Nous avons beaucoup d’amis, individus ou associations : Patrick de SaintExupéry, Survie, pour ne citer que les plus connus et dignes de l’être.
Ils constituent le salutaire « supplément d’âme » et le poil à gratter des politiques. Et il faut saluer leur combat, qui est aussi le nôtre. Ils ont permis de gagner des batailles mais on est loin, très loin de la victoire finale.
Et pour cause. Ils sont, comme leurs collègues des autres pays occidentaux, victimes des pesanteurs historiques et du passé colonialiste (et esclavagiste) de leur pays et de leur société.
Comme nous, ils buttent contre le mur des intérêts « supérieurs » et de la « raison d’Etat ». C’est-à-dire des profits et privilèges faits sur le dos de nos pays aujourd’hui comme hier. Et qui font le bien-être de tous les citoyens, même des plus pauvres. Aucun parti « de gouvernement » ne peut gagner le pouvoir ou s’y maintenir s’il ne promet au peuple d’inverser la courbe du chômage (à la baisse) et celle du PIB en augmentant la croissance.
Mais il n’y a rien de plus révoltant que l’indignation facile de certains « amis » bienpensants notamment d’une certaine gauche droits-de-l’hommiste ! Celle qui prétend refuser l’idéologie raciste tout en continuant à vivre les relations de paternalisme ou, pire, de supériorité et de « profit »…
Et à propos de la « gauche » et de la « droite », on peut penser aux « deux figures du colonisé » dans le portrait que fait Albert Memmi. Le portrait de nos faux amis ressemble à celui du « colonisateur qui se refuse », qui refuse l’idéologie coloniale tout en continuant à en vivre les “relations objectives” de privilège et de profit.
En réalité, il ne parvient pas à “s’évader” de la situation coloniale, car celle-ci est “relation de peuple à peuple”. Les relations coloniales ne relèvent pas de la bonne volonté ou du geste individuel […] ce sont elles qui […] déterminent a priori [la place du colonisateur] et celle du colonisé et, en définitive, leurs véritables rapports », dit Albert Memmi dans son ‘Portrait du colonisé-Portrait du colonisateur’.
Self reliance
Pour la situation rwandaise, le salut viendra de nous, de chez nous : tourner radicalement la page de la colonisation— crime de lèse-majesté, passible de pendaison !— en tournant le dos à son modèle de gouvernement et de démocratie « libérale » imposé par l’Occident et renouer avec nos racines en mettant en place les solutions « endogènes ».
Le Rwanda est aujourd’hui le seul à l’avoir fait et sans doute en partie parce que, en 1994, il avait touché le fond et que le premier responsable de son malheur était l’Occident, qui cherche toujours à lui imposer les mêmes solutions…
Partir des valeurs rwandaises traditionnelles
Le Pays de Gihanga est le pays de l’Ubuntu (« don gratuit » ; « humanité » ; « altruisme » ; « solidarité »). C’est pourquoi, il est le pays de la démocratie (à dominante) participative et du dialogue social généralisé. La Vision « 2020 » est le résultat d’un processus consultatif national qui a débuté au Village Urugwiro en 1998-1999.
Il reflète les aspirations et la détermination des Rwandais à la construction d’une identité rwandaise d’unité, de démocratie et d’inclusion, après de longues années marquées par des régimes autoritaires et exclusivistes. A travers cette Vision, nous visons la transformation de notre pays en un pays à revenu intermédiaire où les Rwandais jouissent d’une meilleure santé, éduqués et plus prospères de façon générale.
La Vision « 2020 » lie donc clairement et nécessairement développement et démocratie participative : pouvoir se nourrir, pouvoir se soigner, pouvoir s’instruire, se loger dignement…, sont des droits fondamentaux par excellence. Et la décentralisation est le gage de l’efficacité de cette ambition nationale.
Elle crée, en effet, un espace politique ouvert, donne à la population à tous les niveaux les capacités de participer activement à la transformation politique, économique et sociale du pays dans les secteurs qui ont été décentralisés : Agriculture, Education, Bonne Gouvernance, Santé, Infrastructures, Justice, Protection sociale.
Ceci fait du Rwanda l’un des pays les plus décentralisés du monde avec 5 niveaux de gouvernement : Cinq Provinces y compris la Ville de Kigali ; 30 Districts dit Uturere subdivisés en 416 Secteurs ou Imirenge et 2148 Cellules ou Utugari (2 148). Ces cellules se subdivisent à leur tour 14 837 Villages ou Imidugudu, les plus petites entités administratives de la base communautaire.
