L’Etat belge et trois de ses officiers sont poursuivis devant les tribunaux bruxellois pour avoir laissé 2000 cibles des génocidaires sans défense à Kigali en avril 1994. Par Marie-France Cros

Ce vendredi 2 mars, la cour d’appel de Bruxelles examinera le procès intenté au civil (pour le pénal, il y avait prescription) par trois familles de survivants rwandais de la tragédie de l’Ecole technique officielle (ETO), à Kigali, en avril 1994, contre l’Etat belge et trois de ses officiers, dont l’un est aujourd’hui décédé. Ils sont accusés de crimes de guerre par omission d’agir. Le drame est vu au Rwanda comme le symbole de l’abandon de ce pays par la communauté internationale lors du génocide; il a été immortalisé par le film britannique “Shooting Dogs”.
Le 7 avril 1994 débute le génocide des Tutsis préparé par le régime du président hutu Juvénal Habyarimana, quelques heures après que l’avion de ce dernier eut été abattu. Les Tutsis, qui se savent visés, tentent de trouver des refuges, notamment à l’ETO, gardée par une centaine de casques bleus belges. Des milices hutues encerclent l’école, entonnant des chants menaçants, enlevant plusieurs déplacés pour les tuer et interceptant les autres civils qui viennent s’y réfugier.
Paras belges honteux
Le 11 avril, sur ordre de Bruxelles, les soldats belges de la 14ème compagnie de paras de Flawinne quittent l’ETO pour s’occuper de l’évacuation des civils belges à l’aéroport, laissant derrière eux plus de 2000 Tutsis et opposants politiques rwandais. Ceux-ci supplient à genoux les Belges de ne pas les abandonner aux tueurs hutus; certains demandent à être abattus pour éviter le supplice d’être tués à la machette; d’autre se couchent sur la route pour empêcher les jeeps de prendre le large. Les paras belges sont honteux – de retour en Belgique, ils lacèreront leur béret bleu devant les cameras – mais obéissent aux ordres.
Ceux-ci sont donnés par le colonel Luc Marchal, “numéro deux” de la mission onusienne au Rwanda, au côté du général canadien Roméo Dallaire; le colonel Joseph Dewez, chef du contingent belge à Kigali; feu le capitaine Luc Lemaire qui commande les casques bleus de l’ETO.
Dans les heures qui suivent le départ des paras belges, les Rwandais seront massacrés dans l’enceinte de l’ETO ou, pour ceux qui ont pu fuir, sur la route de Nyanza. Sur plus de 2000 personnes, dont plusieurs centaines d’enfants, seules une cinquantaine survivront, généralement parce que, ensevelies sous les morts, elles n’ont pas été achevées.
C’est la Belgique qui a décidé, pas l’Onu
En 2010, le tribunal de première instance ne s’était pas prononcé sur la responsabilité des personnes mises en cause et de l’Etat mais ce dernier avait fait appel des autres décisions (jugements interlocutoires): qu’il n’y avait pas prescription; que le tribunal visionnerait bien “Shooting Dogs”, basé sur le récit d’un journaliste de la BBC; que c’est bien la Belgique, et non l’Onu, qui avait décidé de retirer les paras de l’ETO. Cet appel concerne toutefois la totalité du procès. D’abord fixé à novembre 2014, il avait été reporté sine die à la veille du procès, sans explication. C’est ce vendredi que commencent les trois audiences prévues.
Les parties demanderesses seront entendues les premières. Il s’agit notamment de la famille de Boniface Ngulinzira, hutu mais qui, comme ministre des Affaires étrangères, avait signé les accords de paix de 1993 entre le régime Habyarimana et les rebelles du Front patriotique rwandais (aujourd’hui au pouvoir) que récusaient les faucons du régime; son épouse et ses enfants avaient été épargnés parce que hutus. Figure aussi parmi elles Spéciose Mukayinanga, veuve de Fidèle Kanyabugoyi, un représentant des Tutsis Bagogwés, qui a survécu sous les cadavres.
Les parties défenderesses seront entendues le jeudi 8 mars et les répliques sont prévues le 15.

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Posté le 02/02/18 par rwandaises.com