Envoyée à Bukavu par l’ONG Protection International pour suivre le procès des assassins présumés du journaliste Serge Maheshe, Sophie Roudil est revenue impressionnée, sinon effrayée du niveau d’intimidation subi par les témoins, les observateurs internationaux, la presse locale…
Rappelons que Serge Maheshe, secrétaire de rédaction à Radio Okapi a été tué à bout portant le 13 juin 2007 alors qu’il venait de terminer son service. Le procès avait connu des rebondissements spectaculaires : en première instance le Tribunal militaire avait condamné à mort quatre civils, deux hommes qui avaient avoué être les auteurs du crime ainsi que..les deux meilleurs amis du journaliste, qui se trouvaient avec lui au moment des faits et qui n’avaient été sauvés que par leur réflexe de se jeter sous le véhicule ou dans le fossé pour éviter les tirs. Ces hommes avaient été désignés comme les commanditaires du crime par les assassins présumés. Par la suite cependant, ces deux hommes s’étaient rétractés, assurant que c’est sous la pression de deux magistrats instructeurs qu’ils s’étaient présentés comme les assassins du journaliste et avaient désigné les présumés commanditaires du crime. Compte tenu de cette rétractation, la Cour avait libéré les deux amis de la victime. Les deux assassins « autodésignés » avaient assuré qu’ils s’étaient impliqués dans cette affaire contre promesse d’une rémunération et d’une prompte libération…En appel, la condamnation à mort des deux hommes a cependant été maintenue, frappant un troisième civil, qui avait été acquitté en première instance.
A l’instar des observateurs de la Monuc ( Mission des Nations unies au Congo) ou de l’Union européenne, l’observatrice de Protection International estime que le procès d’appel n’a pas présenté les garanties équitables, que de nombreuses zones d’ombre subsistent et que la peine de mort est contraire à la Constitution adoptée en 2006. Elle relève que le procès a été mené uniquement à charge, que la Cour a refusé d’entendre certains témoins, que les pièces à conviction n’ont pas été mises sous scellés ni présentées dans leur état initial (le T shirt du journaliste, maculé de sang, a été présenté dans un état impeccable, seulement troué de trois impacts, des photos ont été piétinées…). Et surtout, des investigations de base ont été refusées, comme une expertise balistique (les magistrats se sont contentés de dire que les armes désignées comme celles du crime « sentaient la poudre ») et cela malgré les offres de service de la Monuc qui suggérait de faire appel à un magistrat indépendant. L’observatrice relève aussi qu’au prétexte que l’arme provenait de stocks militaires, c’est un Tribunal militaire qui a été chargé de traiter cette affaire, qui ne concerne cependant que des civils.
En outre, les intimidations des témoins et des observateurs ont été constantes : menaces d’inculpations pour outrages à magistrats, envoi de SMS contenant des menaces de mort, appels téléphoniques anonymes…
Compte tenu de toutes ces irrégularités, Protection International appelle à un réexamen au fond de l’affaire Maheshe, par une juridiction civile impartiale et indépendante. Cet appel est d’autant plus pertinent que l’an dernier Didace Namujimbo, un autre journaliste de Bukavu, travaillant lui aussi pour la Monuc, (qui ne s’est pas portée partie civile, pour aucun de ses deux employés…) était abattu dans des circonstances comparables, comme l’avait été deux ans plus tôt Pascal Kabungulu, un militant des droits de l’homme très connu. De passage à Bruxelles, le frère de Didace, Deo Namujimbo a lui aussi dénoncé la «parodie de justice » insistant sur le fait que dans l’Est du Congo, les journalistes, effrayés, menacés, pratiquent de plus en plus l’autocensure.
C’est dans ce contexte que Protection International a relevé qu’à Bunia, le signal de Radio France International avait été coupé et qu’il menaçait de l’être à Bukavu aussi. « Si RFI est contrainte au silence, la population se sentira oroheline » assure Deo Namujimbo.
Ces menaces sur la liberté de la presse, qui pourraient s’aggraver d’ici les élections de 2011 doivent cependant se lire aussi dans le climat très particulier de l’Est du Congo, un climat de guerre et d’insécurité où les forces armées congolaises mènent des opérations à hauts risques contre les rebelles hutus, afin de les forcer à rentrer au Rwanda.

 

 http://blogs.lesoir.be/colette-braeckman/2009/06/24/affaire-maheshe-une-parodie-de-justice-a-bukavu/

Posté par rwandaises.com