En 2018, les Etats membres devront financer 40 % du budget de l’institution pour mettre fin à une forte dépendance aux bailleurs de fonds internationaux.

Au siège de l’Union africaine, lors du 30e sommet des chefs d’Etat, à Addis-Abeba, le 27 janvier 2018.

Quelque chose semble avoir changé dans l’atmosphère parfois léthargique de l’Union africaine (UA). Certes, il y a l’arrivée au club du nouveau président du Liberia, George Weah, 51 ans, accueilli par une salve d’applaudissements lors du 30e sommet des chefs d’Etat, fin janvier à Addis-Abeba. Mais il y a autre chose qui laisse croire à un moment charnière pour cette organisation. Le président de la Commission de l’UA, le Tchadien Moussa Faki Mahamat, l’a résumé dans son discours : « Sans son indépendance, l’Afrique n’est rien du tout. Avec son indépendance, elle peut être tout. »

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Depuis sa création en 2002, l’UA fonctionne vaille que vaille sous perfusion de bailleurs de fonds internationaux comme l’Union européenne (UE), l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID) ou encore l’Allemagne, qui assuraient 70 % de son budget jusqu’en 2017 et la quasi-totalité de ses opérations de maintien de la paix. Aujourd’hui, l’indépendance financière n’est plus une chimère, veut-on croire : l’institution continentale a réussi à réduire les contributions extérieures à 58 %.

Des salaires bien plus bas qu’à l’ONU

Dans leurs bureaux exigus, à l’écart de l’immeuble moderne offert par la Chine « aux frères africains », les 1 174 employés de l’UA se sont longtemps débrouillés pour faire tourner ce « grand machin » avec peu de moyens. Leurs rémunérations restent basses, bien loin de l’objectif d’atteindre 75 % des salaires des fonctionnaires des Nations unies. « Malgré une hausse de 6,1 % en janvier, on reste loin des grilles de l’ONU », regrette un cadre débutant éthiopien, qui perçoit 5 000 dollars par mois (environ 4 040 euros).

« Plus on monte en grade, moins on gagne à l’UA », résume un haut responsable. L’Algérien Smaïl Chergui, à la tête du stratégique Conseil de paix et de sécurité, perçoit 12 000 dollars par mois, de même que les sept autres commissaires de l’UA. C’est 3 000 dollars de plus que les 21 directeurs de l’organisation. Le salaire le plus élevé revient à Moussa Faki Mahamat, qui se satisfait de 14 000 dollars par mois. Il dispose d’un véhicule pour lui, d’un autre pour sa famille et de deux 4×4 pour son escorte. A cela s’ajoute un logement de fonction : la belle villa ornée de marbre et ceinturée de jardins verdoyants, l’Africa House, résidence officielle des présidents de la Commission de l’UA.

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Avant lui, le Gabonais Jean Ping (2008-2012) avait demandé de refaire intégralement la décoration, dans un style plus rococo, et insisté auprès de l’administration de l’UA pour que soient effectués des travaux jugés extravagants, notamment dans le grand salon. La Sud-Africaine Nkosazana Dlamini-Zuma (2012-2017), elle, y résidait peu, préférant l’une de ses demeures en Afrique du Sud, qui lui versait près de 3 millions de dollars annuels en plus de ses émoluments payés par l’UA.

« M. Faki, lui, n’a rien exigé. A son arrivée, il n’a demandé qu’une chose : un tapis de prière », raconte un responsable de l’intendance. Moussa Faki Mahamat ne voyage pas en jet privé mais en business class sur Ethiopian Airlines, comme les autres hauts responsables. Car l’UA, contrairement à certaines agences onusiennes, ne possède pas de flotte d’avions. « La seule fois où il a pris un jet, c’était pour se rendre à Juba [capitale du Soudan du Sud] et c’était un avion des Nations unies », assure l’un de ses proches conseillers.

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Il lui est arrivé, très rarement, d’embarquer à bord d’un avion privé de chef d’Etat, comme ce fut le cas, fin novembre 2017, avec le Nigérien Mahamadou Issoufou pour rallier Niamey depuis Abidjan, où venait de s’achever le sommet UE-UA. Une rupture avec les pratiques de ses prédécesseurs, comme Jean Ping, qui acceptait sans ambages les largesses du Libyen Mouammar Kadhafi, y compris des avions mis à disposition pour sillonner le continent. De vieux diplomates se souviennent non sans gêne de cet ancien président de la Commission particulièrement soumis au Guide.