Cette restructuration administrative a revu à la baisse le nombre d’entités décentralisées et, avec elle, le secteur devient l’unité où tous les services seront délivrés. Et comme pour la politique de décentralisation, la (re)mise en œuvre des HGS a été progressive et graduelle toujours dans le cadre de la « Vision 2020 ».
Des stratégies graduelles bien pensées
Dix solutions endogènes ont été débattues à l’échelle nationale avant d’être exécutées supportant ainsi l’entreprise de décentralisation. Ce sont les ux de décentralisation : Ingando (« camp social », 1997) ; Umuganda(« travaux communautaires », 1998) ; Imihigo (« contrats de performance »,.2000-2006) ; Ubudehe (« travail collectif et débat entre voisins pour la réduction de la pauvreté », 2001-2012) ; Gacaca (« tribunal sur l’herbe », 18 juin 2002-18 juin 2012) ; Umushyikirano(« dialogue national », 2003) ; Umwiherero (« retraite gouvernementale élargie » 10-17 janvier 2004) ; Abunzi (« réconciliateurs », « médiateurs », 2004) ; Girinka (« que tu aies une/des vache-s ! », une vache par famille pauvre, 2006) ; Itorero (« lieu de sélection » ou école civique traditionnelle, 2007).
Et si la Vision 2020 a déjà porté ses fruits, c’est aussi parce que le processus de décentralisation et la mise en place de 10 solutions « endogènes » (“Home Grown Solutions”, HGS) vont de pair comme le souligne la Banque mondiale : Le Rwanda est en voie d’atteindre la plupart des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) d’ici fin 2015.
Une forte croissance économique a été accompagnée par des améliorations substantielles des conditions de vie, notamment pour les enfants et les femmes. Le taux de mortalité infantile a baissé de deux tiers et le pays a presque atteint l’éducation primaire universelle.
Un fort accent mis sur des politiques et initiatives endogènes a contribué à un progrès significatif dans l’accès aux services et dans les indicateurs de développement humain. Le taux de pauvreté a baissé de 59 % en 2001 à 45 % en 2011 tandis que les 3 inégalités, telles que mesurées par le coefficient de Gini, ont reculé, passant de 0,52 en 2006 à 0,49 en 2011. (Banque Mondiale, Rwanda – Vue d’ensemble, 06 oct. 2015).
Solutions endogènes
Le Rwanda est donc un exemple rare voire unique au monde d’une démocratie (à dominante) participative. Mais, pour nos anciens maîtres et leurs supplétifs « autochtones », il ne faut pas que cet exemple contamine les voisins proches ou lointains du Rwanda : c’est à ce prix-là qu’ils pourront continuer à « manger du sucre ».
C’est pour cette raison que, tout en saluant le succès de la mise en œuvre de cette de cette politique de décentralisation et des HGS, les observateurs occidentaux ou « occidentalisés » estiment que le pays reste confronté au défi de l’autonomisation de sa société civile et à l’absence d’une opposition véritable. Ils oublient trop facilement que la cohérence d’un système est la condition sine qua non de son efficacité : il va de soi que le modèle dominant contamine, en quelque sorte, tout le reste de la vie publique et politique.
Ainsi, dans une démocratie (à dominante) représentative, le multipartisme d’opposition comme les contre-pouvoirs sont, plus que nécessaires, indispensables pour un fonctionnement démocratique d’un pays qui serait, sans eux, exposé à l’arbitraire de ses dirigeants. Les partis politiques d’opposition, tout en s’opposant, se préparent à l’alternance, la « société civile » est le lieu de participation citoyenne à la vie publique, les médias jouent leur rôle de contre-pouvoir voire de « quatrième pouvoir ».
Et toujours dans une sorte d’antagonisme systématique et souvent d’éparpillement : bipartisme (Conservateurs et Démocrates) aux Etats-Unis ou bipolarisme (gauche/droite) en France avec une dizaine de partis politiques qui ne parviennent guère à se mettre d’accord, même sur l’essentiel. Et il en est de même dans la vie syndicale, associative ou dans le paysage médiatique. Le pouvoir est « départagé » et non « partagé » comme au Rwanda.
