Les signataires de cette carte blanche appellent de tous leurs vœux des actions immédiates de tous les décideurs concernés, en attirant leur attention sur l’imminence de la catastrophe qui va s’abattre sur le Burundi et la sous-région si rien n’est fait. Demain ce sera trop tard.

Le 25 avril 2015, Monsieur Pierre Nkurunziza, Président de la République du Burundi, a pris une décision lourde de conséquences. Il s’est en effet octroyé un 3ème mandat illégitime et illégal, en violation flagrante des prescrits de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi et de la Constitution, qui limitent tous les deux, et de façon explicite, les mandats présidentiels à deux termes de 5 ans chacun. Cette décision a été prise en dépit d’un rejet sans appel par l’Assemblée nationale du projet d’amendement de la Constitution pour tenter de légitimer ce 3ème mandat anticonstitutionnel.
Cette volonté du pouvoir de piétiner les règles élémentaires de la démocratie a provoqué une forte résistance pacifique de la population burundaise, qui n’a pas hésité à braver, mains nues en l’air, les tirs à balles réelles de la police, secondée par les Imbonerakure, une milice zélée, tristement célèbre pour sa cruauté dans l’exécution de crimes ignominieux.
La répression aveugle qui s’est abattue sur tous les opposants au 3ème mandat anticonstitutionnel a pris des formes sordides et variées : arrestations arbitraires, emprisonnements sans jugements, tortures indicibles qui provoquent l’indignation et révulsent la conscience humaine, assassinats ciblés, exécutions extrajudiciaires, disparitions et exils forcés etc. De nombreux rapports d’organisations internationales dignes de foi, d’ONG indépendantes ainsi que les témoignages de journalistes ayant séjourné au Burundi, donnent l’exacte mesure de l’ampleur de la répression et de ses tristes conséquences. Aujourd’hui, deux ans seulement après le début de la répression, quelques chiffres donnés par ces organisations dédiées à la défense des droits de l’homme et le HCR sont alarmants : des milliers de personnes ont été victimes du régime dictatorial de Bujumbura, sous une forme ou une autre. Plus de 420.000 citoyens ont pris le chemin de l’exil, des familles brisées, des projets de vie anéantis, bref, un des tableaux les plus sombres de l’histoire burundaise.
Toute cette entreprise funeste de démolition du pays continue à se dérouler à huis clos, le régime ayant pris soin de détruire par les armes tous les médias privés et d’exiler leurs journalistes, afin de rendre inaudibles les voix dissonantes de l’opposition. L’espace d’expression des libertés politiques a été également fermé par la division et la satellisation des partis politiques et par l’exil forcé de leurs leaders. En même temps, les grandes figures de la société civile burundaise, toujours prêtes à secourir les victimes du régime, étaient la cible de la dictature. Elles aussi ont dû prendre le chemin de l’exil, abandonnant à regret la population burundaise à la merci des criminels.
En conclusion, on peut affirmer que le Burundi d’aujourd’hui ressemble à une vaste prison à ciel ouvert, où tous les espaces d’expression démocratique sont verrouillés et où le régime a instauré la violence, qu’il exerce sans retenue, comme mode de gouvernement
Des dérives aux conséquences gravissimes
Depuis quelque temps, les plus hautes autorités burundaises n’hésitent plus à utiliser un langage destiné à raviver les tensions interethniques, désignant les Tutsis comme l’origine de tous les maux dont souffre le Burundi et les accusant de vouloir s’accaparer du pouvoir avec l’appui de certains pays étrangers, qui sont en réalité des boucs émissaires. Ce stratagème sans fondement vise à instrumentaliser la question ethnique, en présentant les Hutus comme des victimes dont il faut recréer l’unité et les Tutsis comme des bourreaux qu’il faut cibler dans les actions variées de la répression en cours. Bien que beaucoup de Hutus de l’opposition, victimes eux aussi de cette répression, ne tombent pas jusqu’ici dans ce piège dangereux, le régime continue à exacerber la fibre ethnique, convaincu qu’à terme, il aura suffisamment d’appui pour passer à la vitesse supérieure et commettre l’irréparable : le génocide politico-ethnique.
