« Aussi longtemps que les lions n’auront pas leur historien, les récits de chasse tourneront toujours à la gloire du chasseur. »(Proverbe africain)La solidarité est, sans aucun doute, une des valeurs universelles cardinales. Mais l’universalité n’est pas synonyme d’unicité : universalité du principe mais diversité dans l’incarnation effective et dans la hiérarchisation de valeurs selon le contexte spatio-temporel, historique et culturel.
II y a donc solidarité et solidarité. Et l’on peut distinguer deux types de solidarité :
la solidarité « verticale », centrée sur le JE. Tel est le cas en Occident, nettement individualiste, d’un individualisme qu’amplifie une urbanisation proche de 80% aujourd’hui ;
la solidarité « horizontale », centrée sur le NOUS. C’est le cas en Afrique (noire), clairement sociale, l’Afrique du Nord étant une entité à part, tournée vers la Méditerranée plus que vers le sud du continent. ou se concevant elle-même comme telle.
Il s’agit évidemment de dominantes, de ce que des sociologues appellent la « mentalité de base », et, sur un continuum, chaque aire de civilisation, chaque région du monde ou chaque pays est plus ou moins proche de l’un ou l’autre pôle, type de solidarité. A ce propos, il est intéressant de comparer les héritages culturels en ce qui concerne la solidarité.
En effet, à chaque type de solidarité correspond une forme de démocratie, de « pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple » : société à dominante verticale ou société à dominante horizontale, dans un cas comme dans l’autre, le rôle de tout dirigeant est de se saisir de l’héritage culturel national et de l’amplifier en s’en servant comme socle pour bâtir de solides institutions destinées à organiser et optimiser le vivre ensemble, ici et maintenant : « Ce n’est pas seulement pour vivre ensemble, mais pour bien vivre en semble que l’on crée un État. »(Aristote).
Solidarité « verticale » ou départage
Etat Providence (redistribution des revenus, protection sociale et autres allocations dispensées d’en haut, par L’Etat) ; corps intermédiaires (syndicats, ONG et autres associations « sans but lucratif ») dont les actions sont essentiellement dirigées vers l’aide aux autres à l’intérieur ou à l’extérieur du pays sur le même modèle pyramidal que l’Etat Providence. Il s’agit de la solidarité propre aux sociétés du JE.
C’est le cas en Occident, à des degrés divers selon les pays et, de façon manifeste et institutionnalisée, dans un pays comme la France, pays du « départage ».
En France, la solidarité horizontale porte le nom de fraternité : la fraternité, la troisième et dernière composante de la devise de la République française (Liberté/Égalité/Fraternité), et qu’on retrouve dans le premier article de la Déclaration Universelle des droits de l’Homme adoptée à Paris en 1948 par les 58 États alors membres de l’ONU, dont seulement 4 pays africains (Afrique du Sud, L’Égypte, l’Éthiopie, Libéria) : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ».
Si l’on entend de plus en plus parler de « solidarité », c’est au sujet de l’action des associations comme les Restos du cœur, qui reprochent à l’État de ne plus remplir suffisamment son rôle de régulateur social au nom de la « fraternité ». Et le monde associatif semble avoir le vent en poupe : le nombre d’associations actives doit avoisiner 1,3 million, 46% des Français âgés de plus de 18 ans adhèrent à une association, soit 23 millions d’adhérents ; 32% des Français exercent une activité bénévole, soit 16 millions de bénévoles.
Ces chiffres sont de 2012 mais ils ne doivent pas avoir beaucoup bougé. Ils sont fournis par le Centre Nationale de la Recherche Scientifique dans une étude intitulée Quelques repères sur les associations en France aujourd’hui(2012), où il est précisé : « La contribution des associations à la décision démocratique, à la cohésion sociale, au bien-être des personnes et à l’animation des territoires est évidemment première par rapport à leur rôle économique ».
Mais c’est pour tout de suite tempérer cet enthousiasme : 1 800 000 personnes exercent une activité salariée dans une association ; ensuite et surtout, les présidents et plus généralement les dirigeants élus sont le plus souvent des hommes, des seniors issus des classes moyennes et supérieures.
Ainsi, dans une société de départage, le monde associatif a, lui aussi, un fonctionnement vertical : les actions initiées et conduites par quelques-uns sont essentiellement dirigées vers l’aide aux plus précaires à l’intérieur (pour les associations surtout) et/ou à l’extérieur (pour les ONG) du pays. Associations et ONG bénéficient des subsides des pouvoirs publics (gouvernement et collectivités locales) et autres organisations intergouvernementales (Union européenne…) ; d’où d’ailleurs le manque d’indépendance et l’instrumentalisation qu’on leur reproche souvent et souvent à juste titre.
Dans tous les cas, le secteur associatif reste marginal : son action se limite à un secteur précis et vise uniquement à pallier les manques de l’Etat_ un peu comme les fondations philanthropiques aux États-Unis _ et son poids de quelque 70 milliards d’euros ne pèse rien face à celui de la seule protection sociale, qui coûte plus de 400 milliards d’euros par an.
