Pour faire sortir la France par le haut, pour qu’elle (re)devienne «grande en Europe et dans le monde», il fallait dépasser le clivage gauche/droite, devenu obsolète et contre-productive car condamné au courtermisme dicté par les échéances électorales. Un gouvernement de partage, ce n’était pas une option. Mais peut-on parler de passage à une société de «partage» ou même, tout simplement, de véritable partage du pouvoir? Par Dr. André Twahirwa*
«Il faut passer à une société de partage, d’une société du bien à une société du lien!» (Jean-Paul Delevoye, ancien ténor de la Droite française devenu un des tout premiers membres de «En Marche»).
Le nouveau gouvernement français, constitué après les Présidentielles de 2017, serait-il un cas de partage du pouvoir? En effet, à côté de six ministres sortants (4 Socialistes et 2 Radicaux de gauche), deux ministères-clés sont revenus à la «Droite» (l’Économie et les Comptes publics) en plus du poste de Premier Ministre, trois ministères majeurs au Centre droit (les Armées, la Justice et les Affaires européennes). Partage et renouvellement: la moitié des portefeuilles ont été confiés à des membres de la «Société civile» venus d’horizons divers! Enfin, en décomptant le Premier Ministère, la parité parfaite hommes/femmes a été scrupuleusement respectée: 11 femmes et 11 hommes. Une «Révolution», pour reprendre le titre du livre programme du trublion de la vie politique française: Emmanuel Jean-Michel Frédéric MACRON, 39 ans, 24ème Président de la République depuis 1848 et 8ème sous la V ème.
Le tout jeune Président de la France est l’homme qu’il fallait pour débloquer la vie politique française. Il y a 60 ans, Charles De Gaulle, à 69 ans, l’avait fait en mettant fin à l’instabilité de la IV ème République: 28 gouvernement en moins de 11 ans (octobre 1946-octobre 1958)! Mais, depuis Mitterrand, les coalitions de Gauche ou de Droite n’avaient plus que l’accession et/ou le maintien au pouvoir comme objectif principal. L’Union de la Gauche (Parti socialiste et Parti communiste), pour accéder enfin au pouvoir et appliquer un programme «à gauche toute» (nationalisations, retraite à 60ans, 5ème semaine de congé payée…). Avant d’être contraint à revenir, deux ans après, à une politique réaliste avec «le tournant de la rigueur». Le retour au pouvoir de la Gauche, avec l’élection de François Hollande en 2012, est venu clore un cycle de déliquescence commencée en 1981: élu sur un programme «à gauche toute», cet héritier du mitterrandisme fut contraint de prendre, à son tour, le «tournant de la rigueur» deux ans à peine après son élection. Descendu à 4% d’opinions favorables à six mois de la fin de son quinquennat et n’ayant pas pu réaliser sa promesse de «redresser la courbe du chômage», il ne pouvait même plus se représenter!
Pour faire sortir le pays par le haut, pour que la France (re)devienne «grande en Europe et dans le monde», il fallait absolument dépasser le clivage gauche/droite, devenu obsolète et surtout contre-productive car condamné au courtermisme dicté par les échéances électorales. Nécessité est mère d’invention. Un gouvernement de partage, ce n’était pas une option. Mais peut-on parler de passage à une société de «partage» ou même, tout simplement, de véritable partage du pouvoir?
Lorsque la fragmentation du paysage politique ne permet pas les simples coalitions, une recomposition politique comparable à celle qui est cours en France est assez courante depuis un certain temps dans d’autres pays européens. Mais autrement, de façon conforme au régime parlementaire: sous la forme de «grande coalition» autour d’un accord préalable et d’un programme de gouvernement commun entre les partis alliés. Ainsi, en 2005, à la fin du second mandat Schröeder et après des réformes de ce chancelier de «Gauche» (SPD) qui avaient réduit le fossé avec la Droite, l’Allemagne réunifiée est passée des simples coalitions entre les «couleurs» proches idéologiquement (CDU-CSU-FDP, SPD-Les Verts, SPD-FDP et d’autres surtout au niveau du Land) à la «grande Coalition» entre la «Gauche» et la «Droite», entre le Parti social-démocrate(SPD) et le groupe commun de l’union chrétienne-démocrate(CDU) et de l’Union chrétienne-sociale en Bavière (CSU):seuls les extrêmes en sont tenus à l’écart, comme en France dans la constitution du nouveau gouvernement. La Chancelière Merkel est à la tête d’une grande coalition SPD/CDU-CSU pour la deuxième fois depuis 12 ans (2005 à 2009 et depuis 2013), ce qui correspond à deux de ses quatre mandats à la tête du gouvernement fédéral allemand!
