C’est l’un des baromètres de l’état du continent les plus scrutés : l’indice général Mo Ibrahim sur la gouvernance 2017 vient d’être rendu public. Premier enseignement : l’Afrique avance. Mais si la gouvernance s’améliore sur le continent, les progrès sont lents dans certains domaines. Surtout, les situations divergent d’un pays à l’autre. Jeune Afrique fait le point pour vous.

La fondation Mo Ibrahim publie ce 20 novembre son index sur la gouvernance africaine. Publié chaque année depuis 2007, ce classement s’appuie sur un indice calculé à partir d’une centaine d’indicateurs, de l’accès à l’information à la participation politique des femmes en passant par la santé et la création d’emplois. Globalement, l’indice Mo Ibrahim est en hausse constante depuis sa création.

Cette progression ne se dément pas en 2017 : quarante pays se sont améliorés par rapport au classement précédent, parmi lesquels la Côte d’Ivoire, la Namibie, le Maroc, le Kenya et l’Égypte, qui présentent des trajectoires particulièrement positives. Cependant les progrès se ralentissent, et le score de « sécurité et État de droit », l’une des quatre catégories majeures constituant l’indice, est en net recul.

Détérioration sécuritaire

Parmi les pays qui refluent depuis dix ans, la Libye – sans surprise – mais aussi Madagascar, la Mauritanie ou encore le Mali. Le Cameroun connaît également une baisse notable, notamment en matière de sécurité et de droits des citoyens. Le Niger recule lui aussi sur la sécurité, mais aussi sur la transparence du secteur privé, tandis que la violence politique qui s’y développe le fait chuter dans le domaine des droits humains.

Plus étonnant, Maurice, pourtant n°1 du classement, inquiète les analystes de la Fondation : si l’île reste en tête, le climat des affaires s’y détériore du fait des pratiques de corruption qui s’y multiplient.

Le Zimbabwe, en proie à un coup d’État depuis une semaine, figure quant à lui parmi les pays qui ont le plus progressé ces dix dernières années, et a atteint la 37e place en 2016. Beaucoup de signaux d’alarme y restent cependant allumés : crédibilité des agences électorales, parité, violences faites aux femmes, diversification de l’économie, santé, etc.

« Problème démographique »

Interrogée par Jeune Afrique, Nathalie Delapalme, la directrice exécutive de la fondation Mo Ibrahim, a souligné l’impact fort de la dégradation de la situation sécuritaire – notamment en raison de la recrudescence du risque terroriste.

Elle pointe également, de manière globale, « un problème démographique : les pays n’arrivent pas à suivre la progression de la population. Ils ont tendance à se reposer sur la communauté internationale et les fondations dans les domaines de la santé par exemple. »

Autre problème récurrent dans la gestion des politiques publiques, relevé par Nathalie Delapalme : « Les politiques étatiques se concentrent souvent sur les zones urbaines en oubliant les régions rurales. Il y a un grand problème de prise en charge de la ruralité, qui reste pourtant cruciale en Afrique. »

« Occasion manquée »

Enfin, la directrice de la fondation Mo Ibrahim souligne que les pays du continent qui bénéficient de la manne pétrolière ne sont pas parvenus à en faire profiter pleinement leurs populations. « Les pays producteurs de pétrole n’ont en réalité pas bénéficié de la bulle pétrolière d’il y a dix ans. Mais ils ne se sont pas pour autant diversifiés, ce qui représente une occasion manquée dont on voit les effets aujourd’hui », estime-t-elle.

« Seul le Nigeria bénéficie des efforts de son ancienne ministre de l’Agriculture et du Développement rural, Akinwumi Adesina, aujourd’hui à la tête de la Banque africaine de développement (BAD), mais la grande majorité des pays n’ont pas pris les mêmes initiatives », regrette la directrice exécutive de la Fondation.

 

• Qui est en hausse ? Qui est en baisse ?