C’est à ce modèle de solidarité verticale que renvoient la vie politique ou sociale et son modèle pyramidal, l’économie (capitaliste), l’organisation de l’Eglise, de l’Eglise catholique notamment, ou encore le fonctionnement de la « Communauté internationale ». Il s’agit du modèle libéral que l’Occident a l’outrecuidance de présenter, à cause de la défaite des démocraties « populaires » et du bloc communiste à la fin la Guerre froide, comme LE modèle universel.
Solidarité « horizontale » ou partage
L’autre type de solidarité, fort méconnu, est centré sur le groupe, la communauté. La vertu cardinale est le partage, l’Ubuntu. À propos d’Ubuntu, une anecdote circule sur le net depuis quelque cinq ans : un anthropologue a proposé un jeu à des enfants d’une tribu d’Afrique australe. Il a posé un panier plein de fruits sucrés près d’un arbre et a dit aux enfants que le premier arrivé remportait le panier. Quand il leur a dit de courir, ils se sont tous pris par la main et ont couru ensemble, puis se sont assis ensemble profitant de leurs friandises.
Quand il leur a demandé pourquoi ils n’avaient pas fait la course, ils ont répondu « UBUNTU », comment peut-on être heureux si tous les autres sont tristes ? L’Ubuntu est souvent défini par la formule « TU es donc JE suis » (à comparer au « Je pense donc JE suis » de Descartes).
La solidarité horizontale (vs solidarité verticale) a évidemment des manifestations linguistiques. Deux exemples à la fois simples et frappants : les locatifs pluriels iwacu, iwanyu, iwabo (littéralement : là de nous/de vous/d’eux) du kinyarwanda signifient respectivement « chez nous/chez moi », « chez vous/chez toi », « chez eux ou elles/chez lui ou elle ».
Il s’agit d’un chez-soi partagé, le singulier étant réservé au chef de famille iwanjye « chez moi », iwawe « chez toi », iwe « chez lui » et, au pays d’un Parlement à 64 % féminin, de plus en plus, « chez elle ». De même, dans le champ lexico-sémantique de la parenté, nous avons par exemple data wacu, mama wacu,… (Littéralement : « Le père de nous ; la mère de nous… »).qui signifient « Mon oncle paternel/Notre oncle paternel » ou « Ma tante maternelle/ Notre tante maternelle »…c’est-à-dire l’oncle ou la tante « partagé(e) » par la fratrie et la fratrie au sens large, qui inclut les cousines et cousins « parallèles » de la famille, elle-même élargie. Cette valeur de partage se retrouve tout naturellement aussi dans les proverbes ou dictons comme « Nta mugabo umwe »/ Nta mugabo wigira » (Il n’y a pas de courageux, seul/ il n’y a pas de courageux qui se suffit »). Ou encore « Umugabo ni uwagarukiye undi » (Le courageux est celui qui s’est retourné pour aider l’autre, pour le sauver par exemple sur un champ de bataille…).
La solidarité horizontale est une solidarité entre « voisins », plus ou moins proches, à l’occasion d’événements majeurs de la vie privée (funérailles, mariage ; culture des champs et autres travaux communautaires…) mais aussi dans la vie de la cité en ce qui concerne par exemple la justice ou la sécurité mais aussi l’économie, une économie sociale et solidaire avec la multiplication des coopératives notamment. Il s’agit de la solidarité propre aux sociétés du NOUS. Et tel le cas en Afrique (noire), à des degrés divers selon les pays et, de façon manifeste et institutionnalisée, dans un pays comme le Rwanda, le pays du « partage ».
C’est à ce modèle de solidarité horizontale que tout renvoie : solidarité dans la vie sociale et économique, une économie avec une large composante « sociale et solidaire, dans la vie politique et le modèle étatique : dans les sociétés du NOUS, le rôle de l’État, avec la participation maximale de la population, passant au second plan.
Dans la religion rwandaise, l’Imana, le Dieu unique, n’est l’objet d’aucun culte qui serait organisé par une Église : le seul culte, le culte de Ryangombe, fait penser aux nouvelles églises dites « évangéliques » (plus de 400 officiellement enregistrées), dont le succès est dû à leur dimension communautaire : de petits groupes se partagent tout au quotidien au-delà de la prière.
Si elles poussent comme des champignons et attirent des fidèles catholiques ou anglicans en masse, c’est d’abord parce qu’elles sont le lieu d’une solidarité « horizontale » dans la tradition rwandaise, contrairement au fonctionnement pyramidal des églises classiques.
Sociétés à dominante verticale ou société à dominante horizontale, à chacun de ces deux types de sociétés correspond une forme de démocratie.
Publié le 1er-12-2016 par André Twahirwa
Posté le 03/12/2016 par rwandaises.com