C’était l’année du génocide au Rwanda mais aussi celle de la fin de l’apartheid en Afrique du Sud. Pieter Hugo a mis en scène des enfants nés après les événements, héritiers d’une histoire complexe. Ils n’ont pas connu l’année 1994, et c’est ce qui a décidé Pieter Hugo à faire le portrait d’enfants au Rwanda et en Afrique du Sud. Dans les bois, dans les champs, sur la terre nue, ils posent et, parfois, ont participé aux petites mises en scène qui rendent leur regard plus frappant, leurs visages plus énigmatiques. Aucun d’entre eux n’était né en 1994 et ils sont pourtant les produits, indirects, complexes, de la fracture historique de cette année-là.
A l’origine, ce devait être l’avènement de la meilleure nouvelle possible et elle provenait d’Afrique : en 1994, l’Afrique du Sud sortait non seulement de l’apartheid, mais de trois siècles de domination raciale et d’abominations. Fin avril, le pays considéré comme le plus abject de la planète allait effectuer sa mue : les premières élections multiraciales y étaient organisées et le scrutin allait porter Nelson Mandela au pouvoir.
Mais en ce mois de tous les espoirs sud-africains commençait aussi le génocide des Tutsis au Rwanda. Le 7 avril, les tueurs entraient en action. Ils allaient éliminer 800 000 personnes en un temps record : trois mois seulement. La portée exacte de ces crimes perpétrés en terre africaine est longtemps demeurée inexplicablement sous-estimée, en partie « éclipsée » par la belle aventure sud-africaine, preuve de la difficulté qu’a le reste du monde à se représenter un continent dans sa totalité, dans sa complexité.
En Afrique du Sud, Pieter Hugo avait tout juste 18 ans en 1994. Jeune Blanc, il voyait son monde changer en direct. Il percevait qu’en parallèle se déroulait une catastrophe au Rwanda, comme un séisme d’intensité comparable. Pendant les deux décennies suivantes, il a tenté de saisir la portée de ces deux événements. Sans doute n’y est-il jamais tout à fait parvenu. Devenu photographe, portraitiste de l’étrange, de l’ambiguïté, il a multiplié les interrogations, les travaux au Rwanda, à la recherche des signes postérieurs du génocide, puisque lors de l’ineffable moment, les photographes, justement, n’étaient pas là, pas plus que les journalistes, à de rares exceptions près. Un temps, il réalisera des portraits conjoints Hutu-Tutsi, au risque de plonger dans les clichés (qui serait par définition l’assassin, qui serait par nature la victime ?) qui ont justement alimenté la dynamique criminelle.