Personnage légendaire de la mythologie médiévale européenne, héros d’un blockbuster animé signé Disney, le mage Merlin, dit l’Enchanteur, avait deux dons : la métamorphose et la capacité à transformer l’apparence d’autrui.

Un millénaire plus tard, le druide centenaire des forêts galloises à la barbe blanche s’est réincarné en un chef d’État de 45 ans à la chevelure de jais (chacun a pu remarquer qu’il vient de changer de coiffure), tapi dans sa résidence à la courbe d’un fleuve équatorial. Se faire l’arbitre d’une crise provoquée par son maintien au pouvoir : tel est l’exploit auquel vient de se livrer l’alchimiste de Kinshasa, puissamment aidé en ce tour d’acrobate par une classe politique incurablement « zaïroise » – c’est-à-dire fébrile, scissipare et en déficit permanent de convictions.

Son discours du 5 avril devant les deux chambres réunies en Congrès est digne des escamotages de Harry Houdini, comme le relève avec acidité le confrère masqué Litsani Choukran (alias Le Fondé) sur le site politico.cd. Se plaçant au-dessus de la mêlée, posture gaullienne ou mobutienne, comme on voudra, Joseph Kabila a invité l’opposition à mettre un terme à ses « querelles intestines » autour de l’application de l’accord du 31 décembre 2016 et, pour cela, a appelé à « l’accélération des tractations au sein de la classe politique ».

Les élections, assure-t-il, « auront bel et bien lieu », « tout sera mis en œuvre » à la fois pour atteindre cet objectif et pour « survivre aux prédictions apocalyptiques » des adeptes du Congo bashing. En maître d’école distribuant bons et mauvais points, le fils du Mzee apparaît aux yeux de ses adversaires tel l’hôpital se moquant de la charité.

Une opposition trop faible

Force est pourtant de reconnaître que notre funambule joue sur du velours. Entre les intégristes de l’accord du 31, les signataires « sous réserves » dudit accord et les multiples exégètes de ses moindres codicilles, l’opposition congolaise se déchire et fait piètre figure. Exclusions, anathèmes, accusations réciproques de « vagabondage » politique, petites trahisons nocturnes, sorcellerie, contacts avec « l’ennemi » : tout y passe. Depuis le décès d’Étienne Tshisekedi, le 1er février, le front du Rassemblement s’est volatilisé, alors qu’en un mauvais remake de l’Amédée, de Ionesco, la dépouille du leader défunt cherche désespérément son lieu de sépulture : Limete ? Kananga ? La Gombe ? Bruxelles ?

En exil depuis près d’un an, celui qui apparaît comme le principal adversaire de Kabila et le bailleur de fonds de l’aile dure du Rassemblement, Moïse Katumbi, dénonce « les manœuvres basses et méprisables » d’un pouvoir qui cherche à « déstabiliser l’opposition ». Il n’a pas tort sur les faits, si ce n’est dans le jugement, à condition d’ajouter qu’on est manipulé quand on est manipulable (Fanon disait : « On est colonisé quand on est colonisable ») et que ce qu’il fustige là est somme toute banal.

Tous les pouvoirs cherchent à diviser leurs oppositions, c’est même la règle du jeu, et Katumbi, qui est tout sauf un naïf, sait que la politique n’est pas un monde de Bisounours. Les anti-Kabila, à commencer par le propriétaire du Tout-Puissant Mazembe, ont commis la même erreur : ils ont sous-estimé le jeune homme et pris son mutisme pour de l’analphabétisme. De ses racines kivutiennes, là où l’on observe le fourmillement de la plaine depuis le sommet d’une colline, tout ouïe et sans mot dire pendant des lustres, avant de bondir par surprise sur sa proie, Joseph Kabila a acquis un sixième sens : celui de la ruse, de la dissimulation et de la maîtrise du temps.

Kabila à la manœuvre

Il écoute beaucoup, parle très peu, aux antipodes des impulsivités kinoises, faites de prises de risque borderline et de fulgurances improvisées. De la sous-estimation à la surestimation, du mépris à la fascination, de la répulsion à l’attraction – et souvent les deux en même temps –, il n’y a qu’un pas, franchi ces jours-ci par toute une partie de la classe politique congolaise. En termes de psychologie, le phénomène porte un nom : le syndrome de Stockholm, l’amour du prisonnier pour son geôlier.

Il y a vingt ans en ce mois d’avril, Lubumbashi, Mbuji-Mayi, puis Kikwit – dernière ville avant Kinshasa – tombaient comme des mangues blettes entre les mains des kadogos de Kabila père. Rongé par un cancer métastasé jusqu’aux yeux, un Mobutu crépusculaire s’apprêtait à fuir une métropole veule, prête à s’offrir à son pire ennemi.

Deux décennies plus tard, le scénario de ce qui fut à la fois une tragédie et une libération ne se rejouera pas, faute d’acteurs. Plus que jamais, en effet, Kabila, à qui le Congo doit d’avoir tenu en 2006 ses premières élections libres depuis quarante ans, détient seul les clés du scrutin à venir. Avec, face à lui, un dilemme somme toute classique : plus il demeure au pouvoir, plus il lui est difficile de le quitter. Sauf erreur, en effet, il est une faculté de Merlin dont Joseph ne dispose pas : la métempsycose.

Par François Soudan

François Soudan est directeur de la rédaction de Jeune Afrique.

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Posté le 16/04/2017 par rwandaises.com