«En une année, nous avons changé le visage de la vie politique française», lance Emmanuel Macron à ses troupes d’En Marche au soir de sa victoire au premier tour des Présidentielles. Par André Twahirwa*
Celui que les caciques de la politique française et l’opinion publique considéraient comme un génial trublion de la vie politique depuis le lancement de son mouvement il y a 1 an arrivait en tête. Juste avant Marine Le Pen, la candidate du Front national quinze après la qualification de son père en 2002. Certains ont parlé de séisme: les deux partis de gouvernement ont vu leurs candidats respectifs laminés au premier tour, Républicains et Socialistes ne totalisant que 25%! Presqu’autant qu’En Marche.
Les deux qualifiés au premier tour des Présidentielles 2017 se présentent comme des candidats «hors système», c’est-à-dire en dehors du clivage « (peuple de)gauche / (peuple de)droite» érigé en dogme et contre le fonctionnement politique traditionnel qui tend(rait) fortement à privilégier les intérêts des appareils et des apparatchiks au détriment des intérêts du pays, passés au second plan. Mais les deux divergent totalement quant à leur positionnement par rapport à ce système mais aussi par les solutions proposées pour une recomposition de la vie politique.
Marine Le Pen présente son parti comme étant «ni de gauche ni droite», ce qui est vrai car le Front national est de l’Extrême droite. Comme son père, elle a fait de l’exclusion et du rejet de l’autre son cheval de bataille. Comme son père, elle est anti-immigrée et antimusulman, anti-européen et nationaliste. Aujourd’hui, l’Extrême droite française se présente comme «LE parti de la France». Mais, le slogan officiel du second tour nous ramène aux fondamentaux lepénistes: «Choisir la France» porte en lui, en surimpression, le vieux slogan «Les Français d’abord» du lepénisme Canal Historique. Et l’offre programmatique vient confirmer cette affiliation directe: repli identitaire, anti-immigration, nationalisme et préférence nationale. Marine Lepen s’adresse à la «France des oubliés»; des masses «populaires», déçues de la Gauche! Mais ce n’est qu’un leurre de plus, un ravalement de façade et un vernis «humaniste» destiné à cacher la laideur de ce racisme et cet antisémitisme, cette xénophobie et cette homophobie…que beaucoup de ses compatriotes ne sauraient regarder en face dans leur nudité. La candidate du Front national surfe sur les misères de la société comme les populistes et autres fascistes savent et ont su toujours le faire et avec trop de succès, hélas! En outre, ne défendre que les ouvriers et autres «oubliés de la mondialisation» français, ce n’est pas défendre les ouvriers et autres perdants: cela s’appelle la discrimination. Et comment défendre la France si l’on ne prend gain et cause que de la France d’en bas contre la France des «élites»?! Diviser pour régner, le procédé est vieux comme le monde. La candidate de la droite extrême fait la politique politicienne de papa, celle des coups bas et de coups de com, celle du clientélisme et des promesses démagogiques.
Emmanuel Macron est aux antipodes de l’héritière de Jean-Marie Lepen. Il construit son mouvement En Marche contre l’antagonisme rigide «gauche/droite»: il se veut de gauche et «en même temps» de droite. Il se veut réaliste et pragmatique: peu importe que telle mesure soit traditionnellement classée à gauche ou à droite pourvu qu’elle fasse avancer le pays. Son objectif: rassembler tous les progressistes de droite et de gauche. Car il n’y a pas plusieurs France. Il n’y a qu’une France. Et il appelle à «l’engagement pour la patrie, à l’énergie pour l’intérêt collectif au-delà des divisions…» (Discours du soir du premier tour). Le slogan du second tour, «Ensemble La France», exprime bien cette volonté d’abattre les murs et de décloisonner les deux France: celle des oubliés, avec le volet «Protection», et celle des gagnants (des cadres et des classes moyennes) et des entrepreneurs, avec le volet «Liberté» de son offre programmatique. Pour gagner les élections, ses prédécesseurs, de F. Mitterrand à F. Hollande, faisaient une campagne de gauche ou de droite pour ensuite gouverner au centre c’est-à-dire prendre des mesures de gauche et de droite. Bien de promesses électorales restaient lettre morte, ce qui provoquaient déception et mécontentement de leurs électeurs; d’où, un abstentionnisme sans cesse croissant ou des blocages dans de la rue et/ou au parlement de la part d’une partie des élus.
Mais «rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme». Le traditionnel antagonisme «droite/gauche» se meurt et il s’en dessine sous nos yeux un nouveau qui semble aussi radical que l’ancien. Un nouveau bipolarisme se met en place autour des deux pôles, diamétralement opposés sur le plan économique ou culturel. Sur le nouvel échiquier politique français, le Front national est la formation la plus opposée à la mondialisation et à sa version régionale, la construction européenne: il se revendique comme nationaliste. Le mouvement En Marche est le plus pro-mondialisation et le plus pro-européen: il se revendique comme «progressiste». À l’approche du second tour, Il en appelle à la constitution d’un «front républicain» autour des valeurs de la République française (Liberté-Égalité-Fraternité). Ce front regroupe (rait) toutes les formations à l’exception du Front national, «dangereux» pour la République: contrairement aux autres opposants à la mondialisation et à la construction européenne, il est fondamentalement raciste. Mais, contrairement à ce qui s’est passé au second tour de 2002, la constitution du «barrage» a du mal à se mettre en place. Sans doute parce que la population tient aux anciens repères que lui garantissait le vieux clivage (peuple de)gauche/ (peuple de)droite et qu’il lui faudra du temps pour s’habituer au nouveau. Mais aussi et plus vraisemblablement parce que, un quart de siècle après le triomphe du «bloc occidental» et le début de la mondialisation libérale, les perdants de cette dernière n’en ont cure des valeurs «morales» et du combat contre le racisme : ils n’aspirent qu’à être protégés le plus possible contre ses effets dévastateurs sur le plan de l’économie ou de l’identité nationale. Quitte à s’accrocher à des discours démagogiques ou irréalistes des populistes y compris de ceux de l’Extrême droite mais qui les caressent dans le sens du poil. Ce qui arrive en France aux États-unis avec l’élection de Trump ou au Royaume-Uni avec le Brexit ou peut arriver ailleurs et invite à la réflexion sur les effets de la mondialisation ou de la construction d’unions régionales.
Dr André Twahirwa est Enseignant à la retraite, Africaniste et ancien consultant de l’UNESCO, Division Arts et Culture.*
Posté le 01 /05/2017 par rwandaises.com