En octobre dernier, aux éditions idm, a paru un livre époustouflant qui donne la parole à une haute figure de chef d’Etat africain, Paul Kagame. Enfin, les Français peuvent mieux connaître la trajectoire de cet ancien réfugié, vainqueur des forces génocidaires, au Rwanda, en 1994. Il réalise, en 21 ans, avec son peuple, un décollage économique spectaculaire, et contribue à ressouder, peu à peu, le tissu social tragiquement mis à mal. Ce livre, L’Homme de fer, conversations avec Paul kagame, président du Rwanda, nous le devons à François Soudan.

Comme ses confrères de Jeune Afrique, il s’était trompé  dans ses premiers articles, d’avril à mai 1994, minimisant les massacres, valorisant le président Habyarimana, rendant les Belges et le Front patriotique de Paul Kagame responsables de l’assassinat de Juvénal Habyarimana. Mais dans son article du 14 juillet 1994 (Jeune Afrique, « L’homme qui fait peur à la France »), il est le seul à comprendre que, « pour la première fois depuis les indépendances », la prise de Kigali « par les forces du général Kagame » signifie qu' »un pouvoir soutenu par la France est tombé entre des mains étrangères à l’aire politique et culturelle francophone. »

On est séduit par la contruction habile de l’entretien, très varié dans sa forme. En premier lieu, la progression choisie – un bref profil de Paul Kagame, son exil en Ouganda, la naissance du FPR, son arrestation rocambolesque en février 1992 à Paris par les services secrets, le rôle négatif de la France, l’attentat du 6 avril 1994, la dimension populaire du génocide, le succès militaire du FPR qui arrête les massacres, aujourd’hui, le Rwanda, sous sa gouvernance – rend limpide son itinéraire. En second lieu, le lecteur est captivé par les brusques tensions entre le journaliste et son prestigieux interlocuteur. Le dialogue devient très serré. Et François Soudan ose parler à ce chef d’Etat avec une grande liberté; on croirait assister à un interrogatoire :

Le 6 avril 1994, que faisiez-vous exactement quand l’avion de Habyarimana a été abattu ?

Nous regardions un match de football de la coupe d’Afrique des nations.

Ou bien, le lecteur est remué par des formules saisissantes :

Y a-t-il du plaisir à faire la guerre ?

– Il y a énormément de plaisir à lutter pour la justice, y compris, quand c’est nécessaire, les armes à la main.

Et, à d’autres parties de l’ouvrage, en une ou deux pages, Paul Kagame donne des explicatios claires, parfois caustiques, sur des questions cruciales que la propagande occidentale nous a longtemps dissimulées, et il ne cache pas le contrôle très strict et rigoureux de l’espace politique qu’il exerce dans le pays. Nous apprenons beaucoup sur les causes profondes du génocide, le mystère qui les entoure, sur la grande maîtrise de l’armée du FPR, en 1994, pour empêcher les massacres de Hutu à grande échelle, en 1994, sur le singulier modèle démocratique rwandais; on est sidéré que l’homicide d’un terroriste soit justifié:

Qui a tué Karegeya ?

On est tué, dit-il, comme on a soi-même tué.

Les révélations sont arrachées, à travers des répliques vives, argumentées, jamais lassantes, d’autant plus que le journaliste avance des opinions controversées : pourquoi le FPR n’a-t-il pas empêché les massacres puisqu’il était au courant d’une explosion imminente ? « Imaginer, dit Paul Kagame,  une tuerie de masse, à l’échelle d’un génocide, n’est pas une chose que l’on conçoit aisément. (…) Le concept de génocide minutieusement planifié était une notion tout simplement trop vicieuse, en fait, au-delà de l’entendement. »

Le président Paul Kagame, lui-même au destin singulier comme le Rwanda, est également difficile à comprendre. Sa personnalité militaire et politique, insultée, caricaturée à l’envi par de nombreux médias occidenta&ux se dégage, pourtant, de la gangue des préjugés : ni un marxiste, ni un maoïste, ni même un socialiste, mais « un nationaliste acharné » confirme-t-il au journaliste ; toutes ses idées, il les articule autour du Rwanda. La fidélité à soi-même est ce qui le caractérise. Il tire sa fierté de ce que lui, qui se dit homme ordinaire, accomplit dans des situations exceptionnelles. Même ambition pour les Rwandais : il rêve « d’un Rwanda réellement stable, sur tous les plans. Un Rwanda prospère, dont le niveau a rattrapé celui des pays qui le tiennent pour acquis. Un Rwanda qui n’a plus besoin d’être le bénéficiaire de la générosité  d’autrui, (qui) soit en mesure de donner plutôt que recevoir (qui) puisse aider d’autres à devenir autonomes et à être les acteurs de leur prospérité. (…) des Rwandais heureux et fiers d’être des Rwandais ».

Il faut lire ces Conversations. Elles font sonner à nos oreilles des vérités que nos décideurs militaires et politiques français, acteurs en 1994, s’obstinent à nous cacher.

Jean-Pierre Cosse, auteur d’ Alain Juppé et le Rwanda (éd. L’Harmattan, 2014).

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Posté le 03/02/2016 par rwandaises.com