Nouvelle charge diplomatique du Burundi contre le Rwanda. Les autorités viennent de publier un document de 25 pages, un mémorandum pour expliquer comment Kigali essaie de déstabiliser le régime en place à Bujumbura. Thierry Vircoulon, analyste à l’International Crisis Group, décrypte ce document pour RFI.

 


Thierry Vircoulon, directeur d’International Crisis Group pour l’Afrique centrale.

RFI : Thierry Vircoulon, ce rapport commence par un rappel historique, l’arrivée de réfugiés rwandais tutsis après les massacres de 1959. Ils se seraient installés dans les quartiers de Bujumbura qui sont justement ceux dans lesquels la contestation est la plus forte aujourd’hui. Ça vous semble pertinent comme lecture ?

Thierry Vircoulon : Non, ça ne me semble pas pertinent. Je crois que c’est une certaine lecture de l’histoire burundaise. Certains diraient que c’est une lecture très partielle et très biaisée, puisque la raison pour laquelle il est dit dans ce mémorandum que les réfugiés rwandais se sont installés dans ces quartiers dès l’Indépendance, est [destinée] en fait [à] expliquer que la contestation du 3ème mandat vient essentiellement de ces quartiers et vient en fait essentiellement du Rwanda.

Le cœur de ce rapport dénonce justement des actes d’agression de la part du Rwanda accusé de former des rebelles. Les autorités burundaises ne sont pas les seules à s’en inquiéter. Est-ce qu’on sait aujourd’hui quel rôle joue le Rwanda ?

Au niveau du groupe des experts des Nations unies il y a un rapport qui a fuité il y a quelques jours qui dit qu’en effet il y a des opposants au régime burundais qui sont soutenus par Kigali. Depuis l’année dernière c’est quelque chose qui se disait. Mais ce qui n’est pas clair c’est quelle est l’étendue de ce soutien. Est-ce qu’il est très important ? Est-ce que ça concerne certains groupes armés burundais ou tous ? – puisqu’il y en a maintenant quand même un certain nombre – bref, il y a encore peu d’éléments quantitatifs.

Parmi les actes dénoncés dans le document publié par les autorités burundaises il y a aussi des assassinats ciblés contre des militaires, parfois hutus, parfois tutsis. Et comme le disent les autorités, ces attaques avaient pour but de diviser l’armée, sans succès apparemment. Est-ce qu’on peut dire que l’armée est vraiment unie au Burundi ?

L’armée au Burundi est au bord de la falaise ! On a vu depuis la fin du mois de mars une augmentation du nombre des assassinats et des arrestations de militaires : il est évident que la répression qui est conduite par certains provoque des réactions brutales par d’autres. Et donc on a au sein de l’institution militaire une vraie bataille et on peut dire maintenant que l’armée burundaise est un champ de bataille.

Pour expliquer les actes d’agression de la part du voisin rwandais les autorités burundaises expliquent que le régime Kagamé se sentirait menacé par le processus de réconciliation en place au Burundi. En gros, il existerait une histoire officielle au Rwanda et une sorte de négation de l’aspect ethnique, alors que le Burundi a choisi, au contraire, de prendre en compte les différentes communautés et de partager le pouvoir entre les Hutus et les Tutsis. Ce modèle burundais est toujours en place aujourd’hui ?

Le modèle burundais n’est plus en place depuis un certain temps, depuis même avant la crise de l’année dernière, puisqu’il a été remis en cause insidieusement pendant le second mandat du président Pierre Nkurunziza, et par conséquent le système d’Arusha n’existe plus que de façon virtuelle au Burundi. Par ailleurs, la note dont on parle, puisque c’est ça le sujet, est une note qui a pour but uniquement d’expliquer qu’il n’y a pas de contestation importante du 3ème mandat du président Nkurunziza au Burundi, mais réduit cela à un plan de déstabilisation du régime burundais par le Rwanda. Ce qui est évidemment une vision extrêmement biaisée et pro-régime des choses.

D’ailleurs ça fait des mois déjà que le Burundi accuse le Rwanda. Comment il faut interpréter selon vous la publication d’un rapport entier sur la question maintenant ?

Ça fait partie des efforts de lobbying du régime burundais pour en effet désigner le Rwanda comme l’ennemi public numéro 1 – ces efforts de lobbying diplomatique en direction d’Addis-Abeba et de New York – il y a eu une campagne de lobbying dans ce sens-là par le régime burundais depuis en effet pas mal de mois et c’est aussi la propagande. Si on regarde la propagande du parti au pouvoir, c’est ce qu’elle dit en interne. Ce document est un document qui est à destination externe, c’est-à-dire de la cmmunauté internationale, mais c’est exactement le même type de discours qu’on entend en interne au Burundi.

Et qu’est-ce qu’il pourrait y avoir comme conséquence à l’avenir ? La publication de ce rapport, les tensions qui montent, les expulsions de certains Burundais du Rwanda il y a quelques semaines, le recensement des étrangers au Burundi… Cette fois-ci, est-ce que c’est le début de quelque chose de plus grave ?

En tout cas ce sont des signes plutôt négatifs. Il est clair que la relation de voisinage entre le Burundi et le Rwanda est maintenant une relation d’inimitié. Il est aussi très clair qu’il y a des mesures de contrôle de la population de plus en plus importantes au Burundi et que le régime se referme – essaie en tout cas – de refermer le pays sur lui-même. Donc en effet, on peut dire que tout cela n’est pas tout à fait positif.

Avec Anne Cantener de RFI

http://fr.igihe.com/politique/burundi-un-plan-rwandais-de-destabilisation-est.html

Posté le 21/05/2016 par rwandaises.com