Dans « Unwanted » créé lors du dernier Festival d’Avignon, Dorothée Munyaneza dit et danse la douleur des femmes rwandaises victimes de viol. Par Le Point

La chanteuse et actrice Dorothée Munyaneza, à la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon.

Il y a trois ans, la chanteuse, auteure et chorégraphe, Dorothée Munyaneza signait avec Samedi détente sa première création, où elle mettait en gestes et en musique son expérience du génocide. Ses courses et ses peurs de jeune fille de douze ans dans un Rwanda à feu et à sang, entre avril et juillet 1994. Ses cauchemars, étrangement liés aux tubes anglo-saxons diffusés par Radio Rwanda dans l’émission Samedi détente.
Dans son deuxième spectacle, Unwanted, qui vient d’être présenté au 71e Festival d’Avignon et commence une belle tournée en France et à l’étranger, l’artiste continue de se confronter à l’histoire tragique de son pays. Elle porte cette fois le témoignage de femmes violées lors du génocide. De leurs enfants également, qui selon Human Rights Watch, seraient entre 2 000 et 5 000.
La pièce s’ouvre sur quelques mots prononcés à mi-voix. Recueillis au Rwanda par Dorothée Munyaneza, ils disent sans détour la douleur et la honte d’une femme tombée enceinte de ses violeurs. Lentement, le corps et le chant prennent la relève du témoignage. Dorothée Munyaneza danse, tandis que Holland Andrews qui partage le plateau avec elle fait entendre sa voix profonde. Symboles d’une souffrance collective, toutes deux portent aussi les efforts des victimes pour aller de l’avant. Pour panser leurs blessures et se reconstruire une dignité. En bord de scène, le compositeur Alain Mahé, déjà présent dans Samedi détente, accompagne ce travail qui puise sa force dans sa sobriété. Dans son élégant minimalisme.

Le Point Afrique : Dans Samedi détente, vous portiez sur scène un récit autobiographique. Pourquoi avoir choisi d’assumer cette fois un récit collectif ?
Dorothée Munyaneza : Bien que centré sur mon expérience personnelle lors du génocide de 1994, Samedi détente a eu une résonnance très large. Non seulement parmi les Tutsis qui ont vécu la même chose, mais aussi chez des personnes qui ont connu d’autres guerres. D’autres traumatismes.
En cherchant comment poursuivre mon travail sur la mémoire des rescapés tutsis, j’ai découvert deux films : Rwanda, la vie d’après – paroles de mères d’André Versaille et Benoît Dervaux et Mauvais souvenir de Marine Courtade et Christophe Busché. Les témoignages de femmes victimes de viols pendant le génocide m’ont bouleversée, et j’ai voulu contribuer à la libération de leur parole.

Vous êtes allée à la rencontre de ces femmes et de leurs enfants au Rwanda. Les films que vous citez ont-ils déjà aidé à cette libération de la parole que vous appelez de vos vœux ?
Sans doute. Si les femmes que l’on entend dans Unwanted n’apparaissent pas dans Rwanda, la vie d’après, elles ont rencontré André Versaille et vécu l’expérience du tournage. Plusieurs associations de soutien aux femmes victimes de viols se sont aussi mises en place au Rwanda, au sein desquelles le traumatisme est souvent discuté. C’est l’une d’elles que j’ai approchée lorsque je suis venue travailler au Rwanda : l’association Sevota fondée par Godelieve Mukasarasi pour venir en aide aux femmes des collines. Veuve hutu d’un Tutsi assassiné pendant le génocide, cette femme fait beaucoup pour encourager leur parole.

Comment avez-vous procédé pour recueillir les témoignages qui ponctuent Unwanted ?
J’ai rencontré une soixantaine de femmes et de nombreux enfants, qui ont eux aussi leurs espaces de parole. Leurs réunions, où ils évoquent autant leurs blessures que leur désir de guérison. Seule ou en présence de Godelieve Mukarasi, je leur racontais d’abord mon histoire. Je leur parlais de Samedi détente et de mon projet concernant le viol comme arme de guerre. Ensuite, je leur posais une question, souvent la même : vous êtes-vous accepté(e) ? J’ai reçu les réponses comme des dons, que j’ai enregistrés. À la fin, je leur proposais de me chanter une chanson ou de me montrer une danse. Je les ai aussi prises en photo. Car si le point de départ de Unwanted est bien le viol, j’ai aussi voulu montrer comment ces personnes se relèvent de ce qu’elles ont vécu. Je pense que l’art doit contribuer à réparer les blessures du Rwanda.

Le témoignage qui clôt votre spectacle évoque en effet la reconstruction. Est-elle selon vous en cours, ou encore une perspective lointaine ?
En arrivant au Rwanda, je pensais trouver des femmes détruites. Ce n’est pas le cas. Elles soignent leur corps de tout ce qu’il a subi, et assument le quotidien avec une grande dignité. Les femmes qui sont tombées enceintes de leurs agresseurs et celles qui ont contracté le sida et d’autres maladies, surtout, sont forcées de vivre chaque jour avec les traces de l’agresseur. Mais tout est résistance chez elles, à commencer par la marche. La verticalité. Elles travaillent aussi sur leurs rapports à leurs enfants nés des viols. Après un long rejet, certaines ont réussi à devenir pour eux de vraies mères. Et ces enfants de leur côté font tout pour comprendre ce qui s’est passé et pour pardonner. Pour aller de l’avant.

* « Unwanted », les 23 et 24 août 2017 au festival Tanz im August (Berlin, Allemagne), du 15 au 17 septembre au TBA Festival (Portland, États-Unis), du 21 au 22 septembre au Baryshnikov Arts Center (New York, États-Unis), les 26 et 27 septembre au Princetown festival (États-Unis), le 5 octobre au MESS Festival (Sarajevo, Serbie), du 18 au 21 octobre au Festival d’Automne (Paris)…

http://www.rwanda-podium.org/index.php/actualites/education/1474-entretien-dorothee-munyaneza-l-art-doit-contribuer-a-reparer-les-blessures-du-rwanda

Posté le 31/07/2017 par rwandaises.com