Démocratie participative et consensuelle privilégiée
Dans une démocratie (à dominante) participative et donc dans un espace ouvert à tous et à toutes, y compris à la Diaspora (« la sixième province »), il faut garantir et organiser le partage : c’est donc d’abord un problème de « bonne gouvernance ». Dans le cadre très décentralisé, le rôle de « garde-fous » est assuré par des structures institutionnalisées, au premier rang desquelles se trouvent deux organismes eux-mêmes décentralisés :
L’Office de l’Ombudsman, dont le rôle est de combattre la corruption par l’éducation, la prévention et l’application de la loi : stages de sensibilisation ; alourdissement des peines encourues ; identités des coupable rendues publiques Le Rwanda Governance Board (RGB), chargé de la mise en application des politiques publiques (décentralisation, certaines HGS…), l’enregistrement des partis politiques (11, dont la moitié au moins sont bien représentés au gouvernement et presque tous au Parlement bicaméral), des ONG (1 400 ONG, dont 500 confessions religieuses…).
Le RGB est chargé de l’évaluation régulière des médias et de leur développement (Baromètre Rwanda Media). Mais le Code d’Ethique et de Déontologie des médias rwandais a été adopté en 2004 après consultations entre le Haut Conseil de la Presse d’une part, les professionnels et partenaires des médias au Rwanda d’autre part). Mutatis mutandis, la liberté d’expression n’a pas trop à rougir des comparaisons.
En vingt ans, le nombre des stations de télévision est passé de 1 à 6, le nombre de stations radio de 1 à 29. Et il existe actuellement plus de 45 titres de journaux et 80 sites-web d’information.
A François Soudan (JA du 07 avril 2015) qui lui fait l’observation suivante : « Pourtant, si l’on en croit les rapports de Reporters sans frontières et du Committee to Protect Journalists, les médias sont muselés… », le Président Paul Kagame répond :
« C’est effectivement ce qu’ils prétendent, en méconnaissance volontaire de cause. Ils ne lisent pas nos journaux, ils n’écoutent pas nos radios privées. S’ils faisaient leur travail, ils s’apercevraient que, contrairement à ce qu’ils disent, on peut dans ce pays critiquer le pouvoir et critiquer Kagamé sans aller en prison.
Notre loi ne sanctionne pas la critique. Elle sanctionne les abus, la diffamation, l’incitation à la haine, l’apologie du génocide. Comme dans n’importe quelle démocratie » les limites étant comparables à celles fixées par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse en France par exemple : provocation aux crimes ou aux délits (meurtre, pillage, incendie, etc.) ; diffamation, racisme ; et, depuis le vote de la loi Gayssot en 1990, la contestation de l’existence de la shoah.
Et les succès sont au rendez-vous : en termes de bonne gouvernance, le Rwanda occupe la 4 ème place en Afrique et la 49ème dans le monde parmi les pays moins corrompus. Mais les succès ne s’arrêtent pas là. En effet, 20 ans après le génocide de1994, le Rwanda est un des très rares pays à avoir atteint voire dépassé tous les 8 Objectifs du Millénaire (croissance frisant 7% ; mortalité infantile en chute de 70% ; espérance de vie en hausse de 20 ans ; 90 % des enfants de moins de 12 ans scolarisés ; le parlement le plus féminin au monde à 64% de femmes… ; 5 ème contributeur des forces de maintien de la paix de l’ONU, avec plus de 5000 casques bleus ; champion des « villes propres » ; zéro sac plastique…).
Une telle success story, un tel « miracle » ne peut pas se faire sans l’adhésion du peuple, sans la rencontre d’un grand homme d’Etat et d’un peuple (meurtri), sans « « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple », sans démocratie. Sauf que le modèle démocratique d’un des plus vieux Etats-Nations du continent, la démocratie participative, n’est pas monnaie courante et passe, pour les nostalgiques de la suprématie « occidentale », pour une démocratie « tropicale », « bananière ».
Et cela seulement parce que le président Kagame a été réélu, en 2010, à « 93 % des suffrages enregistrés » (Slate.fr, avril 2015). Contre seulement 82 % du Président Chirac en 2002 face au candidat de l’extrême droite française, dans des circonstances moins tragiques pour la nation.
L’auteur de ce texte est un Linguiste Certifié en Lettres modernes
Publié le 5-11-2015 – par André Twahirwa
posté le 06/11/2015 par rwandaises.com