Au cœur de cette querelle se trouve Victoire Ingabire, chef de file du parti d’opposition Forces démocratiques unifiées, condamnée pour incitation à la révolte, pour organisation de groupes armés à des fins de déstabilisation du pays et pour déni du génocide de 1994 contre les Tutsis.

En 2013, la Cour suprême du Rwanda a rejeté son appel et l’a condamné à 15 ans de prison. Tout de suite après le jugement, le Parlement européen a publié un rapport cinglant accusant les tribunaux rwandais de ne respecter ni le principe de présomption d’innocence de l’accusée ni les normes judiciaires internationales.

Le Parlement a aussi appelé le gouvernement rwandais à s’engager à enquêter sur les présumés abus contre les journalistes, les leaders de l’opposition et à s’assurer que les centres de détention militaire étaient conformes aux normes internationales.

La récente visite au Rwanda de huit eurodéputés pour surveiller les progrès sur les droits des femmes et l’égalité des genres a tourné au vinaigre quand les parlementaires ont rendu visite à Victoire Ingabire en prison. Leurs homologues rwandais les ont alors accusés de rendre visite à une criminelle sans permission et leur ont reproché de dénigrer la souveraineté du Rwanda.

À leur retour en Europe, les parlementaires ont présenté une résolution prudemment rédigée pour dénoncer la réduction du pluralisme politique au Rwanda, la dictature et l’intimidation perpétuelle des dissidents.

La résolution qualifiait l’affaire Ingabire de « politique » et appelait à son réexamen. Le document, qui par ailleurs saluait les incroyables progrès sociaux et économiques ayant transformé le quotidien de la population, demande aussi à la Commission européenne de s’assurer que son soutien au Rwanda dépend de la volonté du pays de respecter les droits de l’Homme, le pluralisme politique et la liberté d’expression et d’association.

« Cette résolution souligne les avancées économiques du pays durant ces 20 dernières années, qui ont amélioré les conditions de vie de la population, réduit la pauvreté et la mortalité infantile et rapproché le pays des objectifs pour le développement durable. La résolution appelle aussi le gouvernement du Rwanda à étendre ces réussites aux droits de l’Homme pour s’orienter vers une démocratie moderne et inclusive qui donnera à la région plus de stabilité et qui transformera le pays en un modèle de bonne gouvernance et de réconciliation nationale », indique le communiqué.

Quand la résolution a été publiée, le parlement rwandais a commencé un débat sur la conduite des eurodéputés durant leur visite, a unanimement rejeté le document et appelé à une interdiction de voyage sauf si les parlementaires s’excusaient.

Des spécialistes des affaires étrangères et de la diplomatie interprètent désormais la dispute comme la défiance du Rwanda face à ce que le pays voit comme une ingérence dans son style de gouvernance. Selon eux, le Rwanda a toujours considéré que certains des pays occidentaux avaient une part de responsabilité dans le génocide de 1994.

« Ce qu’il se passe aujourd’hui, c’est une rébellion croissante des institutions rwandaises face à ce qu’elles perçoivent comme une domination de l’Ouest. C’est quelque chose dans lequel le président Paul Kagamé excelle et les autres institutions suivent le pas. À l’avenir nous risquons de voir le Rwanda encourager des résolutions plus radicales, car le pays considère que c’est le seul moyen d’exercer sa souveraineté », a déclaré le professeur Abdikadir Feisal, du département d’études diplomatiques et de relations internationales de l’Université de Makerere, en Ouganda.

Cela fait suite à une situation récente lors de laquelle le président Kagamé a menacé la France d’une réouverture d’une enquête criminelle sur la mort de l’ancien président rwandais, Juvenal Habyarimana, et de son homologue burundais, Cyprian Ntaryamira, lorsque l’avion présidentiel s’est fait abattre en avril 1994. Cela a mené au génocide des Tutsi.

Le Rwanda a toujours suspecté la France d’avoir une part de responsabilité dans la mort de l’ancien président et Paul Kagame insiste aujourd’hui pour rouvrir le dossier, ce qui aurait de graves conséquences sur les relations entre les deux pays.

« Le Rwanda a toujours été très sensible vis-à-vis de ses relations avec l’Occident suite au génocide. Craignant un autre accrochage, le gouvernement est très strict sur le pluralisme politique et la liberté d’association du pays, des valeurs soutenues par les pays occidentaux. Cela explique pourquoi Paul Kagame est devenu très combatif et sur la défensive lorsque de tels sujets sont abordés. La querelle entre l’UE et le Rwanda est un sujet délicat mais qui appelle à un compromis sérieux », a ajouté Abdikadir Feisal.

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Posté le 18/12/2016 par rwandaises.com