Le ministre rwandais de la jeunesse et des TIC, Jean Philbert Nsengimana

« Chaque village africain devrait créer son propre Tech Hub ! ». Pour le ministre de la jeunesse et des TIC, Jean Philbert Nsengimana, le Rwanda doit voir l’avenir en « Smart ». Dans ce petit pays d’Afrique centrale où 60 % de la population a moins de 25 ans, l’innovation technologique s’est imposée comme un secteur clé du développement. Exemple : outre le « mobile banking », les transports publics seront bientôt tous équipés de connexions wifi et la fonction publique s’apprête à digitaliser ses services.

Côté start-up, le ministère des TIC a promis d’appuyer les jeunes entrepreneurs avec le lancement au printemps 2016 d’un fonds de capital-risque qui pèsera plus de 100 millions de dollars. Dans un entretien au Monde Afrique, Jean Philbert Nsengimana revient sur les performances technologiques du Rwanda, en marge de la conférence panafricaine TransformAfrica 2015.

Prés de 21 ans après le génocide, le Rwanda est en train d’émerger comme un leader technologique africain. Quel est le secret de cette transformation ?

Juste après le génocide, les autorités ont fait le choix de se concentrer sur les technologies de l’information et de la communication (TIC) qui furent jugées comme indispensables pour accélérer la reconstruction de la nation, mais aussi pour avoir une voix qui porte dans la mondialisation.

Ce fut un pari très difficile à tenir après 1994. Vous savez, il y avait tellement de priorités et d’urgences à traiter au sortir du génocide, à commencer par la question de la sécurité alimentaire, le processus de justice pour les victimes du génocide, assurer la sécurité physique des personnes, la protection des frontières du pays, la reconstruction des institutions…

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Face à l’énormité de tous ces chantiers, nous aurions pu reléguer les TIC au second plan, et pourtant nous les avons placés au cœur de toutes nos politiques publiques, dans tous les domaines.

Bientôt, l’économie du Rwanda sera entièrement numérisée avec la généralisation du paiement mobile. A Kigali, tous les services administratifs sont déjà en cours de digitalisation. Comment expliquez-vous ce train d’avance sur le reste du continent ?

La nécessité est la mère de toute innovation. Le Rwanda est un pays enclavé et très peuplé qui dispose de peu de ressources. Nos besoins augmentent constamment, ce qui nous condamne à toujours innover pour faire plus, avec moins. Nous n’avons certes pas beaucoup de ressources naturelles, mais au moins nous avons les technologies et nous bâtissons notre économie sur cet écosystème.

Dans chaque ville et même dans chaque village africain, même les plus petits, il est nécessaire de créer des hubs technologiques

Je dirai que l’innovation est une partie intégrante de notre histoire récente. Par ailleurs, lorsque votre pays est petit par sa taille et par son marché, vous devez innover constamment pour attirer les investisseurs étrangers. J’ai vécu à Singapour, j’ai assisté aux premières loges à l’essor d’une île-Etat de 5,4 millions d’habitants, devenue un moteur économique puissant au cœur de la région Asie du Sud-Est. Tout cela grâce à l’innovation, et notamment l’innovation publique, l’innovation impulsée par le gouvernement.

Le Rwanda souhaite donc devenir le Singapour de l’Afrique ?

Nous voulons nous positionner comme un hub technologique de premier plan en Afrique. Au passage, si vous regardez la carte mondiale de la connectivité Internet, l’Afrique est encore plongée dans le noir. Une fois que l’Afrique sera entièrement connectée, nous, Africains, apparaîtrons sur la carte, avec de nouveaux points de plus en plus lumineux. Je l’espère en tout cas, c’est mon job à la tête de ce ministère, que Kigali sera l’une des étoiles les plus brillantes de cette grande constellation africaine.

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Personnellement, je pense que dans chaque ville et même dans chaque village africain, même les plus petits, il est nécessaire de créer des hubs technologiques. Il faut permettre aux habitants de ces villages, qui ont chacun leurs spécificités et leurs contraintes propres, de résoudre leurs problèmes grâce aux possibilités offertes par le numérique. Voilà ma définition de ce qu’est un « Tech Hub ».

Votre gouvernement va bientôt lancer un fonds d’investissements pour start-up, de plus de 100 millions de dollars. Une première en Afrique…

Notre écosystème d’innovation est constamment en train d’évoluer. A Kigali, tout a démarré en 2012 avec un premier incubateur, dont la gouvernance repose sur un modèle public-privé, le K-Lab. Trois années plus tard en 2015, je me suis amusé à compter le nombre d’espaces d’innovation existants à Kigali, j’en ai recensé une dizaine. Beaucoup d’entre eux ont vu le jour avec le soutien du gouvernement, mais la majorité de ces structures sont indépendantes, elles se développent de manière organique.

Nous voulons financer et soutenir 100 start-up qui pourront être rwandaises mais aussi africaines !

Mais cela est insuffisant : il n’y a pas d’incubateurs dans les provinces rwandaises, et je pense que les universités ne sont peut-être pas encore suffisamment impliquées. Par exemple, nous pourrions avoir davantage de structures d’incubation au sein des universités technologiques ou en lien avec les différents départements de recherche et développement.

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Donc ce nouveau fonds permettra de construire un vrai pipeline de projets innovants et d’en financer les meilleurs. Mais l’argent ne suffira pas pour réussir : chaque projet financé sera accompagné par l’équipe de gestion. La part du gouvernement dans ce nouveau fonds représentera 30 %, les 70 % restants seront apportés par des souscripteurs privés.

Combien de start-up seront financées ? Les autres pays d’Afrique pourront-ils en bénéficier ?

Nous voulons financer et soutenir 100 start-up qui pourront être rwandaises mais aussi africaines ! N’importe quelle start-up venant du monde entier peut potentiellement trouver des financements auprès de ce fonds, à condition bien sûr que cette entreprise vienne s’établir au Rwanda et qu’elle crée de la richesse sur notre territoire. Les premiers investissements débuteront à compter du printemps 2016.

Propos recueillis par Samir Abdelkrim (chroniqueur Le Monde Afrique, Kigali, Rwanda)

http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/11/03/le-rwanda-pays-des-disruptions-africaines_4801967_3212.html

Posté le 3/11/2015 par rwandaises.com