Franceinfo passe au crible les arguments concrets et chiffrés avancés par le président américain pour justifier sa décision polémique.
« L’heure est venue de quitter l’accord de Paris. » Après avoir longtemps entretenu le suspense, Donald Trump a fini par annoncer sa décision, jeudi 1er juin, depuis les jardins de la Maison Blanche. Les Etats-Unis vont se retirer de ce traité international historique sur le climat. Ce choix, qui isole Washington sur la scène internationale, a semé la consternation parmi les 194 autres pays signataires.
Pour justifier ce revirement, le président américain a avancé des arguments concrets et bien souvent chiffrés qui prouvent, selon lui, que son pays subit un « très gros désavantage économique » à cause de cet engagement climatique. Franceinfo les passe au crible.
1″Le coût pour l’économie à l’heure actuelle serait de près de 3 milliards de milliards de dollars en perte de PIB et de 6,5 millions d’emplois industriels, dans le même temps les ménages auraient 7 000 dollars de revenus en moins. »
C’est faux. Toutes ces statistiques viennent d’une étude (tous les liens de cet article sont en anglais), publiée en mars par l’entreprise américaine de consulting NERA, qui porte sur le coût des régulations à mettre en place pour atteindre les objectifs fixés par l’accord de Paris.
Cette étude a plusieurs défauts, déjà pointés en avril dernier par des économistes du think tank américain World Resources Institute. D’abord, elle ne prend pas en compte les potentiels bénéfices apportés par la réduction des émissions de gaz à effet de serre et l’endiguement du réchauffement climatique. Ensuite, le chiffre extrait par Trump repose sur le scénario le plus extrême développé par cette étude, dont les hypothèses sont pour le moins contestables. Elles supposent que les autres Etats ne respecteront pas leurs engagements, que les industries américaines n’adapteront pas leur production à de nouvelles régulations, ou encore que la production d’énergies propres n’augmentera pas par rapport au scénario de référence, détaille PolitiFact.
D’ailleurs, ajoute le Boston Globe, le rapport développe d’autres scénarios, basés sur d’autres hypothèses, qui donnent des résultats plus mitigés ; Donald Trump a simplement choisi le plus extrême d’entre eux.
2″La Chine va être autorisée à construire des centaines de centrales à charbon supplémentaires. (…) Nous, nous sommes supposés nous débarrasser des nôtres. »
C’est faux. Le cas du charbon n’est jamais évoqué dans l’accord de Paris sur le climat (PDF). De plus, le traité est non-contraignant et laisse à chaque gouvernement la liberté de choisir les mesures qu’il compte mettre en œuvre pour atteindre l’objectif global de réduction des émissions.
La Chine, l’Inde ou les pays d’Europe également critiqués par Donald Trump peuvent donc continuer à construire autant de centrales à charbon qu’ils le souhaitent, tout comme les Etats-Unis. En outre, comme le souligne le Washington Post, la Chine et l’Inde investissent massivement dans les énergies renouvelables, notamment solaires, et comptent atteindre leurs objectifs de réductions d’émissions d’ici 2030.
3″La Chine pourra augmenter ses émissions pendant de nombreuses années. Ils peuvent faire ce qu’ils veulent pendant treize ans. »
C’est faux. L’accord de Paris sur le climat ne fixe aucun cadre contraignant aux pays signataires. En revanche, la Chine a déjà fait des efforts significatifs pour limiter ses émissions polluantes, soulignent Politifact et CNBC. Elle a annulé la construction d’une centaine de centrales à charbon supplémentaires. Elle a promis de réduire, d’ici 2030, de 60 à 65% la place du charbon dans son activité économique par rapport au taux de 2005, et d’augmenter la part des énergies non-fossiles d’environ 20%.
4″L’accord n’élimine pas les emplois dans le charbon. Il transfère simplement ces emplois hors d’Amérique et des Etats-Unis, et les livre à des pays étrangers. »
C’est faux. Une fois encore, l’accord de Paris sur le climat ne fait jamais mention du cas particulier du charbon. De l’aveu même de Robert Murray, fondateur du géant américain du charbon Murray Energy, cité par le Huffington Post, les emplois liés au charbon n’ont guère d’avenir aux Etats-Unis. La politique de Barack Obama destinée à lutter contre les industries polluantes a découragé l’industrie du charbon. La demande intérieure chute, le gaz naturel est un concurrent redoutable et seules les exportations pourraient sauver le secteur. Mais, là encore, les efforts des pays en développement pour passer aux énergies propres rendent cette perspective très incertaine.
