans un contexte similaire. Et depuis un certain temps, ce sont ces mécanismes – ayant engendré Nkurunziza et son cercle d’affinités et de clientèle – qui opèrent au Burundi ; le même scénario d’il y a une vingtaine d’années se profile à l’horizon, avec quatre facteurs de taille pouvant jouer le rôle d’accélérateurs.
Les assassinats, intimidations, emprisonnements arbitraires, tortures, privations des libertés et frustrations qui se multiplient à plus ou moins grande échelle.
Le nombre important d’exilés, venant de milieux socioéconomiques et politiques variés, aux compétences diverses, aguerris et disposant de réseaux éprouvés : des intellectuels, des acteurs politiques, médiatiques, civils et économiques, des militaires de tous les rangs (y compris d’anciens compagnons de lutte de Nkurunziza), des jeunes qui n’ont plus rien à perdre…
L’expérience de Nkurunziza pouvant servir de modèle ; lui et sa clique sont parvenus au pouvoir et profitent de divers privilèges grâce à la lutte armée.
Les chefs d’Etat voisins tentés aussi par le putsch constitutionnel et le forcing électoral ou soucieux de préserver leurs intérêts, qui peuvent soutenir officiellement ou officieusement l’une ou l’autre partie.
Pourtant, la communauté internationale brille par son inaction ; ses interventions se limitent au niveau du discours suggérant la retenue de la part des différentes parties, le dialogue et que c’est aux burundais de trouver la solution, sous prétexte de ne pas être accusée de paternalisme ou d’ingérence.
Néanmoins, ce sont le paternalisme et l’ingérence qui se sont toujours pratiqués et continuent à se pratiquer, sous des formes différentes ; autant intervenir au vu et au su de tous pour prévenir le pire (toujours possible), tout en servant d’avertissement aux autres despotes ou apprentis potentats, qui attendent de voir l’issue du forcing de Pierre Nkurunziza pour adapter leurs stratégies et ne plus céder aux appels à l’alternance démocratique.
Nulle part, au monde, deux parties adverses ou en conflit sont parvenues à trouver d’elles-mêmes une solution à leurs différends. Il n’y a que deux possibilités : soit l’une des parties prend le dessus sur l’autre, l’écrase et lui impose sa façon de voir les choses, soit une troisième partie (la population – par la voie des urnes, une partie plus forte que les deux parties en question ou plus écoutée par ces dernières – par la voie de la médiation) intervient pour amener les deux parties à trouver une solution à leurs différends.
Au regard de l’évolution politico-sécuritaire récente du Burundi, de son histoire et de son contexte régional, c’est à la communauté internationale de jouer le rôle de la troisième partie.
Certes, le Burundi ne pèse pas lourd économiquement ni politiquement sur l’échiquier international. Cependant, la dégradation de la situation politique et socio-sécuritaire du Burundi peut avoir l’effet domino dans les pays voisins, avec des conséquences sécuritaires, économiques, politiques, écologiques et humanitaires dont on soupçonne déjà l’ampleur dans les milieux diplomatiques et des organisations internationales. Et malin est celui qui peut en prédire l’issue !
Pierre Nkurunziza et ses acolytes ont dégainé les premiers et ont montré leurs muscles face à la communauté internationale, ignorant les conseils, mises en garde et menaces de cette dernière. Il est plus que temps que la communauté internationale passe enfin à l’action, se prête au jeu de qui a de gros muscles et livre le combat qui est le sien : celui de la préservation du droit à la vie et à la dignité humaine, de l’alternance démocratique, des libertés publiques, de presse et d’expression, des libertés civiques et politiques.
Bien sûr que la Chine et la Russie s’opposeront à toutes les initiatives au sein des institutions onusiennes ; elles ont déjà apporté leur soutien à Pierre Nkurunziza, et ce sont des dictatures (à des degrés divers) dont les dirigeants n’ont trouvé d’autre moyen d’exister médiatiquement, localement et géo-stratégiquement qu’en s’opposant aux puissances occidentales et plus particulièrement aux Etats-Unis d’Amérique (USA). En plus, la Chine n’est intéressée que par ce qu’elle peut acheter pour renforcer sa puissance économique.
Quant à la France, elle s’accommode de la situation actuelle au Burundi, probablement une cécité politique liée aux traumatismes inhérents à son intervention au Rwanda et ses relations passées avec ce pays avant, pendant et après le génocide. Mais, à la différence de la Chine et de la Russie, c’est une véritable démocratie et, malgré ses réticences des premières heures, elle finit toujours par emboîter les pas des américains, des britanniques et des allemands.
Cela étant, les USA et l’Union Européenne peuvent à eux seuls infléchir la position du pouvoir burundais, par des sanctions ciblées. Plus récemment, les sanctions qu’ils ont prises contre la Russie ont d’une part fini par freiner les prétentions de conquête régionale russe ; d’autre part, l’économie russe est en crise et l’élite russe souffre de l’isolement diplomatique de la Russie. Ce qui laisse penser, avec certitude, que les sanctions américaines et européennes contre le pouvoir burundais, économiquement et diplomatiquement dépendant de l’extérieur, ne mettraient pas longtemps à produire leurs effets et à éviter l’embrasement de la poudrière que constituent la région des Grands-Lacs, et plus particulièrement le Burundi.
L’arsenal de sanctions symboliques, politico-diplomatiques et économiques ne manque pas :
la traduction devant la justice internationale des lieutenants de Nkurunziza et de sa clientèle ;
le retrait du Burundi des négociations bilatérales, régionales et multilatérales ;
l’exclusion et la marginalisation des dirigeants burundais et de leurs représentants lors des manifestations nationales, régionales et internationales ;
la suspension des accords d’aide et de traitement préférentiel ;
les mesures ciblant la coopération sectorielle et les échanges avec le Burundi ;
les restrictions à l’égard des lieutenants de Nkurunziza et des représentants du pouvoir burundais ainsi que de l’élite politique, financière, économique, sportive, médiatique et religieuse qui le soutient (gels des avoirs et interdictions de visas) ;
le retrait du Burundi des contributeurs au maintien de la paix onusien, régional et sous-régional ;
conditionner le financement des projets de développement régionaux et sous-régionaux par le retrait du Burundi ; etc.
Certaines de ces mesures auront certainement de rudes conséquences sur les conditions de vie de la population burundaise, mais ça ne pourra pas être pire qu’actuellement. C’est le prix à payer au regard des enjeux nationaux, régionaux et sous-régionaux, pour que le Burundi retrouve la voie de la raison, de la paix et de la démocratie, conditions nécessaires au développement. La balle est dans le camp de la communauté internationale.
Espérons qu’elle va finir par descendre véritablement dans l’arène et participer au jeu de bras de fer auquel Pierre Nkurunziza et sa bande l’invitent, au risque de voir les efforts déployés depuis les années 1990 par la communauté nationale, régionale et internationale se résumer à un pétard mouillé, à « Tout ça pour ça » ! Que Dieu nous en préserve…, Il n’est pas le monopole de Nkurunziza.
Publié le 30-08-2015 – par Jean Berchmans Mpitabavuma
Posté par rwandaises.com