Cette 24ème Commémoration du génocide contre les Tutsis est une occasion pour faire entrer dans la pratique, à travers les écrits et les discours, la toute nouvelle modification de la Résolution A/72/L.31. Et il est temps aussi de trancher définitivement la question, certes mineure, de l’accord grammatical: «Tutsi», avec ou sans-s?

André Twahirwa, Docteur en Sciences du langage
Président d’honneur de la Communauté Rwandaise de France

Depuis le 26 janvier 2018 et le vote de la Résolution A/72/L.31, l’inexactitude sémantique et terminologique sur le Génocide contre les Tutsis au Rwanda est enfin «officiellement» levée.
Reste à lever les ambiguïtés sémantiques entretenues, consciemment ou non, par certains médias et certains milieux. Enfin, même si cela n’est pas d’une urgente nécessité, il est temps de mettre fin à certaines incohérences grammaticales et orthographiques qui n’ont que trop durer.

Bref retour sur la levée de l’inexactitude terminologique

La terminologie de 2003 «génocide de 1994 au Rwanda», souvent abrégée en «génocide au Rwanda» ou en «génocide de 1994 », est inexacte: elle fait fi de la définition même du génocide, que l’on qualifie par les victimes systématiquement exterminées et telles qu’elles furent identifiées comme cible. Comme le soulignait la Représentante du Rwanda aux Nations unies, à l’occasion du débat sur le projet de Résolution A/72/L.31, la précision des mots est «essentielle» surtout lorsqu’on parle du génocide: « il faut capturer sans ambiguïté les faits historiques de ce qui s’est passé en 1994 et qui est bien un génocide contre les Tutsis au Rwanda ».
Mais si la terminologie de 2003 était inadéquate et inexacte, d’autres sont inacceptables ou ambiguës.

« Génocide rwandais »: du révisionnisme inacceptable

La terminologie de «Génocide du Rwanda» et surtout son dérivé «génocide rwandais», dont usent et abusent beaucoup de médias français ou francophones, est inacceptable: d’abord elle ne repose sur aucun texte officiel mais elle est surtout plus qu’ambiguë. En effet, elle laisse penser que toutes les composantes de la société rwandaise auraient été victimes d’un génocide, qu’au Rwanda « les Hutus ont tué les Tutsis et les Tutsis ont tué les Hutus », en versant ainsi dans la théorie du «double génocide» des négationnistes et autres révisionnistes du Génocide contre les Tutsis.

De l’ambiguïté de « Génocide des Tutsis »

Même si c’est dans une mesure beaucoup moindre, la terminologie «génocide des Tutsis» n’est pas exempte de toute ambiguïté: génocide perpétré contre les Tutsis ou génocide commis par les Tutsis? C’est, d’ailleurs, pour cette raison et pour lever cette ambiguïté que la CNLG (Commission nationale de lutte contre le génocide) recommande, en kinyarwanda, la terminologie «Jenoside yakorewe Abatutsi» ou, en français, « Génocide perpétré contre les Tutsis ») en lieu et place de «Jenoside y’Abatutsi » et « Génocide des Tutsis » en français. Et l’on ne peut que se demander comment voire pourquoi, dans la traduction en français de la Résolution A/72/L.31, « Genocide against the Tutsi » de la version originale (en anglais) devient « Génocide des Tutsis ».

« Génocide contre les Tutsis »: la seule terminologie exacte et non ambiguë

En conséquence, il s’avère que la seule terminologie exacte et sans ambiguïté aucune est bien « génocide de 1994 contre les Tutsis au Rwanda » ou, en abrégeant, «Génocide contre les Tutsis»: depuis le 26 janvier 2018, c’est elle qui a été consacrée et internationalement reconnue à travers la résolution A/72/L.31. On peut aller plus loin: même dans celle de «génocide perpétré contre les Tutsis», adoptée par la CNLG (Commission nationale de la lutte contre le génocide) depuis des années, le participe « perpétré » n’est pas nécessaire: il est, d’ailleurs, absent dans l’anglais «Genocide against the Tutsi ». L’équivalent de « contre » en Kinyarwanda, langue très pauvre en prépositions et sans participe (passé), est une proposition relative subjective à la voix passive: « yakorewe  » (« qui a été perpétré contre »); d’où, la terminologie officielle « Jenoside yakorewe Abatutsi ».
Après avoir enfin levé les ambiguïtés ou inexactitudes sémantiques et terminologiques, l’on peut s’autoriser à lever aussi certaines incohérences grammaticales et orthographiques.