5″Avec une croissance de 1%, les sources d’énergie renouvelables peuvent répondre à certaines de nos demandes domestiques. Mais à une croissance de 3 ou 4%, ce à quoi je m’attends, nous avons besoin de toutes les formes américaines d’énergie disponibles, ou notre pays risquera peut-être des pannes d’électricité. »
C’est discutable. Donald Trump s’appuie sur une étude très critiquée, conduite par le secrétaire à l’Energie Rick Perry, sur la fiabilité des opérateurs énergétiques. Problème : pour la réaliser, aucun opérateur de réseau n’a été consulté, pointe le New York Times. L’étude est en outre partisane, comme le montre Vox : elle a été menée par un membre d’un think tank très à droite qui se livre à une charge contre les énergies renouvelables à zéro émission, décrites comme « non fiables ».
6″Sortir de l’accord protège les Etats-Unis d’intrusions futures dans la souveraineté des Etats-Unis (…). Croyez-moi, nous portons une énorme responsabilité juridique si nous restons ».
C’est faux. Contrairement au protocole de Kyoto, l’accord de Paris n’engage pas la responsabilité légale des parties, il est basé sur des contributions volontaires de la part des Etats. S’ils ne respectent pas leurs engagements, ils ne sont même pas sujets au versement de quelconque compensation.
« Non seulement [Donald Trump] a tort, mais en plus c’est exactement le contraire », analyse pour Factcheck.org Michael Burger, directeur du centre Sabin sur le climat à l’Université de Columbia. En se retirant de l’accord de Paris, le gouvernement américain pourrait en fait s’exposer à davantage de poursuites judiciaires. « Le retrait va peut-être augmenter les chances de succès des recours en justice qui contestent l’inaction du gouvernement », explique-t-il.
7″Nous allons payer des milliards et des milliards et des milliards de dollars, et nous sommes déjà plus en avance que n’importe qui d’autre. »
C’est faux. A l’issue de la COP21, les pays développés se sont engagés à verser conjointement 100 milliards de dollars par an d’ici 2020, pour aider les pays en développement à faire face au changement climatique. Les Etats-Unis avaient promis de débourser trois milliards de dollars. Mais jusqu’à présent, seul 1 milliard a été sorti des caisses, chiffre le Washington Post. A titre de comparaison, la France avait mobilisé trois milliards dès 2015.
Donald Trump sous-entend même que cet argent provient, pour partie, du budget de la lutte contre le terrorisme et donc des coffres de la Défense. Cette déclaration aussi est fausse, souligne le Washington Post. Les fonds ont été puisés dans les caisses du Département d’Etat et de son fonds d’aide économique, assure le quotidien américain de référence.
8″Même si l’accord de Paris était mis en œuvre intégralement, (…) on estime qu’il ne permettrait de gagner que deux dixièmes de degré (…). Tout petit nombre. »
C’est vrai, mais… Donald Trump fait référence a une étude de 2015 du Massachusetts Institute of Technology (MIT), observe le Washington Post. Mais le président américain trahit quelque peu ses conclusions.
Ce rapport établit que les promesses faites par les Etats dans le cadre de l’accord de Paris ne permettraient de réduire le réchauffement climatique que de 0,2 °C supplémentaire d’ici 2100, par rapport aux réductions d’émissions déjà prévues par de précédents accords sur le climat. Et sans prendre en compte d’éventuels autres engagements dans les huit décennies à venir.
Pour son auteur principal, John Reilly, ce 0,2 °C n’est pas un « tout petit nombre » qui ne vaudrait pas la peine d’être atteint. Au contraire, il critique cette logique selon laquelle il ne faudrait rien faire, puisque le résultat minimal attendu serait faible. Et il plaide pour que les Etats signataires intensifient leurs efforts.
9″Les Etats-Unis, sous l’administration Trump, continueront d’être le pays le plus propre et le plus respectueux de l’environnement sur Terre. Nous serons les plus propres. Nous aurons l’air le plus propre. Nous allons avoir l’eau la plus propre. Nous serons respectueux de l’environnement. »
C’est faux. Les Etats-Unis sont le deuxième pollueur de la planète, derrière la Chine. Et leur retrait de l’accord de Paris sur le climat pourrait avoir des conséquences désastreuses. Selon les projections de l’équipe de chercheurs Climate Interactive, relayées par Europe 1, si les Etats-Unis ne respectent pas leurs engagements, la quantité de gaz à effet de serre augmentera de 3 milliards de tonnes d’équivalent C02 par an d’ici 2030. D’ici la fin du siècle, le pays pourrait être responsable d’une hausse de 0,3 °C, sur la hausse globale de 2 à 3 °C qui se profile. Un second modèle, réalisé par Climate Action Tracker, est plus optimiste : le réchauffement provoqué par les Etats-Unis pourrait n’être que de 0,1 à 0,2 °C.