Il ne faudrait pas s’enfermer dans le confort de la bonne conscience et douter de la faisabilité de ce projet inavouable. Une entreprise de cette ampleur n’est jamais un fait spontané. Elle est l’aboutissement ultime d’une longue succession d’aberrations : planification, culpabilisation d’une partie de la population, discours haineux dirigés contre elle, tueries sélectives, négation de sa dignité et de son humanité par des tortures humiliantes etc. Des faits irréfutables montrent que ce processus mortifère est déjà en cours. Le fait le plus spectaculaire et le plus récent a été largement diffusé sur la toile : un défilé bien organisé d’une milice aux ordres du régime, qui chantait et dansait en encourageant les Imbonerakure à « engrosser les femmes et les filles de l’opposition pour engendrer des Imbonerakure ». Un appel sans équivoque aux viols collectifs, devenus une arme de guerre au Burundi et dans la sous-région. On ne peut imaginer un tel spectacle sans l’aval du pouvoir, qui par ailleurs n’a sanctionné personne suite à cet appel abominable.
Un autre fait insidieux, destiné également à réveiller les passions ethniques, a attiré l’attention des observateurs. Alors que l’Accord d’Arusha avait recommandé notamment la construction d’un monument national unique, dédié à la commémoration de toutes les victimes des drames qui ont jalonné la douloureuse histoire moderne du Burundi, voilà que le régime Nkurunziza se détourne de cette sage recommandation de l’Accord d’Arusha et inaugure il y a quelques jours, l’édification d’un monument consacré aux seules victimes hutues de 1972. Il s’agit de sceller dans la pierre et à jamais la division des Burundais, y compris en instrumentalisant leurs morts. Quelle infamie !
Un appel ultime à la communauté internationale
Le régime de Bujumbura est resté sourd jusqu’ici à toutes les démarches de la communauté internationale destinées à stopper cette marche inexorable vers la conflagration généralisée. Des missions de haut rang ont été dépêchées sur place par le Conseil de Sécurité des Nations-Unies, l’Union Africaine et par d’autres instances internationales et régionales, afin de prévenir l’imminence de violences généralisées, voire d’un génocide. Dans le même esprit, des résolutions ont été prises par ces mêmes instances et se sont heurtées à l’intransigeance de la dictature burundaise qui en a empêché l’exécution.
Face à cette obstruction systématique du pouvoir et au risque très élevé d’un génocide politico-ethnique à grande échelle, la communauté internationale est dans l’obligation morale de prendre des mesures urgentes en vue de protéger le peuple burundais. L’histoire récente nous a appris que dans ce pays et dans la sous-région, le génocide n’est ni une vue de l’esprit ni un concept abstrait. L’exemple du génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 nous le rappelle douloureusement.
En conséquence, un appel urgent et angoissé est lancé à la communauté internationale et aux pays démocratiques dans le monde pour :
– dissuader le régime Nkurunziza de ne pas franchir la ligne rouge en amendant la constitution actuelle en vue de supprimer toute référence à des mandats présidentiels fixes, ou pour s’accorder des mandats supplémentaires.
– demander à la Communauté Est Africaine d’exiger de Nkurunziza l’acceptation des négociations inclusives et sans conditions. En cas de refus, cette organisation devrait décréter un embargo économique et sur les armes contre le Burundi.
– mettre en application la décision de la Commission de Union Africaine de dépêcher au Burundi une force de maintien de la paix de 5.000 hommes.
– envoyer sans délais sur place les observateurs des Nations-Unies prévus dans une résolution du Conseil de Sécurité.
– exiger du Conseil de Sécurité de prendre toutes les mesures qui s’imposent pour honorer son obligation de protéger le peuple burundais.
– lui demander également de prendre attache avec la Cour Pénale Internationale en vue d’accélérer les enquêtes préliminaires concernant les dossiers déjà déposés par les victimes de la répression.
– demander à tous les pays démocratiques de renforcer les sanctions contre le Burundi, ainsi que celles déjà prises à l’encontre de certaines personnalités identifiées, auteurs de crimes relevant du droit international. Ces sanctions doivent s’étendre aux facilités de voyages pour les dissuader de poursuivre leurs actions criminelles.
Les signataires de cette carte blanche appellent de tous leurs vœux des actions immédiates de tous les décideurs concernés, en attirant leur attention sur l’imminence de la catastrophe qui va s’abattre sur le Burundi et la sous-région si rien n’est fait. Demain ce sera trop tard.

Louis MICHEL (ALDE)
Charles GOERENS (ALDE)
Gérard DEPREZ (ALDE)
Javier NART (ALDE)
Hilde VAUTMANS (ALDE)
Nathalie GRIESBECK (ALDE-MoDem)
Marie ARENA (S&D)
Marc TARABELLA (S&D)

Cecile KYENGE Kashetu (S&D)
Juan Fernando LÓPEZ AGUILAR (S&D)
Maurice PONGA (PPE)
Mariya GABRIEL (PPE)
Michèle RIVASI (VERT/ALE)

http://www.rwanda-podium.org/index.php/actualites/politique/1148-opinion-burundi-l-inexorable-descente-aux-enfers

Posté le 04/06/2017 par rwandaises.com