• Sécurité et État de droit : dix ans de détérioration

C’est le seul des critères de l’indice qui accuse une baisse sur les dix dernières années (-0,27). La détérioration de l’État de droit sur le continent s’est cependant « ralentie » ces cinq dernières années. Selon les auteurs du rapport 2017, si la chute a été très forte entre 2007 et 2012, la courbe semble désormais se stabiliser.

« Il y a une vraie détérioration au niveau de la sécurité nationale, en particulier à cause du terrorisme. Or c’est cette insécurité qui fait obstacle aux progrès en matière de développement humain et, globalement, de gouvernance », insiste Nathalie Delapalme.

Surtout, la situation est très différente d’un pays à l’autre. Dans quinze pays, l’État de droit marque le pas. Sont notamment concernés le Burundi, la Libye ou encore la République centrafricaine. Le Cameroun compte également parmi les pays qui accusent une baisse forte de l’indice dans ce domaine.

La Gambie, elle, figure en bas de tableau, selon un indice qui a été calculé, rappelons-le, avant la chute de Yahya Jammeh et son départ du pays en janvier 2017. À l’inverse, le Zimbabwe, tout en affichant un indice moindre que la moyenne observée sur le continent, s’inscrit dans une évolution positive entre 2007 et 2016 (+1,30 sur les cinq dernières années)…

On notera, à l’inverse, les bonnes notes obtenues dans ce domaine par la Tunisie, le Sénégal, le Maroc et le Rwanda. Ce dernier pays affiche même un score très important dans le sous-indice portant sur le niveau de reddition des comptes, avec un indice de 72,1 sur 100, là où la moyenne des pays africains se situe à 35,8.

• Participation et droits de l’homme

Depuis la création de l’indice, en 2000, celui concernant les droits de l’homme a atteint son plus haut score : 49,4. Sur les dix dernières années, 35 pays ont vu leur indice grimper dans cette catégorie.

En tête du classement pour les progrès enregistrés, avec un score de 70,2, la Tunisie post-Ben Ali a gagné dix points entre 2010 et 2011.

À l’inverse, la Libye (27,6) et l’Égypte (27,2) accusent d’importantes baisses.

Parmi les pays où ce critère connaît la détérioration la plus brutale, on trouve également le Mali – avant-dernier, juste devant le Soudan du Sud.

 

• Développement humain : le progrès au ralenti

« Au niveau du développement humain, il y a un ralentissement, notamment en matière de santé et surtout d’éducation. Dans ce domaine, quasiment aucun progrès n’a été enregistré depuis cinq ans », assène Nathalie Delapalme. En cause, notamment, la dégradation des conditions sécuritaires (voir ci-dessus), mais également une stagnation – voire un recul dans certains pays – des investissements dans l’éducation. Entre 2012 et 2016, l’indice spécifique portant sur l’éducation sur le continent a augmenté de 0,2 petits points sur 100…

Certains pays accusent aussi des reculs importants. C’est notamment le cas de la Tunisie, tirée vers le bas du classement par une chute de 9,1 points du sous-indice éducation.

 

• Développement durable : le Maroc champion dans un contexte de stagnation

Le Maroc s’illustre ici tant par son score – le pays est deuxième du classement derrière Maurice – que par sa bonne progression : c’est le pays qui s’est le plus amélioré en dix ans, gagnant en moyenne 1,21 point d’indice par an. Mais le royaume fait ici figure d’exception sur le continent, où les progrès sont plutôt lents, voire inexistants : malgré une tendance haussière depuis deux ans, l’Afrique n’a pas retrouvé son niveau de 2010.

Comme le Maroc, le Rwanda, a beaucoup progressé au cours de la dernière décennie mais a nettement ralenti le rythme cette année.

L’Algérie, Madagascar, l’Afrique du Sud et la Tunisie sont quant à eux en déclin par rapport à 2007. Cependant, les analystes de la fondation Mo Ibrahim relèvent que ces quatre pays ont fourni des efforts en vue de ralentir cette dynamique négative.

 

http://www.jeuneafrique.com/494484/societe/ce-quil-faut-retenir-de-lindice-mo-ibrahim-lafrique-avance-mais-lentement-et-inegalement/

Posté le 26/11/2017 par rwandanews