En finir aussi avec les incohérences grammaticales et orthographiques: «Tutsi», avec ou sans-s?

En anglais, langue des versions officielles des textes de l’Assemblée générale des Nations unies, «Tutsi» est toujours sans –s : « The Genocide against the Tutsi ». Par contre, dans les versions, non officielles, en français, on trouve « Tutsi » avec -s. Mais uniquement quand il s’agit du nom : « « Génocide contre les Tutsis », mais «victimes tutsi ». Pour la CNLG : absence de -s, aussi bien en anglais qu’en français (Genocide against the Tutsi », « Génocide contre les Tutsi »). Quant aux écrits non officiels, on y trouve « Tutsi » avec ou sans -s. Et quelquefois dans le même texte.
Or, en la matière, les règles grammaticales et/ou orthographiques sont simples : il suffit de les appliquer avec toute la cohérence qui s’impose. Rappelons-les brièvement.
En kinyarwanda, langue «à classes», le passage du singulier au pluriel correspond à un changement de classe et donc de «préfixe nominal» et de la voyelle initiale: le mot « umututsi » donne « abatutsi » au pluriel.
«Tutsi» est une francisation ou une anglicisation du kinyarwanda «umututsi», qui donne au pluriel «Abatutsi» ; d’où, l’autre francisation en « les Batutsi », pluriel de « le Mututsi », qui préserve le préfixe nominal du pluriel sans la voyelle initiale. En anglais, la marque du pluriel (à l’oral comme à l’écrit) n’est portée que par le nom. En français, elle est portée, à l’écrit, et par le nom et par l’article. Dès lors, l’orthographe correcte doit être ou « Génocide contre les Batutsi » ou «Génocide contre les Tutsis ». Et, en anglais, ou « Genocide against the Batutsi» ou alors « Genocide against the Tutsis » :« Genocide against the Tutsi» signifie «Génocide contre le Tutsi», ce qui constitue un non-sens absolu.
« Tutsi » peut être aussi adjectivé. En kinyarwanda, l’adjectif ou le complément nominal s’accorde en classe ave le nom. Mais s’il reste invariable en anglais, il doit s’accorder, en genre et nombre, en français: on aura par exemple le groupe «tutsi» mais les victimes «tutsies».
Et ce qui est valable pour « tutsi » l’est aussi, évidemment, pour «hutu » ou pour «twa». Comme nom ou comme adjectif. Avec une restriction pour « twa », qui ne s’accorde pas en genre, comme tous les adjectifs en -a.

Mise en œuvre de la terminologie exacte et lutte contre le révisionnisme

« Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde » (Albert Camus, Sur une philosophie de l’expression, 1944). La résolution A/72/L.31 de janvier 2018 ne doit pas rester lettre morte. On a, au contraire, le devoir de la mettre en œuvre comme un des moyens pour lutter efficacement contre le révisionnisme. Et la commémoration du Génocide contre les Batutsi doit être, chaque année, une occasion particulière de revenir sur la terminologie appropriée. Médias et officiels doivent ainsi s’efforcer au langage clair et mettre fin, dans les commentaires ou dans les discours, à l’utilisation de terminologies inexactes ou révisionnistes. Avec, un plus : appliquer les règles d’accord grammatical ci-dessus rappelées.

http://www.rwanda-podium.org/index.php/actualites/politique/2992-genocide-le-genocide-contre-les-tutsis-retour-sur-la-levee-des-ambiguites

Posté le 11/04/2018 par rwandaises.com