Grande coalition et alliance de partis autour d’un programme commun, comme en Allemagne, ou (simple) gouvernement «transpartisan» («et de Gauche et de Droite») autour du seul programme initié par le nouveau Président français et porté par sa toute nouvelle formation politique, la bien-nommée «La République en marche», dans les deux cas, l’on n’en est pas venu à la «société de partage» qu’un Jean-Paul Delevoye appelait de tous ses vœux. Il s’agit, dans les deux cas de figure, d’un écart de la norme et d’une exception liée à un contexte exceptionnel. Il s’agit d’une situation transitoire, d’un processus recomposition de la vie politique nationale en cours. En effet, dans des sociétés à solidarité « (à dominante) verticale» centrées sur le JE et dans lesquelles les élections et (donc) l’alternance sont au centre de la vie politique, le «départage» est la règle d’or: il faut un vainqueur et un vaincu. Absolument. D’ailleurs, les alliances ne permettent guère de programmer une politique commune sur le long terme. Aussi ce type de gouvernements suscitent-ils de vives voire de très violentes critiques (confusion dans les orientations et dans la responsabilité gouvernementale, risque de passer au monopartisme etc.) surtout en France, où ils constituent une nouveauté et où les clivages idéologiques sont radicaux: à la veille des Législatives, les vaincus des Présidentielles, de l’Extrême (gauche ou droite) à la Droite, en appellent à prendre leur revanche en imposant au nouveau Président une cohabitation. Enfin, si les partis politiques et leur alternance au pouvoir sont inscrits dans la Loi fondamentale, ce n’est pas le cas de ce type de dispositions. Contrairement à ce qui se passe dans un pays comme le Rwanda, le pays dans lequel le «partage» est un héritage.
S’ils sont devenus obsolètes en France, les clivages idéologiques de type gauche/droite sont tout simplement un non-sens au Rwanda: ils n’ont aucune légitimité, aucune assise culturelle ou historique. La société rwandaise est, elle, véritablement une société du «partage», une société à solidarité « (à dominante) horizontale», centrée sur le NOUS. À l’instar de toutes les sociétés négro-africaines comme le montrent clairement toutes les études anthropologiques et historiques. Dans le pays de l’Ubuntu, le «partage» est donc un héritage: du labourage des champs aux festivités du mariage et aux rites des funérailles ou de l’Agacaca (tribunal de proximité) à l’administration civile, qui était répartie entre les chefs des pâturages (à dominante tutsie) et les chefs du sol (à dominante hutue). De même les armées étaient composées de professionnels (à dominante tutsie) et des conscrits (à dominante hutue). Et la petite minorité des Twas a donné à la nation d’excellents guerriers reconnus et promus par les rois: ce fut le cas pour les Bashyete sous le règne du roi Cyirima II.
Aujourd’hui, «le partage équitable du pouvoir» ainsi que «la recherche constante de solutions par la voie du dialogue et du consensus» sont inscrits dans la Constitution de 2003, révisée en 2015, dans le Préambule ainsi que dans l’article 10, consacré aux «Principes fondamentaux». L’union nationale et le «front républicain» vont de soi: ils sont institutionnalisés et inscrits dans le texte fondamental au chapitre VI (articles 54 à 60) consacré aux «Formations politiques». Le multipartisme est reconnu (article 54). Seules sont interdites les formations politiques qui s’identifie (raie) nt à une race, une «ethnie», un clan, une région, un sexe, une religion ou à tout autre élément pouvant servir de base de discrimination (article 57). Normal comme ailleurs et plus encore dans un pays qui a connu un «génocide de proximité». Les partis reconnus (11) se regroupent en une sorte de front républicain, «le Forum national de Concertation des Formations Politiques, [qui] rassemble les formations politiques pour des raisons de dialogue politique, pour construire le consensus et la cohésion nationale» (Article 59).
