Afficher l'image d'origine
La presse a récemment fait état des révélations d’un homme affirmant que le président rwandais Paul Kagamé lui aurait fait une étonnante confidence. Celle d’avoir organisé lui-même l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion de l’ex-président Juvénal Habyarimana, son prédécesseur. Livrés par son ancien directeur de cabinet Théogène Rudasingwa des années après sa défection, les épanchements attribués à un président dont le « goût du secret » était  cité comme un trait dominant de son caractère jusqu’ici, soulèvent les réserves qui s’imposent : passé à l’opposition la plus virulente contre Kagamé, son ancien assistant peut très bien vouloir régler des comptes personnels hérités d’une collaboration qui a mal tourné.

Attribuer l’attentat qui donna le signal du génocide à l’homme qui en a sauvé les survivants ne manque pas d’intérêt pour tout le monde. Si la preuve pouvait être faite que Kagamé était bien le commanditaire de l’attentat qui fut, selon ses auteurs, « la cause du génocide de son ethnie », ces derniers verraient l’occasion d’une circonstance atténuante sinon d’une justification en leur faveur, via une démonstration par le cynisme supposé sans limites de leur pire ennemi. Parallèlement, le soutien des dirigeants français de l’époque aux extrémistes hutus qui ont commis le génocide en serait revu dans le sens que certains à Paris souhaitent.

La répercussion dans la presse des « aveux » attribués par M. Rudasingwa au président rwandais pose problème. Depuis quand une accusation gravissime tirée d’une confidence parfaitement invérifiable est-elle diffusée sous les apparences d’une information sérieuse ? En l’absence de la moindre preuve pouvant conforter ses dires – puisque ce sera toujours « parole contre parole » dans l’intimité à deux – un autre sera-t-il publié aussi généreusement demain s’il révèle que Rudasingwa a rétracté ses confidences en sa seule présence ? Si oui, on imagine que plein de gens se porteraient volontaires, mais à quoi ressemblerait donc l’information si pareilles méthodes devenaient la règle?

Reste l’épave du Falcon 50 offert par la France à l’ex-président Habyarimana, seul élément matériel exploitable de toute enquête. Posé à l’endroit même où il vint s’écraser en cette soirée fatidique du 6 avril 1994, le grand volatile de métal vient de passer 17 années à la disposition du premier enquêteur désireux de l’ausculter (*). Trois équipes venues de l’étranger s’y sont collées : celle qui fut mandatée par la Mission parlementaire française d’information sur le Rwanda en septembre 1998 ; celle d’une équipe de l’Université britannique de Cransfield qui a produit une analyse balistique publiée en janvier 2010 ; et celle du juge Marc Trévidic en septembre 2010 pour finir, mandaté par la France pour poursuivre et finaliser le travail de son collègue Bruguière. Rappelons que cette enquête est menée à charge contre le président Kagamé et neuf de ses collaborateurs. On l’a déjà dit, ses conclusions sont attendues d’un moment à l’autre. Serions-nous dans le timing parfait pour une manipulation de dernière minute ?

Il n’est pas interdit de poser les bonnes questions dans cette affaire. Comme celle-ci par exemple. Si Paul Kagamé était le commanditaire de l’attentat, par quel mystère laisserait-il en place, 17 années durant, le seul élément de preuve capable de le confondre ? Sans que rien ni personne ne l’y oblige, quel coupable agirait-il de la sorte ? C’est en pleine bataille de Kigali le 21 mai 1994, que l’armée alors commandée par le général Kagamé a pris le contrôle de la zone de l’aéroport où se trouvait l’épave jamais déplacée du Falcon abattu le 6 avril 1994. Auteurs supposés d’un crime aux conséquences effroyables, les soldats du FPR avaient tout loisir d’en effacer les traces susceptibles de faire éclater la vérité un jour ou l’autre.

À la faveur des combats qui ont duré jusqu’au 4 juillet 1994 en ville de Kigali surtout, la carcasse de l’avion pouvait se faire réduire en poudre d’alumine sans que personne ne s’en étonne. Au lieu de cela, elle reste exposée au grand air des collines depuis 17 ans. Si vous passez par Kigali un jour, prenez le temps de visiter l’épave du Falcon en vous posant comme moi cette question : s’ils avaient vraiment descendu cet avion, pourquoi diable les dirigeants rwandais auraient-ils laissé tout ceci en place ? Un dicton qu’on dit chinois pourrait sans doute expliquer ce mystère. « Quand le sage lève le doigt pour montrer la lune, l’étourdi regarde le doigt ».

(*) Grâce aux impacts laissés par le tir fatal, l’épave de l’avion peut permettre la localisation du tireur et partant, son identification en fonction des positions occupées par les uns et les autres le 6 avril 1994 vers 20 heures.

http://www.jeuneafrique.com/178575/politique/rwanda-l-homme-qui-dit-que-kagam-lui-a-dit/

Posté le 13/10/2016 par rwandaises.com