Le désouchage du vieux baobab aura pris du temps. Trop sans doute mais au moins l’irréparable ne s’est-il pas produit : maîtrisant leur impatience, leur aspiration au changement, les Zimbabwéens ont permis aux pressions politiques d’opérer leurs effets et tout a été mis en œuvre pour que ne soit pas humilié un homme qui, malgré les errements de son grand âge, appartient à l’histoire de son pays et de l’Afrique.
En Europe, on a surtout retenu contre Mugabe l’ire des Britanniques solidaires des colons dépossédés de leurs terres, oubliant que la réforme agraire ne fut mise en œuvre qu’après plus de dix années de patience et sans pouvoir compter sur les fonds d’indemnisation que Londres et Washington avaient promis de verser…On se souviendra de Mugabe comme un ami de la première heure des Chinois, des Nord Coréens, on se rappellera l’implacable répression exercée contre l’ethnie des Ndebele qui soutenaient son adversaire Josuah Nkomo (soutenu par Moscou), on soulignera la tentative pitoyable de propulser à la présidence une épouse dépensière et peu aimée.. Certes, Robert Gabriel Mugabe n’est pas Nelson Mandela. Il n’a jamais eu ni son charisme, ni sa bienveillance, et n’a jamais été courtisé par les Occidentaux. Ces derniers se sont toujours méfiés de cet homme austère, peu loquace, même si lui aussi a connu la prison et le combat militaire puis politique, même si lui aussi avait eu le courage, au lendemain de l’indépendance, de se réconcilier avec Ian Smith, le Premier Ministre de la Rhodésie sécessionniste qui l’avait combattu sans pitié…
Si Mugabe n’a pas eu bonne presse en Occident, ce n’était pas uniquement à cause de son intransigeance, de sa lucidité politique, de ses redoutables facultés intellectuelles (il avait mis à profit ses années de prison pour collectionner les diplômes..) C’est aussi parce que l’homme était un militant panafricaniste convaincu, qui mit plusieurs fois en échec les manœuvres ou les duplicités occidentales.
En Afrique, même si pour les jeunes il appartient déjà aux livres d’histoire, on a de lui une vision bien différente : chacun sait que si, finalement, le peuple sud africain fut libéré de l’apartheid, si la Namibie accéda à l’indépendance, c’est à son engagement qu’il le doit, lorsque le Zimbabwe, durant les années 80, ouvrit son territoire aux bases et aux camps de réfugiés de l’ANC et en paya le prix fort, les attaques au sol, les bombardements menés par l’armée sud africaine…
En Afrique centrale, chacun sait aussi que c’est Mugabe qui fit échouer les projets de balkanisation du Congo, lorsqu’il engagea ses troupes aux côtés de Kinshasa afin de stopper l’avancée des rebelles venus de l’Est. Et sur le plan intérieur, même si les terres arrachées aux colons blancs furent moins distribuées aux cultivateurs noirs qu’aux amis politiques du régime et aux militaires, la réforme agraire menée au Zimbabwe fut suivie par tous les pays d’Afrique australe, de l’Afrique du Sud jusqu’au Kénya, où des propriétaires blancs occupent aujourd’hui encore de vastes domaines voués à l’agriculture ou au tourisme tandis que les populations africaines manquent de terres cultivables.
Avec la disparition de Mugabe, une page se tourne en Afrique, celle des guerres de libération, des luttes idéologiques. On voudrait pouvoir dire aussi que sa mise à l’écart sans violence est un signal envoyé à tous les chefs d’Etat, quel que soit leur âge, qui s’accrochent au pouvoir en dépit de la volonté de leur peuple et sans présenter les mêmes lettres de créance…

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Posté le 25/11/2017 par rwandanews