Un budget de 770 millions de dollars

Les temps ont changé. Le Libyen, qui s’était fait introniser « roi des rois d’Afrique » en 2009, année marquée par sa présidence de l’UA, déversait des millions de pétrodollars pour tenter de contrôler une organisation panafricaine désargentée. « Il n’y avait aucune traçabilité ni de contrôle centralisé sur la gestion des fonds levés par l’UA jusqu’en 2006 », relève Ulf Engel, professeur à l’Institut d’études africaines de l’université de Leipzig, en Allemagne. L’organisation se débattait alors avec un budget annuel de 164 millions de dollars. Cette année, il avoisine les 770 millions de dollars.

Le siège de l’Union africaine, à Addis-Abeba.

Elégant dans son costume gris, avec sa canne de seigneur de la diplomatie africaine, un septuagénaire respecté de tous se souvient des débats entourant le financement de l’organisation au moment du passage de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) à l’UA. « J’avais chargé les ministres des finances de réfléchir à des prélèvements sur des billets d’avion ou sur les transactions financières », explique à Addis-Abeba l’Ivoirien Amara Essy. L’ancien ministre des affaires étrangères de Félix Houphouët-Boigny, secrétaire général de l’OUA en 2001 et président intérimaire de la Commission de l’UA créée l’année suivante, parle non sans regrets de ces mécanismes d’autofinancement qui n’ont jamais été adoptés.

Les chefs d’Etat, véritables maîtres de l’UA, ne se sont finalement jamais mis d’accord. L’un d’entre eux, l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo, avait proposé une série de taxes sur les nuits d’hôtel, les billets d’avions ou les SMS. C’était en 2013, année de l’intervention militaire française au Mali. Deux ans plus tard, le Zimbabwéen Robert Mugabe s’y essayait aussi. Sans plus de succès.

Beaux discours, mauvais payeurs

L’histoire semble se répéter en cette fin janvier. Moussa Faki Mahamat et Paul Kagamé, président du Rwanda à la tête de l’UA pour un an, traquent désormais les Etats membres qui rechignent à régler leurs cotisations annuelles, fixées selon leur PIB. « Un sentiment de honte s’est peu à peu répandu, notamment après le déclenchement de l’opération française “Serval” au Mali un an après l’inauguration du nouveau siège de l’UA offert par la Chine, d’une valeur de 200 millions de dollars que n’ont pu réunir 54 pays, souligne un haut fonctionnaire, un brin désabusé. Les Etats sont hypocrites quand il s’agit de l’UA. Ils y font de beaux discours mais ne s’y investissent pas. »

En 2017, le président de la Commission a même dû décrocher son téléphone pour tenter de convaincre les « mauvais payeurs » qui grèvent le budget de fonctionnement de l’institution. Car il y a encore trop de retardataires. Mais « dans la culture de l’UA, on n’humilie pas. Pas de “name and shame” ici. Tout se joue dans la discrétion », lâche un observateur.

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Les quelques pays ravagés par les conflits, comme la Somalie ou la Centrafrique, bénéficient d’une certaine clémence. Des Etats pétroliers comme le Gabon ou le Congo-Brazzaville, eux, ont été rappelés à l’ordre. Les sanctions prévues dans les textes de l’UA restent toutefois peu dissuasives. Pour les éviter, des pays comme le Zimbabwe règlent une petite avance : même 1 000 dollars suffisent à remettre le compteur des pénalités à zéro. En guise de protestation, le Burundi, miné par une crise meurtrière provoquée par le maintien au pouvoir de Pierre Nkurunziza, refuse quant à lui de cotiser.

D’autres ont pris l’habitude de venir aux sommets d’Addis-Abeba chargés de sacs d’argent en liquide. Lorsque ce ne sont pas des émissaires de l’UA qui viennent les récupérer. Comme ce fut le cas en 2017, à Khartoum, où le gouvernement soudanais a remis 8 millions de dollars en espèces à des fonctionnaires de l’UA contraints de réserver deux sièges supplémentaires sur le vol du retour pour entreposer le pactole.

Des partenariats avec Harvard et l’ENA

Cette année, le binôme Kagamé-Faki a convaincu les Etats membres de soutenir la réforme institutionnelle de l’UA. Adoptée lors de ce 30e sommet, elle prévoit notamment l’application d’une taxe de 0,2 % sur les importations d’autres continents. Plus de la moitié des Etats africains l’ont déjà mise en œuvre. Ce qui pourrait permettre de ramener dans les caisses de l’UA plus de 1 milliard de dollars par an, selon le ministre rwandais des finances, Claver Gatete – mais le Rwanda, de par son faible PIB, ne contribue qu’à hauteur de 1,6 million de dollars, ce qui est dérisoire et ne manque pas d’agacer les grandes puissances africaines.

