Les Etats Unis ont fini par lever les sanctions imposées au Soudan, le président Omar el Bechir, défiant les mandats d’arrêt émis par la Cour pénale internationale, voyage sans problème en Afrique, le régime de Khartoum, qui subit à la fois la crise économique et les pressions internationales, est crédité d’avoir lâché d’un peu de lest et l’un des chefs de ses services de sécurité, qui représente son pays à l’Union européenne, a été chargé de diriger l’équipe qui a identifié les migrants soudanais arrêtés en Belgique.
La « normalisation » des relations entre l’Europe et le Soudan, un pays charnière entre l’Afrique noire et le monde arabe, destiné, après l’échec libyen, à faire barrage aux flux migratoires, serait-elle en bonne voie ? La simple lecture du dernier rapport d’Amnesty International montre cependant que le régime, l’un des plus répressifs d’Afrique, a encore du chemin à parcourir pour devenir fréquentable: en février dernier, un séminaire public organisé par un parti d’opposition à l’université d’El Geneina a été violemment interrompu par des agents du service de sécurité le NISS, plusieurs étudiants ont été blessés grièvement et l’un d’eux a succombé à ses blessures. En avril, un étudiant à l’Université du Kordofan a été abattu d’une balle dans la tête à El Obeid et 25 autres manifestants ont été blessés lorsque les agents du NSS ont ouvert le feu sur des jeunes qui voulaient participer aux élections étudiantes. Le 8 mai, dans la ville de Kosti, Etat du Nil blanc, des policiers ont dispersé un « sit in » pacifique organisé par des étudiants de la faculté d’ingénierie et, frappés par des matraques ou atteints par des gaz lacrymogènes, sept jeunes gens ont été blessés dont quatre grièvement. En 2016, alors que la guerre entrait dans sa treizième année, l’armée soudanaise a lancé une offensive de grande ampleur dans le Djebel Marra, -une région du Darfour- et des dizaines de photos satellites établissent que des armes chimiques ont été utilisées, tuant quelque 200 à 250 personnes, dont un grand nombre d’enfants. Quant à l’organisation TRACKS (Centre pour la formation et le développement humain) elle a fait l’objet en février dernier d’une descente de police qui a permis de saisir des portables, des ordinateurs des documents et des passeports tandis que six employés ont été inculpés de crimes contre l’Etat passibles de la peine de mort.
Ces chroniques d’Amnesty et des autres organisations de défense des droits de l’homme n’ont rien d’inédit : elles se succèdent depuis 1989, l’année où, à la suite d’un coup d’Etat, le général Omar el Bechir prit le pouvoir. Cumulant les fonctions de premier ministre et de chef des forces armées, cet homme de fer restaura la charia et autorisa des 1991 des peines telles que la lapidation et les amputations, confirmant ainsi la primauté du droit musulman déjà décidée en 1983.
Cette mesure n’a cessé de creuser la fracture qui ronge le Soudan depuis la proclamation de l’indépendance en 1956 : les rênes de l’ancien Soudan anglo égyptien –un conglomérat juxtaposant des populations musulmanes au Nord et, dans le Sud, des peuples animistes ou convertis aux religions chrétiennes-ont alors été confiées à un gouvernement établi à Khartoum. Mais la promesse faite aux provinces du Sud de créer un Etat fédéral n’ayant jamais été honorée, la guerre civile éclata aussitôt. Après des décennies de conflit, le Sud Soudan finit par se prononcer pour l’indépendance en 2011 mais le plus jeune Etat du monde s’avéra à peine viable : peu développé en dépit de ses ressources pétrolières, il fut très vite ravagé par les conflits entre plusieurs factions militaires et par les rivalités opposant les deux principaux groupes ethniques, des Dinka et les Nurs.
