En marge du 30e sommet des chefs d’État de l’Union africaine (28-29 janvier), l’économiste rwandais Donald Kaberuka, membre du comité pilote mis en place en 2016 pour réfléchir à la réforme – notamment financière – de l’institution panafricaine, juge significatifs les progrès réalisés à l’issue de cette réunion continentale.

L’économiste rwandais Donald Kaberuka,

ancien ministre et ex-patron de la BAD, fait partie du Comité pilote en charge des propositions pour réformer l’Union africaine (UA). Présent lors du 30e sommet des chefs d’État, à Addis Abeba les 28 et 29 janvier, il revient pour Jeune Afrique sur l’avancée des travaux qui doivent conduire l’organisation à son autofinancement, en partie, d’ici 2020.

Jeune Afrique : Ce 30e sommet des chefs d’État de l’UA a-t-il permis des avancées ?

Donald Kaberuka : Le train de la réforme – et de sa composante financière – est en marche. Tout le monde admet que l’autofinancement de l’Union africaine est une urgence. Je n’ai pas entendu un seul pays s’opposer à la formule. Sur le plan technique, ce n’est pas si compliqué, mais je comprends que nos économies soient différentes d’un pays à l’autre. Et certains ont donc besoin de s’assurer que le fardeau ne sera pas insoutenable. Des consultations supplémentaires sont nécessaires pour peaufiner le consensus, mais vingt-et-un pays ont déjà signé, ce qui représente pour moi un verre à moitié plein.

La taxe de 0,2 % sur les importations répond à un critère de faisabilité technique

Concernant la taxe de 0,2 % sur les importations, certains pays très dépendants des importations sont inquiets. Le Premier ministre mauricien Pravind Kumar Jugnauth a expliqué à Jeune Afrique ne pas vouloir faire peser sur ses concitoyens « une taxe additionnelle »…

La réforme financière de l’UA ne concerne pas uniquement la partie sur les recettes. Elle s’attaque aussi aux dépenses et à la gouvernance. La taille du fardeau dépendra donc aussi de ces deux autres pans de la réforme.

Je rappelle que la décision d’autofinancer l’UA a d’abord été prise à Addis Abeba en 2012. À Johannesbourg, en 2015, il a été précisé que 100 % du budget administratif, les trois quarts du budget « programmes » et 25 % du « fonds paix et sécurité » devraient être financés d’ici 2020. À Kigali, en 2016, nous avons simplement proposé les moyens d’y parvenir. Les premières propositions de l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo étaient trop complexes : taxes sur les billets d’avion, sur les assurances, sur les téléphones…

On nous a donc demandé de trouver une formule éprouvée et qui ne posait pas de problèmes d’ordre technique. La taxe sur les importations est une formule qui s’applique très bien au niveau de la Cedeao et de l’UEMOA.

La zone de libre-échange continentale va contribuer à lever les obstacles

Maurice, mais aussi l’Égypte ou la Tunisie ont fait part des pressions exercées par l’OMC dont ils font partie. Cette taxe est-elle en adéquation avec les traités qui les lient à cette institution ?

Les pressions existeront toujours, dès lors que l’Afrique souhaitera se prendre en charge. Nous sommes conscients du fonctionnement des traités internationaux, et il n’y a d’ailleurs pas que l’OMC. C’est pourquoi il existe dans notre réforme la souplesse nécessaire pour prendre en compte les contraintes de ces accords.

Je rappelle également que quatorze pays africains ne font pas partie de l’OMC. L’Égypte, la Tunisie ou Maurice ne sont pas l’Union africaine. Nous pensons par ailleurs qu’avec la zone de libre-échange, qui devrait être actée lors du sommet extraordinaire de Kigali le 21 mars, tous ces obstacles seront levés. En son temps, l’Union européenne avait connu les mêmes difficultés. Et certaines ne sont d’ailleurs toujours pas réglées.

Un huis clos des chefs d’État, avant la cérémonie d’ouverture du sommet d’Addis Abeba, a duré plus de cinq heures… Les choses ne semblent donc pas si simples.

Il n’est évidemment pas simple d’engager des réformes intergouvernementales. C’est le cas pour n’importe quelle organisation internationale. Mais l’urgence que j’ai sentie lors de ce huis clos, malgré des débats actifs, me donne à penser qu’il y a un consensus qui se dégage. Maintenant, faut-il qu’il soit à 100 % immédiat ?

Je ne crois pas que cela existe dans une autre organisation mondiale. Mais, dans les six mois, nous obtiendrons une masse critique qui nous fera avancer très rapidement. Les débats les plus longs ont concerné le processus décisionnel, les compétences au niveau des différents ensembles de l’UA. Il n’y a pas eu de débats d’ordre idéologique.