Le partage du pouvoir concerne aussi et tout naturellement les institutions de l’Etat. Cela est inscrit dans le chapitre 7 (articles 61 à 63) consacré aux «Pouvoirs de l’Etat». Ainsi, le Président de la République et le Président de la Chambre des Députés ne peuvent pas provenir d’une même formation politique. Et, dans la pratique, il en est de même du Premier Ministre et du Président de la République. Les membres du Gouvernement sont choisis au sein des formations politiques en tenant compte de la répartition des sièges à la Chambre des députés mais la formation politique majoritaire ne peut pas avoir plus de cinquante pourcent (50%) des membres du Gouvernement. Aujourd’hui, la moitié des 11 partis politiques officiellement enregistrés sont représentés au Parlement, le premier au monde en termes de parité hommes/femmes avec 63,8% de femmes parlementaires.
S’agissant enfin du programme partagé, son élaboration se fait en amont. Mais, contrairement au programme de coalition (à l’occidentale), elle est inclusive: toute la population y est impliquée. Dans une approche consensuelle réaliste et pragmatique que ne renierait pas Emmanuel Macron, à la recherche de toute mesure jugée bonne pour le bien commun, pour la chose publique (res publica). C’est ainsi que la «Vision 2020», qui est entrée dans sa dernière phase, est le résultat d’un long processus de consultations nationales initiées à la fin de la période de transition de l’immédiat après-génocide et qui ont duré plus de deux ans (de 1997 et 2000). Discussions et débats ont concerné toutes les catégories: les opérateurs économiques, l’État, le monde académique et la société civile. Et, chaque année, le bilan et la relance de ce programme à long terme sont l’affaire de tous: au début de chaque année, à l’occasion de l’Umwiherero (Retraite nationale sur le leadership) et, plus encore, en décembre, à l’occasion de l’Umushyikirano (Conseil de dialogue national»). C’est d’ailleurs depuis le Dialogue national de décembre 2015 que la «Vision 2050» est en gestation. Objectif: aller encore plus loin, vers un Rwanda «plus prospère et stable» et dont le niveau «aura rattrapé celui des pays qui le tiennent pour acquis» (L’Homme de fer, Conversations avec Paul Kagame, idm, 2015, p.117).
C’est le recours à ces deux pratiques et à une dizaine d’autres solutions endogènes mises œuvre en ce jour ainsi qu’à ce partage du pouvoir qui ont facilité la réalisation de politiques à long terme et qui sont à la source du «miracle rwandais».
Une morale s’impose au terme de ces rapprochements. Culture (avec grand C, au sens de Valeurs partagées) et développement, y compris dans le domaine politique, sont indissociables: une maison que l’on veut solide ne se bâtit pas sur du sable. Et, si chaque système politique doit s’adapter et évoluer en fonction du contexte historique surtout dans un monde de plus en plus globalisé, chaque peuple devrait prendre sa part au «rendez-vous du donner et du recevoir», à la fabrique du métissage inévitable, mais toujours en adéquation avec ses valeurs fondamentales.
Le Rwanda a ainsi repris le modèle institutionnel occidental (multipartisme, élections…) emprunté à l’ancien colonisateur mais le «partage» du pouvoir est inscrit dans la Constitution et concerne aussi tout naturellement les institutions de l’Etat, à commencer par le système représentatif lui-même. En France comme en Allemagne ou, de façon plus générale, en Occident et dans les pays fortement occidentalisés, seul le «complexe (de supériorité) du colonisateur», qui perdure sous la forme de «racisme inconscient» car plus ou moins refoulé dans l’Inconscient collectif, empêche les démocraties occidentales de s’inspirer et d’institutionnaliser ce qui se fait dans un pays comme le Rwanda en termes d’outils de la démocratie « (à dominante) participative». Outils dont elles auraient pourtant besoin pour faire en sorte que la participation citoyenne(le gouvernement «par le peuple») ne se réduise pas à la simple participation aux élections.
*Dr André Twahirwa, Africaniste, Élu local en Île-de-France
http://rwanda-podium.org/index.php/actualites/politique/1119-analyse-du-departage-et-du-partage-du-pouvoir
Posté le 29 mai 2017 par rwandaises.com