Appauvri par la perte des recettes pétrolières, (qui représentaient un quart du budget national) Khartoum dut aussi faire face à d’autres forces centrifuges : à l’ouest du pays, le Darfour, un ancien royaume indépendant, est en rébellion depuis 2003 et d’autres régions du pays, le Kordofan, le Nil bleu, les Monts Nouba à l’Est sont agités par des mouvements séparatistes. Leur développement s’explique par des causes identiques : autoritarisme du pouvoir central, captation par le Nord des ressources et des projets de développement, primauté donnée à la religion musulmane sur les autres cultes ou traditions… Sans oublier un certain racisme, héritage d’une histoire où les tribus du Nord, blanches et musulmanes, menaient des razzias contre les peuples africains du Sud ou traitaient avec mépris leurs compatriotes noirs lorsque ces derniers s’installaient dans la capitale…De nos jours encore, les cavaliers « janjawids »opérant au Darfour sont les redoutables supplétifs de l’armée régulière et les réfugiés venus du Kordofan assurent qu’ils ont fui leurs raids meurtriers et leurs exactions.
Les conflits qui ravagent le Soudan sont multiples : dans cet immense pays, qui était le plus vaste d’Afrique avant l’indépendance du Sud Soudan, se juxtaposent des populations arabophones et d’origine africaine, des peaux blanches et des peaux noires, des nomades toujours à la recherche de pâturages et des agriculteurs jaloux de leurs terres menacées par la sécheresse et risquant d’être expropriés par des accaparements de terres ou de grands projets financés par la Chine…Sur cette complexité ethnique, culturelle, religieuse pèse un régime perçu comme arabe, musulman et fondamentalement répressif…Un régime qui flirta longtemps avec des organisations terroristes, accueillant le terroriste Carlos et abritant dans les années 790 un certain Oussama Ben Laden, désireux à l’époque d’investir des fonds saoudiens dans de grands projets agricoles…Ces relations ambigües justifièrent les sanctions internationales décidées voici vingt ans à l’encontre d’un Etat qualifié de « sponsor du terrorisme ».
Des jeunes coupés du monde
L’addition de toutes ces raisons explique pourquoi les jeunes Soudanais (60% d’entre eux ont moins de 24 ans…) tentent de fuir leur pays : ils quittent les campagnes, car ils se sentent abandonnés, privés de perspectives de développement ou menacés par la guerre, ils quittent les villes car, outre la répression et les contrôles policiers, vingt années de sanctions internationales ont donné aux jeunes le sentiment qu’ils étaient séparés du monde réel. « Nous avons été isolés mentalement » confiait Hana Ali, 28 ans, pharmacien à Khartoum, à un journaliste du Guardian, ajoutant « il ne s’agît pas seulement d’économie… Les sanctions nous empêchent de profiter de la vie, d’avoir accès aux publications académiques ou d’acquérir des qualifications de niveau international, nous avons le sentiment d’être coupés du reste du monde… »
Cette jeunesse frustrée, qui se sent isolée, se heurte à des règles qui lui semblent d’un autre âge, comme l’interdiction de consommer de l’alcool, d’écouter des musiciens étrangers, de jouer de la guitare, d’organiser des soirées exemptes de visites de la police religieuse. Quant aux femmes, elles vivent de plus en plus mal l’obligation de porter le voile, de se voir interdire les pantalons et selon une récente enquête de l’organisation Sajeenat, citée par « the Guardian » plus de 70% des atteintes à l’ordre public concernent désormais des femmes, où celles qui ne peuvent s’acquitter de lourdes amendes sont condamnées à la prison ou à subir des peines de fouet…
Accédant à Internet (moins censuré qu’en Ethiopie ou en Erythrée), piratant des films d’Hollywood sur leurs clés USB, les jeunes Soudanais rêvent d’autant plus fort de l’Occident qu’ils sont empêchés d’y aller, qu’ils se sentent stigmatisés et réprimés…Les renvoyer dans les geôles du régime n’arrêtera pas le flux…
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Posté le 27/12/17 par rwandaises;com