LE BILLET DE FRANCIS KPATINDÉ. L’Egyptien Sissi, réélu avec 97 % des suffrages, et le Tchadien Déby, qui prône une IVe République à sa main, se sentiront bientôt seuls sur un continent où la démocratie avance, malgré tout.

Billet. Qu’ont donc en commun l’Egyptien Abdel Fattah Al-Sissi et son pair tchadien, Idriss Déby Itno, sinon d’être tous les deux des Africains, des sexagénaires et des militaires ayant subrepticement troqué l’uniforme contre le costume trois-pièces européen et le boubou empesé de chef d’Etat ? Ces deux officiers en tenue de camouflage se sont illustrés de manière fort peu louable au cours de la dernière semaine de mars, comme pour nous rappeler que le vieux monde avait encore de la ressource.

En faisant le minimum syndical et sans avoir battu campagne, Sissi s’est fait reconduire pour quatre ans à la tête de son pays, jeudi 29 mars, au terme de trois jours d’un vote marqué par une forte abstention. Avec 97 % des suffrages exprimés, selon les premières estimations, le maître de l’Egypte fait beaucoup mieux que son homologue camerounais, Paul Biya (77,99 % lors du scrutin présidentiel de 2011), et l’Equato-Guinéen Teodoro Obiang Nguema (93,53 % en 2016). Le dénommé Moussa Mostafa Moussa, opportunément appelé à la rescousse pour jouer les sparring partners et donner un atour pluraliste à la compétition, a dû se contenter de quelques miettes tombées du ciel.

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Pressenti, avant même d’avoir été reconduit dans ses fonctions, pour diriger l’Union africaine en 2019 à la suite du Rwandais Paul Kagamé, le raïs égyptien risque de se sentir bien seul et d’apparaître au siège de l’organisation panafricaine comme une survivance du passé. Car, contrairement à une idée reçue, il y a aujourd’hui plus de régimes démocratiques que de pouvoirs autoritaires sur le continent. Et le comportement des citoyens en âge de voter tout comme les résultats électoraux sont plus imprévisibles qu’ils ne l’étaient au cours des deux dernières décennies. Les inconditionnels des pouvoirs forts sont donc une espèce en voie de disparition, même si leur voix est toujours aussi tonitruante…

Tour d’illusionniste

Ancien officier reconverti à la vie civile, le Tchadien Idriss Déby Itno s’accroche, lui aussi, désespérément à un monde évanescent. Avoir côtoyé les vingt-huit dernières années trois présidents sénégalais, Abdou Diouf (1981-2000), Abdoulaye Wade (2000-2012) et, aujourd’hui, Macky Sall, ne semble guère l’inspirer et l’inciter à faire valoir, enfin, ses droits à la retraite. Pour éviter d’avoir à tripatouiller une nouvelle fois la Constitution, le président tchadien s’est résolu à changer de République, comme, trois ans avant lui, le Congolais Denis Sassou-Nguesso. Exit, donc, la IIIe République tchadienne ! Vive la IVe !

Le rapport final d’un forum national rendu public le 27 mars promet aux Tchadiens un avenir radieux : un régime présidentiel « intégral », un mandat de six ans renouvelable une fois, contre un bail de cinq ans reconductible indéfiniment actuellement. A la vérité, le passage du quinquennat au sexennat est une simple diversion, un tour d’illusionniste prisé par les dirigeants d’Afrique centrale pour passer par pertes et profits les décennies passées à la tête de l’Etat et remettre les pendules à zéro.

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La cause est entendue ! Si les mânes des ancêtres veillent sur lui, Idriss Déby Itno, dont le mandat actuel prend fin en 2021, devrait rester aux commandes de son pays jusqu’en 2033. Lui qui a été reçu à l’Elysée, successivement, par François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron peut raisonnablement espérer serrer la pince au successeur de ce dernier.

Pour le conforter dans ses rêves de pérennité, il a, il est vrai, l’environnement régional pour lui. L’addition de l’âge de Paul Biya, 85 ans révolus, de Teodoro Obiang Nguema, 76 ans en juin, de Denis Sassou-Nguesso, 75 ans en novembre, et d’Idriss Déby Itno, 66 ans dans trois mois, quatre des principaux dirigeants de cette région riche en pétrole, gaz et minerais divers, donne le tournis : 302 ans, soit une moyenne de 75 ans et demi. Les mêmes dirigeants cumulent aujourd’hui 135 années à la tête de l’Etat. De quoi faire pâlir de jalousie le pharaon du Caire, au moment même où Ian Khama, le président du Botswana, annonçait sa démission dix-huit mois avant terme. Pour respecter la Constitution qui limite son mandat à dix ans, mais aussi, et surtout, pour bien montrer qu’il y a une vie après le pouvoir.

http://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/03/30/l-autocrate-africain-une-espece-en-voie-de-disparition_5278807_3212.html#LsRru17scgWTVL3S.99

Posté le 02/04/2018 par rwandaises.com