Plusieurs familles des victimes ainsi que les organisations de défense des droits de l’homme se sont réjouis à l’énoncé du jugement rendu par le tribunal militaire de Kavumu, une localité voisine de Bukavu: le lieutenant-colonel magistrat Kiseke Muke a condamné à perpétuité le député provincial Frédéric Batumike et dix membres de sa milice, qui ont été reconnus « coupables de crimes contre l’humanité par viol ».
Entre 2013 et 2016, l’affaire avait provoqué une forte émotion dans la capitale du Sud Kivu : à Kavumu, proche d’un camp militaire et d’une base de la Monusco, au moins 46 fillettes de moins de dix ans avaient été violées par des inconnus qui les avaient enlevées nuitamment au domicile de leurs parents et ramenées par la suite, inconscientes et blessées, dans le jardin ou sur le seuil de la maison. Les mobiles de ces crimes avaient suscité de nombreuses supputations : actes de sorcellerie, pratiques magiques destinées à assurer la chance ou l’invulnérabilité…
Le 21 juin 2016, le député provincial Frédéric Batumike était arrêté par la justice militaire et accusé d’avoir entretenu une milice, « Jeshi ya Yesu »(l’armée du seigneur). Celle-ci fut rapidement désignée comme responsable des viols de dizaines de fillettes, soupçon confirmé par le fait que l’arrestation de la milice et de leur chef avait mis fin à l’ « épidémie » de viols. La Cour, durant le procès, a rappelé que la milice incriminée avait attaqué des positions des FARDC (armée gouvernementale) et violé au moins 46 fillettes et elle a aussi révélé que ces hommes s’étaient approvisionnés en armes au Burundi.
Siégeant depuis le 9 novembre à Kavumu, la Cour militaire de Bukavu, constituée en Chambre foraine, a reçu 18 prévenus et entendu une cinquantaine d’enfants, constitués en partie civile.
Soutenu par plusieurs organisations et ONG, dont Trial International, Physicians for Human Rights et la Fondation Panzi, qui appuie le Docteur Mukwege, ce procès, fortement médiatisé, était considéré comme un test dans la lutte contre l’impunité et contre les violences sexuelles tandis que l’avocate belge Me Michelle Hisrch, assistant les familles des victimes, ne cessait de rappeler la nécessité, en plus du châtiment des coupables, de prévoir des réparations afin d’aider les malheureuses fillettes à pouvoir être soignées et à reprendre une existence normale. Même si ce dernier point manque toujours, les familles ont bien accueilli la sentence, espérant que la condamnation des miliciens puisse contribuer à la lutte contre l’impunité et au retour de la paix.
Un observateur international, professeur de droit, après avoir assisté à toutes les séances du procès, a cependant formulé quelques sérieuses réserves. Pour lui, le mode opératoire et les mobiles de ces viols commis de nuit n’ont pas été suffisamment éclaircis : « rien n’a été dit à propos du « somnifère magique » qui aurait été administré aux parents afin qu’ils ne remarquent pas l’enlèvement des fillettes dans leur propre maison… »Les rapports d’expertise médico légale, confiés à l’hôpital de Panzi sont également mis en cause : «pourquoi, dès l’arrivée des fillettes ayant été violées dans la nuit, n’a-t-on pas systématiquement pratiqué un test ADN, qui auraient pu, par la suite, confondre les auteurs ? » Estimant que les preuves sont insuffisantes et que ces viols relèvent peut-être, aussi, de violences intrafamiliales, le juriste redoute une sorte de banalisation de la notion de « crime contre l’humanité », sinon l’exploitation politique de cette démarche judiciaire dont toutes les ONG internationales se réjouissent au nom de la lutte contre l’impunité.
Le président de la Cour, après avoir prononcé la sentence, a accordé aux condamnés le droit d’interjeter appel. Le verdict final devant encore être rendu, il est peut-être trop tôt pour crier victoire…
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Posté le 15/12/2017 par rwandaises.com