Kigali: Le Conseil constitutionnel a publié ce matin sa décision concernant la loi censée encadrer l’accès aux archives des présidents de la République et des ministres : c’est une décision plus politique que juridique qui a été prise, puisque, contre toute attente, elle consacre le pouvoir arbitraire d’une personne privée pour autoriser ou refuser l’accès aux archives déclassifiées de François Mitterrand. La question prioritaire de constitutionnalité avait été soulevée par le chercheur François Graner, membre de Survie, association qui se mobilise contre la Françafrique et qui cherche à faire toute la lumière sur l’implication française au Rwanda avant et pendant le génocide perpétré contre les Batutsi en 1994. Ce chercheur va donc désormais saisir la Cour européenne des droits de l’homme.
Les archives de François Mitterrand concernant la politique menée par la France au Rwanda au début des années 1990 représentent des milliers de pages conservées aux Archives nationales. Elles sont une source d’information potentielle sur ce que l’État français savait et a fait avant et pendant le génocide. Mais elles ne seront pas ouvertes avant 50 ou 60 ans : en attendant, une personne privée (Dominique Bertinotti), mandatée par François Mitterrand avant sa mort, décide ou non d’autoriser leur consultation, de façon variable et arbitraire, sans qu’il soit possible de déposer un recours contre ces décisions. N’ayant pu avoir accès qu’à une partie des archives, et privé de possibilité de recours, le chercheur François Graner a contesté cette loi devant le Conseil constitutionnel. Au cours de l’audience, le jeudi 7 septembre, l’avocat de François Graner, Maître Spinosi, a plaidé pour la protection des droits des citoyens dans une démocratie, tandis que le représentant du Premier ministre a plaidé pour la protection pendant 25 ans du secret des gouvernants et anciens gouvernants. Les «Sages», parmi lesquels siégeaient deux anciens Premiers ministres, se sont rangés à cet avis, et ont considéré que l’article visé du Code du patrimoine était «conforme» à la Constitution.
Pour Fabrice Tarrit, co-président de l’association Survie, « cette décision inique illustre bien les innombrables blocages politiques auxquels on fait face dès lors qu’on cherche à faire toute la lumière sur l’implication des autorités françaises auprès des génocidaires rwandais en 1994 : contre la logique du droit, le pouvoir politique oppose une forme de raison d’État visant ni plus ni moins qu’à protéger un crime d’État. »
Pour François Graner, «c’est évidemment une déception de voir la plus haute institution de notre pays consacrer cette spécificité française, le pouvoir arbitraire d’une personne privée d’ouvrir ou non les archives d’autorités publiques. Les motivations de cette décision sont politiques, elles consacrent l’opacité des gouvernants face aux droits des citoyens. Elles sont donc faciles à attaquer devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui ne s’embarrasse pas de telles considérations politiques, et c’est ce que nous allons faire maintenant.»
La question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soulevée par François Graner concernait un article du Code du patrimoine et portait sur deux volets. L’un, sur l’impossibilité de faire appel des décisions des mandataires, était spécifique à cette loi (violation du droit fondamental à l’exercice d’un recours effectif). L’autre était bien plus général : il s’agissait de savoir si l’accès aux archives de gouvernement fait partie ou non du droit de demander aux agents publics des comptes de leur action, qui est un droit fondamental garanti par la Déclaration des droits de l’homme, et donc par la Constitution. (Fin)
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Posté le 17/09/2017 par rwandaises.com