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Traditionnellement, c’étaient les mastodontes économiques du continent, les « Big Five », qui finançaient la moitié du budget total. La Libye, en déréliction depuis la mort de Kadhafi, en 2011, a été remplacée par le Maroc dans ce quintet. Le royaume a fait son retour dans l’UA six ans plus tard, de même que son entrée dans le club des cinq plus importants contributeurs aux côtés de l’Algérie, de l’Afrique du Sud, de l’Egypte et du Nigeria.

Ces cinq pays règlent désormais un peu plus de 36,7 millions de dollars chacun par an, selon les chiffres officiels publiés en janvier. A l’exception de 7 millions de dollars versés au Conseil de paix et de sécurité, ces contributions servent à alimenter le budget de fonctionnement qui, pour la première fois en 2017, a été autofinancé par les Etats membres. Comme une promesse de voir l’organisation panafricaine accéder enfin à l’autonomie financière.

Le président rwandais, Paul Kagamé (droite), et le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, lors du 30e sommet de l’UA, en janvier 2018.

Un vent de modernisation souffle-t-il sur l’UA ? Une brise de changement, sans doute. Au siège d’Addis-Abeba, à l’ombre de la grande tour de verre, on peut désormais croiser des jeunes fonctionnaires diplômés des universités les plus prestigieuses de la planète. « Nous avons noué des partenariats avec Harvard, l’Académie diplomatique de Vienne et l’Ecole nationale d’administration française pour former nos directeurs et recruter des diplômés », dit Amine Idriss Adoum, directeur de l’administration de l’UA depuis 2014. Ce Tchadien de 45 ans formé à l’université de N’Djamena et à l’Institut catholique de Yaoundé pourrait être une icône de cette élite « made in Africa ».

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Après avoir occupé des postes à responsabilité dans des grands groupes privés, M. Idriss Adoum orchestre la mise en œuvre de la « réforme Kagamé » en interne, optimise l’organisation, modernise les « process », comme il dit, et dépoussière l’image de l’institution. « Je recrute de plus en plus de jeunes motivés et super bien formés, que je paie près de 6 000 dollars, contre peut-être 10 000 ailleurs. Mais dites-moi où un jeune diplômé a l’opportunité d’optimiser une organisation intergouvernementale, en contact étroit avec des diplomates et des chefs d’Etat ? » Ces cinq dernières années, la moyenne d’âge des employés est passée de 54 à 46 ans et la parité homme-femme, gravée dans le marbre des textes de l’UA, s’applique progressivement.

Pas de quoi néanmoins attirer les cadres de certains pays, comme l’Algérie, l’Egypte ou l’Afrique du Sud, qui détiennent pourtant le plus grand nombre de postes de par leurs contributions majeures. Les salaires de l’UA restent peu attractifs pour leurs jeunes élites. A défaut, ces Etats paient sans barguigner pour peser sur les grandes décisions du continent. Une manière de s’acheter de l’influence politique.

Imposer une culture du résultat

En 2018, les Etats africains contribueront donc à hauteur de 40 % du budget total de l’organisation. La partie « fonctionnement » est, pour la première fois de son histoire, presque intégralement couverte par les membres de l’UA, et la participation de l’UE et d’autres bailleurs diminue. « C’est aujourd’hui un mythe de dire que c’est l’UE qui finance l’organisation, dit un haut responsable. C’était vrai autrefois. » Jusqu’en 2014, les Etats ne finançaient que 3 % des programmes de l’UA, contre 25 % aujourd’hui. « L’Afrique du Sud, l’Egypte et l’Algérie versent plus de trois millions de dollars chacun pour ce budget », assure un diplomate nord-africain.

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Reste le problème de la gabegie et de la mauvaise gestion. « Il faut faire des économies et mieux contrôler les budgets. Certains employés de l’UA se font plaisir, voyagent trop et accumulent des dépenses inutiles… C’est le cœur de la réforme Kagamé », a précisé au Monde le Guinéen Alpha Condé, président de l’UA en 2017. En ces temps de réforme, il n’y a donc pas de petites économies. Paul Kagamé et Moussa Faki Mahamat veulent, entre autres, réduire les 11 000 voyages effectués en 2017 par des employés de l’UA, facturés 19 millions de dollars.

Mais la plus grande révolution sera d’imposer dans cette organisation bureaucratique une culture du résultat, de la performance et de la « data » si chère à Paul Kagamé. Le Rwandais y est parvenu dans son propre pays et se rêve déjà en réformateur pour mener à bien les grands chantiers de l’institution. Avec M. Faki, ils forment un duo pragmatique qui ravive l’espoir d’une UA affranchie des bailleurs de fonds internationaux, capable de résoudre ses crises et d’écrire sa propre histoire pour faire entendre la voix de l’Afrique dans le monde.

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Posté le 08/02/2018 par rwandaises.com