Kigali: Un livre très attendu sort ce vendredi  en France, «Rwanda, la fin du silence: un ancien officier raconte», 250 pages, Editions Les Belles Lettres. Son auteur, Guillaume Ancel, un ex-lieutenant-colonel, engagé dans l’opération Turquoise en 1994 au Rwanda, ne cesse de dénoncer cette opération qui a toujours été présentée comme strictement humanitaire par les autorités françaises, selon un article du Journal «Libération».

C’est un soupçon monstrueux qui ne cesse de ressurgir, depuis près de vingt-cinq ans : la France a-t-elle déclenché une opération humanitaire dans un pays d’Afrique avec comme but inavoué de sauver un gouvernement qui venait tout juste de massacrer près d’un million de personnes? L’accusation paraît énorme. Elle revient pourtant souvent interroger, encore et encore, le rôle pour le moins ambigu de la France lors du génocide qui s’est déroulé au Rwanda en 1994.

Cette année-là, dans ce petit pays de l’Afrique des Grands Lacs, une campagne d’extermination est déclenchée contre les Batutsi du pays. Pour y mettre un terme, alors que la communauté internationale a vite plié bagage, il n’y aura que l’offensive d’un mouvement rebelle, le Front patriotique rwandais (FPR), formé quatre ans plus tôt par des exilés Batutsi. Contre toute attente, le FPR fait reculer le gouvernement génocidaire. Et c’est au moment où il semble proche de la victoire finale que la France décide soudain d’intervenir. Sous label «humanitaire».

Guillaume Ancel y était. Officier intégré dans une unité de la Légion étrangère, il a participé à l’opération «Turquoise», dont il raconte la face cachée.

Vous avez souvent témoigné sur l’opération Turquoise. Pourquoi publier un livre aujourd’hui?

Pour empêcher que le silence ne devienne amnésie, et sur les conseils d’un historien, Stéphane Audoin-Rouzeau. C’est le témoignage écrit, cette fois-ci, de ce que j’ai vécu, ce que j’ai vu. En nous envoyant là-bas, personne ne nous a briefés avant le départ. On ne savait rien. C’est totalement inédit dans les pratiques de l’armée. Et ce n’est qu’en arrivant sur place qu’on a compris : en guise «d’action humanitaire», on était d’abord venus pour stopper le FPR, donc empêcher la victoire de ceux qui combattaient les génocidaires. Génocidaires qu’on a tenté de remettre au pouvoir, puis qu’on a aidés à fuir, avant de les réarmer de l’autre côté de la frontière au Zaïre [aujourd’hui république démocratique du Congo, ndlr].

C’est comme si, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le corps expéditionnaire français avait été envoyé aux côtés des nazis pour stopper, par exemple, l’avancée des troupes russes. En aidant les nazis à se réarmer, faute d’avoir pu finalement les réinstaller au pouvoir. L’opération Turquoise a été menée «au nom de la France». Mais vingt-quatre ans plus tard, on refuse toujours d’en ouvrir les archives. Pour quelle raison, si ce n’était qu’une simple opération humanitaire?

Au sein de l’armée, il y a des témoignages qui contredisent le vôtre…
En réalité, il y en a très peu. Beaucoup se taisent car il existe une culture du silence dans l’armée française, qu’on ne retrouve pas chez les Anglo-Saxons. Il y a pourtant cet ancien officier du GIGN qui a raconté l’horreur d’avoir compris qu’il avait formé des troupes qui commettront ensuite le génocide.

Parmi les anciens de Turquoise, certains, en revanche, répètent la parole officielle, par peur d’être mis en cause. Mais il y a aussi cet ex-commandant d’un régiment des troupes de marine qui explique clairement qu’il était là pour aider ceux qui commettent les massacres ! J’ai aussi des camarades qui avaient alors écrit au ministre de la Défense pour dénoncer le réarmement des troupes génocidaires en déroute. Ils se sont fait tacler.

Mais pourquoi la France se serait-elle impliquée dans ce bain de sang?

Aucun responsable ne s’est réveillé un matin en se disant «tiens, je vais aider ceux qui commettent un génocide». Mais il y a eu une part d’aveuglement dans le cercle étroit du président François Mitterrand. Quand le génocide commence, la France a passé quatre ans au côté du régime rwandais. Sur place, on a vu ce dernier réaliser le fichage des Batutsi, on a su pour l’entraînement des miliciens, les premiers pogroms, simple répétition du «grand soir». Et on n’a pas réagi.

En revanche dès le début du génocide, des divergences apparaissent au sein des services de renseignements: la DGSE pointe tout de suite la responsabilité du pouvoir en place dans l’organisation de massacres et conseille de s’en dissocier.

Puis la direction du renseignement militaire va contredire cette analyse, tenter de détourner l’attention sur la responsabilité du FPR dans l’attentat contre l’avion du président rwandais Juvénal Habyarimana [le 6 avril 1994, considéré comme le déclencheur du génocide, ndlr] avec une photo de missiles qui avait tout d’une manip.

Or, quand l’avion est abattu, après des mois de tensions, ce dernier venait justement d’accepter de partager le pouvoir avec le FPR. Au fait, pourquoi n’a-t-on jamais retrouvé la boîte noire ?

L’un des premiers sur les lieux du crash, c’est un officier français : Grégoire de Saint-Quentin. Mais quand je l’ai rencontré et que je lui ai demandé ce qu’elle était devenue, il s’est brusquement refermé. Il n’est pas en cause, on lui a ordonné de se taire. (A suivre…)

http://www.rnanews.com/national/14521-2018-03-16-14-42-41

Posté le 16/03/2018 par rwandaises.com